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D’une Vanessa l’autre, Matzneff définitivement M le maudit


Le Consentement, livre de Vanessa Springora devenue pièce de théâtre sort maintenant au cinéma : un film réalisé par Vanessa Filho, avec Kim Higelin - la petite-fille de Jacques - Vanessa jeune ; Laetitia Casta, sa mère, et Élodie Bouchez, Vanessa Springora adulte. Le filon Gabriel Matzneff en M le maudit semble loin d’être épuisé. Le mouvement me-too en véritable cheval de Troie, répand le néo-puritanisme nord-américain dans la vieille Europe et particulièrement en France.

Jean-Paul Rouve en Gabriel Matzneff, dans Le Consentement.

Par Thierry Martin, écrivain, publiciste, essayiste

Avertissement : Toute œuvre est autobiographique mais il faut savoir distinguer l’œuvre de l’auteur, je parle de celle de Matzneff. Le Consentement, le livre comme le film ne sont que des outils, au service d’une action qui rappelle la propagande stalinienne, pour démolir un homme sans qu’il puisse répondre. Nous ne sommes ni dans la littérature, n’en déplaise à Grasset, ni dans le cinéma. Ceux qui découvrent Matzneff l’écrivain, ne pourrons pas lire ses livres désormais retirés de la vente. Comment comprendre cet hallali, cet acharnement à caricaturer un vieil écrivain qui n’a été au fond qu’un serial lover. Certes il a apparemment enfreint la loi. Nous rappelons ici qu’il faut respecter la loi par principe, même si sur le plan littéraire on peut toujours avoir un faible pour Antigone.

Tout en nuances La Nouvelle République (quotidien régional du Centre-Ouest) titre : Jean-Paul Rouve incarne la « saleté Matzneff » pour parler du consentement. Puis enfonce le clou : connu du grand public pour son rôle de Jeff Tuche, il n’avait probablement jamais joué le rôle de quelqu’un d’aussi « écœurant ». C’est au tueur en série Hannibal Lecter qu’il se réfère dit-il pour incarner l’écrivain. Waouh ! Excusez du peu !  Crâne rasé, lunettes de soleil, sourire lubrique lorsqu’il attend sa proie à la sortie du lycée, il ne lui manque que des lentilles colorées pour rendre l’irrésistible regard bleu de l’écrivain. Séances de natation, régime, UV : l’acteur a modelé son corps pour se rapprocher de la belle allure du quinquagénaire. Soi-disant pour marquer les esprits, le spectateur aura droit au détail des séances de touche-pipi, la cinéaste nous dit-on, a choisi de ne pas éluder les scènes d’intimité.

L’an dernier les éditions de la Nouvelle Librairie ont renoncé (provisoirement ?) à publier le nouveau livre de Gabriel Matzneff, en raison de menaces de mort et d’actes de vandalisme. Pourquoi ? Parce que l’écrivain est sous le coup d’une enquête pour viol sur mineurs, enquête ouverte après la parution du récit de Vanessa Springora : Le Consentement, en janvier 2020. Ce livre Derniers écrits avant le massacre était un recueil d’articles rédigés par Gabriel Matzneff entre 2015 et 2019. Des menaces de mort contre son personnel ont eu raison de la volonté de l’éditeur pourtant courageux

La grande machine s’est mise en branle avec la fameuse publication du livre de celle qui adolescente lui avait pourtant écrit dans une lettre d’adieu : « Ton amour, Gabriel, est un soleil qui brillera en moi pour toujours. Jamais de la vie l’idée de regretter de t’avoir connu et aimé ne me viendra, je le jure devant Dieu »[1]. Aujourd’hui c’est l’hallali général.

Qui aurait imaginé que la police française qui a tant à faire, prendrait la peine de faire l’exégète de l’œuvre de Matzneff ? Réfugié de fait sur les bords de la Riviera italienne, l’écrivain Gabriel Matzneff voyait son domicile parisien perquisitionné la veille de la Saint Valentin par les policiers de l’Office central de répression des violences aux personnes, cela au lendemain d’une perquisition chez l’éditeur Gallimard. Plus de cinquante livres, romans, essais, récits, poèmes et journaux intimes, soumis à la sagacité de nos fins limiers, mais un livre peut-il servir de pièce à conviction ? En fait « les enquêteurs recherchent surtout des passages écrits de l’écrivain ne figurant pas dans ses ouvrages publiés »[2], afin d’identifier des victimes potentielles. La différence entre un criminel et un écrivain, c’est que l’écrivain laisse des traces, c’est même son métier.

Matzneff aura la force d’écrire Vanessavirus le livre-riposte refusé, Gallimard en tête, par tous les éditeurs français, auto-édité en peu d’exemplaires, vite inaccessible en langue française ; « c’est l’histoire d’une chasse à l’homme, l’histoire d’un assassinat » raconte l’éditeur italien Liberilibri. On y retrouve forcément sa descente aux Enfers qu’on voit poindre derrière son recueil d’émiles[3], 2020, l’horrible année, destiné aux happy few ? Quel Kubrick fera le film ? Quel Truffaut ? « Les lettres électroniques qui composent cet ouvrage furent toutes écrites, et postées, du fond de la fosse ardente du roi Nabuchodonosor où je fus précipité dès les derniers jours de décembre 2019 ; d’où je ne ressusciterai qu’après ma mort », écrit-il en avant-propos.

Il faut dire que Le Point a mis fin à sa chronique hebdomadaire, ses livres retirés de la vente, l’aide du CNL définitivement arrêtée – ce dont Rima Abdul-Malak, ministre de la culture, s’est réjoui – il ne lui reste que 847 euros mensuels de retraite pour le loyer de son studio qui s’élève à 624 euros dans le Ve arrondissement, détenu par le troisième bailleur social de la ville de Paris qui a refusé àl’écrivain déchu, aujourd’hui gravement malade, la réfection de sa salle de bain de 28 ans d’âge, bien qu’il fut soutenu en ce sens par Florence Berthout, maire LR du Ve, la mesquinerie comme le diable se cache dans les détails.

« Lors de ma convocation dans l’affaire Matzneff à Nanterre, raconte Philippe Sollers[4], je me voyais déjà en garde à vue ! Je suis reçu par la commissaire divisionnaire, Véronique, une femme charmante au demeurant. Je lui parle de Gide. « Oh non pas ça, c’est dégoûtant. » Sade ! « Ah non, quelle horreur. » 

« Mon point de vue en littérature n’est jamais moral. La moraline, comme dit Nietzsche, m’est absente. À la moraline, aujourd’hui, on vous ajoute la culpabiline, qu’on vous fait boire à haute dose. Eh bien non, un innocent dans un monde coupable ne boit pas de la culpabiline ! L’époque où nous vivons, c’est ça : on est coincés entre la moraline et la culpabiline, » nous dit Sollers qui est aussi l’éditeur des Carnets noirs de Matzneff.

« Ne mélangeons pas tout. Springora n’a pas été violée, elle a subi une emprise. » Son livre ? « C’est un très bon témoignage, qui d’ailleurs a enflammé tout de suite le marché. Il n’a pas à proprement parler de qualité littéraire, mais il faut le lire, pour savoir que le consentement est une notion qui peut être discutée. Vanessa Springora était sous emprise, mais, et elle le dit, elle était tout à fait consentante. Lui-même était très amoureux. Vous savez, il est très naïf, pour lui ce livre est une trahison. Là où Vanessa Springora est intéressante, c’est qu’au fond, et elle le dit, elle aurait pu vivre cette histoire s’il n’y avait pas eu le reste, les autres. Si elle avait été la seule, pourquoi pas ? »

« Il faut lire d’une main, Le Consentement. Et de l’autre, ce que vous n’avez pas fait – et vous ne le ferez pas puisque le livre est retiré de la vente – La Prunelle de mes yeux, et le rapport extraordinairement minutieux et quotidien que Matzneff y fait de leur relation. Sans avoir lu les deux, vous ne pouvez pas comprendre, » conclut Philippe Sollers.

Vanessa Springora, désormais éditeur après de brillantes études littéraires (tiens donc), décrit dans Le Consentement, comment, adolescente, elle a été séduite par un bientôt quinquagénaire pygmalion et l’emprise qu’elle a subie. Soit, mais ce n’était ni Dutroux, ni Fourniret et moins encore une question de réseaux. Ce n’était même pas l’érotomane Clare Quilty, le vrai méchant dans Lolita de Nabokov, et non pas ce pauvre Humbert Humbert.

Quand j’ai lu « A quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche, à l’heure du goûter »[5], j’ai eu plus envie de rire que de pleurer, décelant dans cette phrase comme une forme d’ironie qui en faisait sa saveur littéraire. Écrire et se victimiser, au lieu de sublimer, c’est vouloir le beurre et l’argent du beurre en criminalisant le sourire cupide du crémier. Et puis, une jeune fille, une fille nubile n’est pas une petite fille, encore moins une enfant. Matzneff de son côté dénonce « de si injustes et excessives attaques » et évoque « la beauté de l’amour [qu’ils vécurent], Vanessa et [lui] »[6].

Thierry Martin

Les tribulations d’une jeune fille de Province à Saint-Germain-Des-Prés: Diptyque : À elle , À lui | Liaisons Paresseuses : MARTIN, Thierry: Amazon.fr: Livres
(Courte nouvelle dans laquelle Gabriel Matzneff apparait en tant que personnage, l’action se passe en 98)


[1] Dans une interview, Matzneff dévoile une lettre d’amour et d’adieu de sa muse, «V******» (lefigaro.fr)
[2] Perquisition au domicile de l’écrivain Gabriel Matzneff à Paris (france24.com)
[3] Emile pour email selon l’écrivain.
[4] Reprise des propos de Philippe Sollers déjà publié par l’auteur dans sa nécrologie C’était Sollers C’était Sollers – Dreuz.info
[5] Vanessa Springora dénonce les actes pédocriminels de Gabriel Matzneff dans un livre – Marie Claire
[6] Affaire Gabriel Matzneff : Bernard Pivot finit par exprimer des regrets – ladepeche.fr

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