Directrice Générale d’Indépendance Royale, Groupe leader dans l’équipement du domicile des seniors, Dorothée Ferreira est également Présidente du MEDEF Limousin et membre du Conseil Exécutif National du MEDEF. Cette femme issue du Limousin défend des valeurs fortes comme l’inclusion, la solidarité entre les entreprises, la cohésion des territoires, et est fortement impliquée dans la vie économique de sa région. Entretien.
Peut-on qualifier votre parcours d’atypique ?
Fille d’immigrés portugais, j’ai grandi dans un quartier très populaire de Limoges. Après un BTS commerce international et un premier emploi, j’ai opté pour un retour aux sources dans le Limousin en intégrant le Groupe Indépendance Royale. J’ai gravi les échelons en restructurant la fonction commerciale, puis l’ensemble des process, dans un contexte de forte croissance. Fin 2016, je devenais Directrice Générale du Groupe. J’avais alors 37 ans.
L’inclusion représente pour vous une valeur essentielle…
La mission de notre Groupe, référent de la Silver économie, consiste à inclure les seniors dans la société en leur permettant de vivre plus longtemps à leur domicile. Il nous a semblé évident de défendre cette valeur au sein de l’entreprise avec un management inclusif. Nous considérons les personnes sur ce qu’elles font et non sur ce qu’elles sont. La promotion interne est priorisée car nous souhaitons faire grandir les salariés dans notre société et donner à chacun sa chance. J’en suis moi-même un exemple. La mixité s’est ainsi faite toute seule au sein de l’encadrement et les équipes sont très soudées.
Depuis quelques années, le Groupe a connu un fort développement…
En effet, mais un chef d’entreprise ne fait rien seul, il doit savoir bien s’entourer. Et le type de management est la condition sine qua non du succès, surtout aujourd’hui où il faut se réinventer constamment. Nous sommes fiers d’avoir été classés dans les 150 entreprises françaises ayant le meilleur climat social par le label Happy at Work.
Quel est le sens de votre engagement au Medef ?
Cette implication me semble importante pour tout chef d’entreprise : nous nous devons de participer pleinement à la vie de la Cité, de donner du sens à notre action, d’être responsables de notre entreprise comme du bien commun. C’est d’ailleurs la raison d’être du Medef : une croissance responsable. Je suis Présidente du Medef Limousin, membre du Conseil Exécutif National, et du Comex 40.
En tant que Présidente du Medef Limousin, vous êtes concernée par la question des territoires. Peut-on parler de fracture territoriale en France ?
Notre nation s’est construite par assimilation successive des régions françaises, par intégration des identités régionales. Cette centralisation politique est allée de pair avec une centralisation économique. Depuis le succès de concepts comme « La diagonale du vide » ou encore « Paris et le désert français», évoqué dans l’ouvrage de référence de Jean-François Gravier publié en 1947, les choses ont évolué. Nous sommes passés d’une hyper concentration parisienne à une concentration sur un petit nombre de très grandes métropoles. C’est le phénomène bien connu de métropolisation.
L’édition 2020 du baromètre Arthur Loyd sur l’attractivité des métropoles françaises indique qu’en 20 ans, la population française a augmenté de 12 %, mais la population des 6 plus grandes aires urbaines hors Paris (soit Lyon, Aix Marseille, Toulouse, Bordeaux, Lille et Nice) s’est accrue de 17 %. Aujourd’hui, en France, 15 aires urbaines de plus de 500 000 habitants concentrent 43 % de la population, 46 % des emplois et 55 % de la masse salariale, avec un produit intérieur brut par habitant en moyenne plus élevé de 50 % que le reste du pays.
Quels sont les risques de la métropolisation ?
De même que l’exode rural avait vidé les campagnes, la métropolisation pourrait bien vider les petites et moyennes villes. Au quotidien, cela se constate notamment par le phénomène de la désertification des centre-villes, qui peut atteindre jusqu’à 15 % dans les petites villes alors qu’il n’est que de 7 % dans les villes de plus de 250 000 habitants. Au-delà des aspects économiques, la fracture territoriale, si elle n’est pas maîtrisée, est aussi le terreau du développement de tous les populismes. Le risque est de creuser un écart entre deux France, et l’enjeu démocratique est réel.
Ces disparités se traduisent-elles sur le plan de l’emploi ?
Naturellement. Si l’on analyse les créations nettes d’ emplois entre 2009 et 2019, l’effet de concentration est spectaculaire. En 10 ans, 1 340 000 emplois ont été créés en France, dont 588 000 dans les 20 grandes métropoles régionales, 479 000 dans le très Grand Paris, 200 000 dans les métropoles de taille moyenne et 70 000 dans le reste de la France. 80 % des créations d’emplois sont donc intervenues sur des territoires représentant 10 % de la surface de la France. Les petites et moyennes villes ont souffert de la désindustrialisation du pays tandis que toute l’économie de la connaissance se concentre dans les grandes métropoles. Une étude de France Stratégie de 2017 soulignait ce phénomène de spécialisation, notant qu’il n’était pas forcément néfaste si les territoires périphériques aux grandes métropoles pouvaient en bénéficier. Et en effet, la croissance de l’emploi dans les zones autour des métropoles avait été de 1,4 % entre 1999 et 2014 contre 0,8 % sur l’ensemble du territoire, soit quasiment le double.
Ce phénomène de métropolisation correspond-il aux attentes des français ?
L’attachement à un territoire n’est pas donné, il se construit. Le Limousin n’est pas le territoire de mes ancêtres et pourtant j’y suis très attachée car j’y suis née, j’y ai grandi. Pour beaucoup de Français, le territoire reste une donnée très importante de leur existence.
Le Medef a-t-il pris en compte ces évolutions ?
Oui, c’était même un des axes majeurs de la réforme initiée par Geoffroy Roux de Bézieux, qui a souhaité renforcer le rôle des Medef territoriaux et régionaux. L’idée est de maintenir des identités culturelles spécifiques, tout en bénéficiant de l’attractivité d’une région capable de faire jeu égal avec d’autres grandes régions européennes. C’est le cas par exemple du Medef Limousin et du Medef Nouvelle-Aquitaine dont il fait partie, avec comme pôle fort la métropole bordelaise. Je crois que l’avenir de notre pays doit passer par une armature territoriale forte, associant de grandes métropoles à un réseau de villes petites et moyennes dynamiques. Notre cohésion nationale est à ce prix. Une commission du Medef national « Croissance et territoires », présidée par Sophie Garcia et Olivier Salleron, travaille sur ce thème.
Quelles sont les solutions ?
Ce sera la combinaison de plusieurs facteurs, comme le soulignait le récent rapport de l’ Institut Montaigne. Nombreux sont les territoires qui ont commencé à prendre leur destin en main, en engageant des actions de revitalisation économique qui passent notamment par une numérisation massive et l’attention portée aux jeunes. Lors de la REF 2020 (Renaissance des Entreprises de France), le Medef a pris des engagements sur ces sujets, engagements sur lesquels nous travaillons au Medef Limousin.
Rappelons que la France est en retard sur le plan de la numérisation des entreprises. Le Medef s’en est emparé en créant l’Université du numérique, à destination essentiellement des patrons de TPE et PME. Les jeunes font partie de l’équation, pour que puisse s’ enclencher un cercle vertueux. Attirer des jeunes, cela permet d’accélérer la conversion au numérique. Et numériser les entreprises permet d’attirer des talents. Chez Indépendance Royale, nous sommes proches du stade zéro papier et nous voyons arriver des jeunes cadres qui ont choisi de s’installer, ou de se ré-installer, en Limousin.
Mais pour vous, la clé, c’est l’investissement dans les infrastructures…
Oui, c’est la mère des batailles ! Rappelons par exemple que le World Economic Forum nous classait en 2012 à la première place mondiale pour la qualité des routes, et que nous n’avons cessé de régresser pour être désormais à la 18ème place. Et c’est le cas pour tous les réseaux. Les territoires ne pourront se développer que si un véritable New Deal est mis en œuvre, en associant toutes les forces vives du pays et de l’Europe. Ceci implique de penser notre pays dans son ensemble, et surtout sur le long terme, avec une vision intégrée, transversale.
L.Q.