Depuis plusieurs années, les investiiseurs chinois montrent un intérêt manifeste pour les TPE et PME françaises, notamment celles qui développent des technologies avancées…
En 10 ans, la Chine est passée de la place de quatrième puissance économique mondiale à celle de première. Pour atteindre ce but, précise Francis Journot, animateur du mouvement associatif citoyen indépendant Rendez-nous notre industrie, « elle n’avait pas le temps matériel d’inventer des technologies et a préféré les acquérir à peu de frais. Dans cette course au PIB, elle ne néglige aucun secteur d’activité et tente de s’assurer le contrôle des entreprises susceptibles de lui procurer les technologies qu’elle ne maîtrise pas ».
La France est riche d’un patrimoine industriel – qui certes se réduit comme une peau de chagrin – auparavant diversifié et prestigieux.
Moins protectionniste que d’autres, notre pays a toujours constitué une cible de choix dotée d’un important vivier de savoirs-faire. Francis Journot est convaincu que les ambitions chinoises ne se limiteront pas à l’industrie manufacturière : « Vignobles, luxe, loisirs et chaînes d’hôtels sont maintenant les nouvelles proies qui confèreront demain le prestige à des groupes chinois en quête de notoriété, encore peu connus en Occident ».
La morosité de l’économie européenne : un terrain de jeu favorable aux investissements chinois
De nombreuses entreprises occidentales, laminées par la crise et au bord de la faillite, cherchent des repreneurs. « Leur niveau de valorisation devient très accessible et le moment est donc particulièrement opportun pour les entreprises chinoises de s’offrir à moindre coût des technologies avancées, des savoir-faire et des marque connues » précise Camille Yihua Chen. Les coûts d’acquisitions sont d’autant moins élevés qu’entre novembre 2009 et juillet 2015 le RMB, la monnaie chinoise, s’est apprécié de 51 % face à l’euro.
En France, l’industrie manufacturière, notamment celle des biens de consommation, ne constitue plus une priorité depuis plusieurs décennies. Les usines qui ont survécu jusque-là au dumping social de la Chine mais qui sollicitent maintenant l’aide de l’État sont le plus souvent éconduites. Bien qu’ils soient parfaitement conscients des risques, les dirigeants n’ont guère le choix et se tournent en dernier recours vers des fonds chinois.
Derrière quelques exemples très médiatisés de collaborations réussies, Francis Journot dépeint un scenario moins idyllique. « Les sauveurs sont reçus en grande pompe et promettent alors maintien de l’emploi et nouveaux investissements pour pérenniser l’entreprise. L’aide financière de l’État jusque là refusée afin de ne guère contrevenir aux règles européennes relatives à la concurrence, abonde opportunément sous forme de subventions en R&D, allégements ou primes. »
Ingénieurs et ouvriers jouent le jeu, forment leurs homologues chinois en France, ou même parfois en Chine, afin de créer les synergies qui ne manqueront pas de hisser le groupe parmi les leaders mondiaux. Mais lorsque les transferts de technologies et de savoirs-faire sont effectués et la propriété de la marque transférée, Francis Journot indique que la fermeture se profile à nouveau. « Un directeur sans pouvoir ni compétences ne s’exprimant qu’en chinois est nommé. L’usine n’a plus de projet, ne produit plus et attend la fin. »
Un intérêt manifeste pour les technologies avancées malgré un tissu industriel français déclinant
Même s’il est vrai que le tissu industriel français est déclinant par rapport à l’industrie allemande, l’engouement pour l’industrie hexagonale s’explique surtout par le fait que les PME-PMI françaises possèdent un certain nombre de technologies avancées qui intéressent les Chinois. La journaliste spécialisée sur le sujet rappelle qu’il y a quelques années, « le groupe Weichai a racheté le groupe français Moteurs Baudoin, fabricant de moteurs pour la marine situé près de Marseille ».
« J’ai rencontré l’acquéreur chinois et lui ai demandé la motivation de ce rachat. La technologie de pointe de cette entreprise était-elle la raison de cet investissement ? Sa réponse fut négative et il me précisa qu’ils savaient également fabriquer des moteurs marins en Chine. Néanmoins, la technologie que possède Moteurs Baudoin constituait un maillon manquant de la chaine de fabrication chinoise, d’où l’intérêt porté à l’entreprise ».
Ce fut le même schéma pour le groupe chinois Yto, le plus grand fabricant de tracteurs et d’autres engins agricoles en Chine. Lorsqu’ils ont décidé de racheter l’entreprise franco-italienne McCormick situé à Saint-Dizier, la finalité était d’acquérir la technologie de fabrication de transmissions pour les tracteurs. Ce groupe chinois savait bien évidemment fabriquer des transmissions pour tracteurs, mais ne savaient pas produire des transmissions de très grosse capacité. On le constate : les Chinois témoignent d’un fort intérêt pour les complémentarités.
Les évènements clés sur le front des acquisitions
L’acquisition de 49.9% des parts de l’aéroport de Toulouse-Blagnac est sans doute la transaction qui démontre le mieux la vision stratégique à long terme de la Chine.
Pour Francis Journot, l’ambition est explicite : la Chine « compte s’offrir, avec le concours des gouvernements, les infrastructures qui lui permettront de continuer à inonder l’Europe de ses produits ».
Certes, la vente a rapporté 308 millions d’euros à l’État français, soit un peu plus de l’équivalent d’une année de recettes fiscales mais quels sont les effets collatéraux de cette opération ? Sur un plan essentiellement économique, Francis Journot estime qu’ « on peut douter de la pertinence des décisions du gouvernement. En effet, poursuit-il l’annulation de la vente des Mistrals à la Russie pourrait nous coûter une somme trois fois plus importante. »
La cession de parts de l’aéroport semble révélatrice d’une politique française à la petite semaine diamétralement opposée à celle de la Chine. « Les choix dictés par la politique étrangère déclare-t-il s’avèrent souvent à terme peu compatibles avec les intérêts économiques ». Depuis plusieurs décennie, notre pays n’a plus de vision économique ni de véritable projet industriel. « Fonds prédateurs et concurrents économiques pensent maintenant que la France est prête à vendre à peu près tout ce qu’ils souhaitent acheter, même lorsque leurs investissements visent des secteurs stratégiques, pourvu qu’ils permettent à l’État français de boucler son budget annuel », surenchérit Francis Journot.
Le contexte social en question
Camille Yihua Chen invite à ne pas oublier que la main-d’œuvre française est très qualitative pour les Chinois. « Lorsque les Chinois rachètent des entreprises industrielles françaises, argue-t-elle, ils conservent généralement les équipes en place. Au cours de mon enquête de terrain qui a durée entre 6 et 8 mois, j’ai pu constater objectivement que les investisseurs chinois conservaient majoritairement l’équipe dirigeante et les salariés de l’entreprise. Les Chinois ont compris après avoir essuyé pas mal d’échecs dans d’autres pays tels que les États-Unis ou l’Angleterre, l’importance de maintenir l’équipe dirigeante en place et de leur laisser le soin de gérer l’entreprise ».
Les investisseurs arrivent dans un pays occidental dont ils ne connaissent pas l’environnement socioculturel, juridique et fiscal et il leur semble donc plus prudent de laisser faire les spécialistes. Pour ce qui est de la reprise des salariés, les Chinois ont compris à leurs dépens qu’en France et même dans d’autres pays européens, la législation et le Code du travail étant très strictes, il vaut mieux respecter la loi du pays d’accueil sous peine de se heurter à de sérieux problèmes.
Les impacts sociaux sur les entreprise française rachetées
Les Chinois arrivent-ils avec un cahier des charges qu’ils imposent ? « Avant de commencer mon enquête, précise Camille Yihua Chen, j’ai lu beaucoup d’articles publiés dans la presse française à travers lesquels transpirait une réelle inquiétude des Français face à l’arrivée des Chinois. Ils s’imaginaient les Chinois débarquant avec leur propre main d’œuvre et ne respectant pas le Code du travail du pays d’accueil conformément à certains archétypes véhiculés ».
La journaliste a enquêté sur le terrain en se concentrant sur les cas les plus représentatifs, soit sur les rachats représentant des montants très importants. Dans une dizaine de cas sur lesquels elle a enquêté, elle affirme n’avoir constaté aucun exemple de délocalisation. Au contraire, les investisseurs sont venus avec des capitaux très conséquents de l’ordre des centaines des millions d’euros grâce auxquels ils ont repris des sociétés françaises souvent au bord de la faillite.
Camille Yihua Chen renforce son analyse en constatant qu’ « ils ont repris tous les salariés aux mêmes conditions salariales et en respectant les conventions collectives en vigueur ». Tout n’est pas rose cependant, certains cas ont été des échecs, comme par exemple le rachat de la coopérative agricole Le Cabanon. Après avoir injecté et réinjecté des capitaux dans cette entreprise française spécialisée dans la transformation de tomates, les Chinois l’ont finalement revendue faute de réussir à redresser la situation.
L’intérêt des Chinois pour les TPE et PME françaises
Les Chinois ont mis à disposition 1Mds d’euros de prêts pour les PME de la région Midi-Pyrénées.
Selon l’auteur de l’étude, il s’agit d’une opération qui a pour but d’accompagner les PME et PMI françaises sur le marché chinois. Pour la banque chinoise ICBC qui a accordé un prêt d’un milliard d’euros, l’intérêt est essentiellement d’ordre financier. Quant aux PME et PMI françaises bénéficiaires du prêt, elles disposent à présent d’un trésor de guerre conséquent pour se lancer à la conquête d’un marché chinois réputé difficile d’accès, surtout pour les petites entreprises qui n’ont pas les reins solides.
Les Impacts et conséquences sur l’économie française à moyen et long terme
Il est difficile de se prononcer à moyen et long terme car le phénomène de l’investissement chinois en France est récent, il n’existe donc pas d’antécédents permettant de mesurer les conséquences à moyen et long termes. À court terme, soit depuis que les Chinois ont commencé à investir en France (depuis 5 ou 6 ans, voire 7 ans), force est de constater, selon Camille Yihua Chen, « que lorsque cela se passe bien, les investissements chinois en France constituent une véritable bouffée d’oxygène pour l’économie du pays ».
La journaliste d’investigation dit ne pas avoir entendu des cas de délocalisation. « Dans plusieurs cas, tels que le rachat de la société MacCormick par le Chinois Yto, celui du rachat des Moteurs Baudoin par Weichai ou d’Adisseo , rien de tel ne s’est produit. Cela s’est globalement bien passé dans le sens où ils ont réussi à redresser la situation. Dans le cas d’Adisseo, le chiffre d’affaires a doublé en six ans pour atteindre 1 milliard d’euros et la rentabilité financière de l’entreprise a été multipliée par cinq. Le bilan est résolument positif. »
Des investissements stratégiques ou à forte valeur stratégique qui défrayent l’opinion
Concernant les acquisitions dans le domaine viticole, par exemple, les Chinois ont racheté une centaine de domaines depuis 2008. Camille Yihua Chen s’est entretenue avec d’anciens propriétaires de ces châteaux et quelques représentants de l’Etat français en matière d’aménagement foncier.
Tous lui ont indiqué que l’argent chinois avait permis de restaurer des châteaux tombés en déshérence et de dynamiser le tissu économique local, car les domaines viticoles repris par des Chinois n’intéressent pas les Français en raison de leur manque de rentabilité Mais pour les Chinois, il s’agit d’un filon particulièrement intéressant.
Il convient de préciser que les Chinois ayant fait l’acquisition de ces vignobles détiennent beaucoup d’argent. Ils investissent pour restaurer les châteaux, replantent des vignes et fabriquent du vin sur place avant d’exporter les bouteilles en Chine. Selon elle, « c’est un modèle assez gagnant à condition de disposer de beaucoup d’argent en amont car à court terme, l’opération ne s’avère pas très rentable ».
Dans l’industrie laitière, l’industriel chinois Synutra s’est associé avec la première coopérative laitière française Sodiaal pour construire une usine de fabrication de poudre de lait infantile en Bretagne. Grâce à l’argent injecté par le groupe chinois, Sodiaal a pu sauver une de ses usines menacées de fermeture, préserver une centaine d’emplois et en créer d’autres.
Evaluer les dangers de l’espionnage industriel
Camille Yihua Chen qui s’est entretenue avec un avocat spécialisé sur le sujet récuse l’accusation de « piratage économique » : « il m’a indiqué n’avoir jamais eu de cas de pillage de technologie avéré de la part de Chinois jusqu’à présent. ll est important de faire la différence entre le pillage de technologie et le transfert de technologie ».
Il est vrai que la Chine a longtemps pratiqué le transfert de technologie, surtout dans les années 90, lorsqu’elle concluait des accords avec des sociétés occidentales pour attirer des investisseurs occidentaux sur son territoire. Les Chinois leur demandaient de leur céder leur technologie en échange de l’immensité du marché chinois. À partir du moment où les Chinois achetaient la technologie, tout porte à croire que cela se faisait en accord avec ses partenaires étrangers ?
Les villes françaises devenue chinoises : entre phobie et réalité
Francis Journot a interpellé le président de la Cour des Comptes Didier Migaud ainsi que les présidents des régions Centre-Limousin (M. Pierre Van Herzele) et Champagne-Alsace –Ardenne-Lorraine, (M.Dominique Roguez) à ce sujet, peu après la publication de sa tribune du 7 octobre 2014 dans le magazine Marianne (« Nouvelles villes chinoises en France : Un scandale industriel annoncé ? »).
Le militant associatif soulignait alors la responsabilité des acteurs publics qui facilitent l’aboutissement de ces projets engageant, sans visibilité et sans limite, l’argent de tous les contribuables français.
Par ailleurs, il évoquait le risque de devoir payer à la Commission Européenne des amendes en cas d’aides non conformes aux entreprises chinoises. Il prenait par ailleurs soin d’ajouter qu’il n’est pas certain que la France parvienne à obtenir la restitution, alors ordonnée par Bruxelles, des sommes indument allouées à 20 000 entreprises.
Les projets EuroSity, près de Châteauroux, Terralorraine ou ITEC près de Thionville font bonne figure en présentant des «hubs » de coopération franco-chinoise prévoyant la construction d’un pôle d’enseignement supérieur international, d’usines, de départements R&D, la transformation d’un Château en hôtel 4 étoiles, la création d’un 5 étoiles de 300 chambres ou la construction de tours de bureaux et de centaines de résidences.
Pour Francis Journot, « on peut craindre que l’activité consiste surtout à réaliser sur des produits finis ou semi-finis, une dernière étape mineure sur le territoire français afin de pouvoir ensuite inonder le marché européen et le monde entier de produits manufacturés et high-tech, avec un label « made in France» qui augmentera la valeur ajoutée d’une fabrication pourtant souvent préalablement exécutée dans des conditions de travail proches de l’esclavage ».
En Lorraine, on avançait le chiffre de 500 containers journaliers importés dès l’installation des 2 000 premières entreprises.
Annuellement, cela équivaudrait probablement à environ 2,5 ou 3 millions de tonnes de produits importés. Si l’on ose une projection, Francis Journot estime que « les 20 000 entreprises attendues pourraient bien importer chaque année autour de 25 ou 30 millions de tonnes de marchandises. Les effets sur l’emploi dans de nombreux pays d’Europe pourraient s’avérer désastreux et l’industrie européenne pourrait connaître une nouvelle hécatombe ».
Fin 2014, Francis Journot informait le président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker et plusieurs centaines de députés européens issus de pays en développement de l’UE dont l’industrie manufacturière des biens de consommation représente une part importante de leur PIB. Francis Journot ajoute que « même si aujourd’hui, bien qu’il soit prématuré d’y voir un signe de renoncement, les ambitions des deux projets semblent avoir été revues à la baisse et marquent un temps d’arrêt, il convient de rester vigilant ».