C’est dans le cadre exceptionnel de la Tour Emperador Castellana que Babolat a annoncé ce mardi, la prochaine construction de son « Studio Padel ». L’occasion pour nous entre deux échanges disputés contre le N°1 mondial Juan Lebron sur un terrain installé au dernier étage de la tour, à plus de 200 mètres de haut, de revenir avec Eric Babolat sur le développement de sa marque familiale.
La marque Babolat, initialement connue pour être une marque de tennis, développe énormément son activité padel. Qu’est-ce que cette activité représente comme part de votre chiffre d’affaire ? Et dans 10 ans ?
Eric Babolat : Comme Babolat, le tennis à 150 ans d’histoire et c’est vrai que, dans de nombreux pays, c’est par ce sport que nous sommes identifiés. Cependant, ici en Espagne, certains ne nous connaissent que par le padel. Concrètement, aujourd’hui, cela représente 15 à 20% de notre business et dans 90 pays sur les 150 que nous couvrons avec le tennis.
Pour l’instant, c’est un sport qui n’est très développé que dans trois pays du monde qui sont l’Espagne, la Suède et l’Italie très récemment. Le reste du monde, dont la France, est en train de découvrir ce sport et de développer des infrastructures. Il y a de plus en plus de notoriété et d’attentes autour du padel donc on peut imaginer que, d’ici 10 ans, le padel représentera la moitié de l’activité de Babolat qui est spécialisée dans trois sport de raquettes : le tennis, le badminton et donc, le padel sur l’équipement des pratiquants à savoir les raquettes, le cordage (quand il y en a), les chaussures, les vêtements et les accessoires qui composent la panoplie des joueurs.
Chez Babolat, on ne s’occupe que des joueurs, pas des terrains ni des leçons. Notre sujet, c’est le joueur, son équipement et comment on l’accompagne, qu’il soit débutant ou compétiteur comme Lebron en Padel ou Alcaraz en tennis.
En parlant de développement, notamment géographique, le padel a un concurrent, le pickleball. Comment vous l’envisagez ?
Je ne les vois pas forcément comme des concurrents car l’un et l’autre sont assez complémentaires du sport d’origine, le tennis. Ces deux répondent à la même logique du moment qui est que les gens ont envie de prendre soin d’eux, de leur santé à la fois physique et mentale tout en s’amusant et en accédant rapidement à une activité qui le permet.
Cependant, ils ont tous deux une aire géographique de pratique assez définie. Je fais partie de ceux qui ne croient pas que les deux aient leur place dans les mêmes pays. Ca ne veut pas dire qu’ils n’existeront pas mais ils ne seront pas massifs partout. Je n’imagine pas le padel massif aux USA ni le pickleball massif en Europe. Y a-t-il la place pour faire cohabiter massivement deux sports de cette envergure ? Je ne crois pas, pour l’instant l’Europe a le padel et l’Amérique du Nord le pickleball.
Du coup, le fait d’installer votre HQ padel à Madrid répond à une stratégie Européo centrée ?
La stratégie, c’est d’être trois fois une marque dans un sport différent. On est une marque de tennis, et pour cela on a notre siège en France, on est une marque de padel et, pour cela, on a décidé de mettre notre quartier général au cœur de là où ce sport bat le plus fort, c’est-à-dire en Espagne et à Madrid. Pas pour l’Espagne mais pour que notre offre de valeur soit pertinente pour les amoureux de ce sport partout où ils sont et là où ils vont être demain. Dans la même logique, notre quartier général badminton est à Shanghai, en Chine, le pays majeur de ce sport. Même si nous voulons bien évidemment nourrir l’ensemble de la planète avec ces trois sports. C’est la réponse que l’on a trouvée sur comment être trois fois une marque différente avec les codes spécifiques à chacun des sports.
On en vient à l’annonce de la journée, la naissance d’un « Studio padel » à Barcelone. Dîtes nous en un peu plus sur ce concept ?
Alors c’est un endroit qui va mixer un centre de R&D avec de la fabrication en petites séries, du prototypage rapide de produits répondant aux besoins des compétiteurs de haut niveau basés sur des produits de série avec des spécificités particulières. C’est aussi en Espagne, au cœur de la pratique d’aujourd’hui et de l’observation du jeu, là où l’on peut tester nos innovations. C’est également dans la région de Barcelone, région qui possède un grand savoir-faire industriel et technologique. Dans ce studio, que l’on appelé ainsi puisque l’on se rapprochera plus de la haute couture que du prêt à porter, les ressources seront 100% dédiées au padel.
Aujourd’hui la production de raquette se fait quasi exclusivement en Asie du Sud-Est, avez-vous comme projet de rapatrier cette production ?
La rapatrier pas forcément mais plutôt la relocaliser. La raison pour laquelle l’industrialisation est plutôt dans le Sud-Est Asiatique alors que la partie R&D est en Europe ou aux USA, c’est la maîtrise de la matière première qui est le composite pour l’utilisation du sport et qui est essentiellement maîtrisée dans ces pays-là. Ce sont des produits vendus partout sur la planète donc la logique industrielle de demain sera d’avoir des lieux de production proche des lieux de consommation qui sont, dans nos sports, l’Amérique du Nord et l’Europe. L’idée n’est pas de produire d’un côté de la planète pour l’envoyer de l’autre.
Ce n’est pas la première raison mais effectivement, grâce à ce studio, nous allons pouvoir aussi appréhender cette problématique-là de local to local en disant : tiens, qu’est-ce qu’on est capable de faire différemment et dans quelles conditions par rapport à la norme d’aujourd’hui. On sen saura plus, on saura mieux comment l’appréhender même s’il serait bizarre d’envoyer au Japon des raquettes produites en Espagne.
On a d’ailleurs un projet en Ardèche, qui s’appelle ASF 4.0, avec la société Chamatex qui est le fabricant de la tige de nos chaussures, qui sont finalisés en Asie du Sud-Est. C’est un partenariat avec eux et Salomon dont l’idée est d’automatiser la fabrication des chaussures puisque, aujourd’hui, une chaussure nécessite milles opérations manuelles limitant, du fait des coûts de main d’œuvre, la compétitivité de l’Europe. Si on arrive à automatiser ce processus, cela permettra d’avoir une production locale pour une utilisation locale.
On pourrait donc imaginer une raquette ou une chaussure Babolat 100% européenne ?
Ca sera le cas en Espagne pour ces séries limitées qui nous permettront de tester ces concepts pour aller vers des séries au volume important.
Pour parler d’image maintenant, Babolat est un cas d’école de personnification de la marque avec les valeurs de Babolat qui ont fusionné avec celle de Rafael Nadal. Est-ce une stratégie voulue et prédéterminée ?
Non, pas vraiment. Il est vrai que les valeurs qu’incarne Rafael Nadal et celles portées par Babolat sont très proches, donc ça matche bien. Il les symbolise dans son jeu, son attitude, sa personnalité… Il faut se rappeler que Nadal, c’est le parfait opposé de Federer, le gendre idéal très classique et élégant contre à Rafael et son look d’indien très flashy. C’était l’outsider qui, tout en respectant profondément ce sport, voulait le révolutionner. Chez Babolat, nous étions également le challenger sur ce marché et on aime bien innover, casser les règles, challenger les choses, bousculer l’ordre établi donc le mariage était parfait.
Au-delà de cela, Nadal est une source d’inspiration pour l’entrepreneur que je suis car c’est quelqu’un qui n’est jamais satisfait, qui se remet toujours en question, qui veut en permanence progresser quitte à se mettre en danger, à être moins bon dans un premier temps. Quand on lui demande comment il a accompli tout ça, il répond : « C’est très simple. Premièrement, j’aime ce que je fais et, deuxièmement, je me demande tous les jours comment je pourrais le faire mieux ». On partage complètement cette vision.
Pendant des années, on nous reprochait de n’avoir qu’un joueur mais c’est faux. Nous avons toujours eu de nombreux talents qui étaient un peu cachés par l’aura de Nadal et, désormais qu’il est plus à la fin qu’au début, on voit émerger un autre immense talent, Carlos Alcaraz, prêt à prendre la relève et qui incarne lui aussi les valeurs de Babolat. Ce qui est difficile lorsque l’on s’est installé, c’est de réussir à pérenniser cette image de la marque jeune, dynamique, qui bouscule le milieu.
Alcaraz, c’est un ovni tennistique et un miracle marketing pour Babolat qui débarque en fanfare au bon moment. Aviez-vous anticipé son explosion ?
On ne l’attendait pas aussi vite. On a entre 300 et 500 athlètes sous contrat et plein de jeunes prometteurs et nous savions que, parmi eux, se trouvait celui qui, sportivement, prendrait la place. Après, pour ce qui est du caractère et du charisme, même si l’on s’attache à ce que l’on ait des athlètes qui partagent nos valeurs, il faut reconnaître que l’on est à un stade très avancé et idéal.
On va revenir sur le padel et sur Lebron. Avec son logo personnalisé, on retrouve un peu la personnification qu’on avait avec Nadal. Est-il, lui aussi, destiné à incarner la marque ?
Oui, car cela fait résonner deux piliers de la marque qui sont l’innovation et la visibilité au plus haut niveau de nos innovations. Avec Lebron, qui est la première star internationale de ce sport, qu’on a la chance d’équiper depuis sept ans déjà, il y avait la particularité d’être espagnol à très bien jouer dans un sport qui était dominé par les argentins. On un peu misé là-dessus et c’est là qu’on retrouve le talent et l’expérience de Babolat dans la détection de jeunes talents et la capacité à les faire grandir pour les amener au sommet.
Dans ce cas particulier, c’est vraiment nouveau puisque seul Nadal avait eu une robe particulière de raquette. Là, avec Lebron, on a développé une gamme complète de raquettes, de chaussures, de textiles à son effigie parce que l’on croit que nos sports d’équipements sont des éléments d’inspiration et d’identification qui peuvent faire rêver. Ce logo du loup, son surnom, est un clin d’œil à son style de jeu très original et très spectaculaire. Mais, ça n’est pas une stratégie qui sera forcément dupliquée avec Alcaraz ou d’autres joueurs.
Pour parler de la France, quel est l’objectif du partenariat que vous avez passé avec All In ? Y a-t-il une volonté de faire émerger des stars françaises de padel qui n’existent pas encore ?
Oui bien sûr, ça va venir naturellement mais d’abord c’est d’accompagner les amoureux de nos sports dans la pratique de club au quotidien. L’académie All In est un cas intéressant puisqu’elle était tout d’abord très tournée compétition et qu’aujourd’hui c’est aussi un country club qui intègre cet aspect sport études et la pratique d’activités ludiques et sportives telles que le tennis, la piscine ou le padel dans un lieu où la clientèle type est composée de gens venus en famille se faire plaisir et s’amuser. Le padel rentre tout à fait dans cette approche.
Nous c’est vrai que l’on a un partenariat historique avec Jo-Wilfried Tsonga que l’on a équipé comme athlète et que c’était avant tout un projet très tennis mais ils viennent très naturellement au padel. Et puis, les champions, au départ, ce sont des jeunes qui jouent dans des clubs et qui sont passionnés. Dès lors, c’est à travers l’augmentation de la pratique que certains émergeront pour devenir des compétiteurs internationaux.
Tennis/padel, rivalité ou complémentarité ?
C’est comme le foot avec le futsal, on fait du tennis, du badminton, du padel… Ce sont des sports de raquette complémentaires qui peuvent cohabiter puisque la pratique du padel fait venir ou revenir des gens aux sports de raquettes et donc permettre le développement du tennis.
Louis-Marie Valin
Crédits photos : Babolat
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