Par Frédérique Genton, partner au sein du cabinet Exec Avenue
Tribune. A la suite de l’annonce du plan de relance de la Commission européenne : Next Generation EU, doté de 750 millions d‘euros, beaucoup se sont félicités du « réveil de la relation franco-allemande », les deux pays s’étant montré particulièrement (et étonnamment) soudés et alignés dans leurs propositions. Ce plan de relance sans précédent, initié par la France et l’Allemagne permet de rappeler à nombre d’entreprises et dirigeants que face à la crise Covid-19, l’Europe, et notamment l’Allemagne, offrent de réelles perspectives de développement.
Premier client et premier fournisseur de la France, l’Allemagne représente un marché à fort potentiel et un incontestable accélérateur pour les entreprises françaises. Certaines l’ont d’ailleurs bien compris. En témoigne le dynamisme des transactions internationales entre les deux pays depuis quelques années, 2018 et 2019 ayant été des années historiques. En effet, en 2019, sur les 149 opérations réalisées entre les deux pays, 101 étaient des acquisitions d’entreprises allemandes par des entreprises françaises[1], parmi lesquelles Aereco, spécialisé dans les métiers de la ventilation qui a racheté son partenaire allemand MackThermo Technik ; Serge Ferrari, spécialiste isérois des matériaux souples, qui a acheté son principal concurrent allemand Verseidag-Indutex ; ou encore La Poste qui entend prendre le contrôle d’ Hermès auprès du groupe allemand Otto. Depuis 2013, le nombre de ces acquisitions a été multiplié par trois : preuve de l’intérêt croissant des entreprises françaises pour le marché allemand.
Mais, si la France se situe en troisième position du classement des pays investissant le plus en Allemagne, elle est encore bien loin derrière le Royaume-Uni et les Etats-Unis, qui ont respectivement réalisé 480 et 794 opérations en 2019. Alors pourquoi la France ne saisit-elle pas davantage les opportunités qui s’offre à elle Outre-Rhin ? Pourquoi ne pas investir plus et mieux dans un pays où le moral des chefs d’entreprises ne cesse de s’améliorer ? Comme en témoigne l’enquête de l’institut allemand IFO, dont l’indice IFO est remonté à son plus haut niveau depuis février 2020 avec un score de 93,4.
Des préjugés empêchent encore les dirigeants français de se développer en Allemagne
Ils sont nombreux et souvent induits par une méconnaissance des différences culturelles. A titre d’exemple, l’existence d’un Betriebsrat au sein des entreprises allemandes inquiète souvent. Pourtant, même s’il rend le processus de décision plus long qu’en France, en réalité il sécurise sa mise en œuvre, car chaque partie prenante s’identifiera à la décision prise par consensus.
Les différents styles de management surprennent également et amènent les dirigeants français à conjuguer approche managériale très directe et dialectique participative. Enfin, le besoin impérieux de process, de règles, ou bien les spécificités de modes de consommation plus sobres et économes dans un pays qui a compris bien avant les autres certains enjeux environnements et sociétaux, peuvent parfois dérouter Sans parler des craintes liées au fonctionnement fédéral du pays, organisé en Länder ayant chacun leurs spécificités : cela implique de veiller à choisir son lieu d’implantation en fonction de son secteur d’activité, pour ensuite seulement se développer sur tout le territoire (Francfort pour la finance, Hambourg pour les activités liées au port, la distribution, la construction et la logistique, Berlin pour les start-up, Stuttgart et Cologne pour l’automobile ou la chimie… ). Car il est vrai qu’il n’y a pas une mais des Allemagne.
En réalité, ces différences culturelles si elles sont bien maîtrisées deviennent incontestablement des leviers de performance et développement stratégique et économique pour les entreprises françaises, qui peuvent également apporter aux équipes allemandes d’autres manière de faire qui seront appréciées. La crise que nous traversons nous invite à repenser nos organisations et peut à ce titre être une formidable opportunité de se développer en Allemagne et retisser des liens forts entre nos deux pays en conjuguant nos savoir-faire.
Parce que, oui, les opportunités sont nombreuses en Allemagne. La crise a globalement été maîtrisée et la reprise est attendue dès 2021 avec des prévisions de +4,4% de croissance. Les opportunités vont être d’autant plus nombreuses ces prochaines années que l’Allemagne fait face une situation sans précédent liée au vieillissement de sa population. En effet, plus de 50% des dirigeants des entreprises familiales allemandes (le « Mittelstand » tant envié) sont aujourd’hui âgés plus de 55 ans. Ce chiffre devrait passer à 70% d’ici 5 ans. Ce sont autant de dirigeants qui partiront à la retraite d’ici 10-15 ans et d’entreprises qui rechercheront par conséquent un repreneur[2]. De quoi offrir de belles perspectives aux entreprises françaises.
Par ailleurs, l’Allemagne est confrontée depuis plusieurs années à une pénurie de cadres dirigeants qualifiés, que le vieillissement de sa population ne va qu’aggraver. La question de la relève managériale est régulièrement soulevée. Aux dirigeants qui aspirent à stimuler leur croissance, à pérenniser leurs activités, à trouver un nouvel ancrage européen, à ceux qui rêvent d’un changement de vie et à ceux qui souhaitent s’ouvrir plus largement au marché européen et à l’international, l’Allemagne n’est pas si loin.
- Etude PwC Évolution du marché des fusions-acquisitions franco-allemandes en 2019, publiée en mars 2020
- Etude menée en avril 2020 par les chambres de commerce allemandes des Länder (Industrie und Handels Kammer – IHK)