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Economie : les vérités de Jacques de Larosière


Jacques de Larosière a été successivement Directeur du Trésor, Directeur général du Fonds monétaire international, Gouverneur de la Banque de France et Président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. À 93 ans, il vient de faire paraître chez Odile Jacob un ouvrage ciselé sur l’avenir de...

Jacques de Larosière et Tom Benoit

Jacques de Larosière a été successivement Directeur du Trésor, Directeur général du Fonds monétaire international, Gouverneur de la Banque de France et Président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. À 93 ans, il vient de faire paraître chez Odile Jacob un ouvrage ciselé sur l’avenir de la finance mondiale. Très rare à la télévision, l’ancien haut fonctionnaire a accordé un long entretien à Tom Benoit pour l’émission Philoscopie. Le format, qui a été diffusé dans le monde entier, des USA au Moyen-Orient, est à revoir sur la plateforme de TV5Monde. Ci-dessous, les extraits choisis d’un échange lors duquel Jacques de Larosière alerte sur le désastre économique vers lequel, selon lui, nous nous sommes dirigés à cause de trop d’aisance monétaire.

Tom Benoit : Par rapport à l’époque lors de laquelle vous étiez aux manettes pour ainsi dire, le volume monétaire a été multiplié par quatre. Est-ce que les politiques des banques centrales auraient dû être plus restrictives depuis déjà une vingtaine d’années ?

Jacques de Larosière : Je n’emploierais pas l’expression “plus restrictives”. Je pense qu’elles auraient dû être plus adéquates. Parce que comme vous venez de le dire, les conditions monétaires ont été extrêmement généreuses et accommodantes durant les vingt dernières années. Ceci nous a conduit à des conséquences qui n’ont pas été comprises à l’époque où nous menions ces politiques, et qui sont littéralement désastreuses.

C’est-à-dire qu’on avait l’impression de générer de la richesse en créant du crédit et en générant de la monnaie.

Oui. C’est-à-dire que l’on a fait beaucoup de crédit et peu de croissance économique. On croyait qu’en faisant plus de crédit, et donc plus de monnaie, on générerait de la croissance. C’était une erreur, une erreur de conception, une erreur intellectuelle qui a présidé à toute la politique monétaire de ces dernières années.

Que se produirait-il si la politique monétaire des grandes banques centrales du monde ne conduisait pas vers un recul de l’inflation ?

Je suis obligé de reprendre votre question. Vous venez dire que les banques centrales ont pratiqué une politique de restriction depuis que l’inflation est arrivée. Il faut relativiser ce que vous venez de dire. Parce que ce qui est important est le taux d’intérêt réel. Or, le taux d’intérêt réel a diminué depuis cette soi-disant politique de restriction monétaire.

En 2022, juste avant de commencer la restriction monétaire, les taux d’intérêt réels étaient de moins un. Aujourd’hui on a effectivement relevé les taux nominaux. Mais pendant ce temps-là, l’inflation a grimpé, donc je ne peux pas répondre à cette question formulée par vous. Car depuis la prétendue hausse des taux, les taux ont diminué.

L’Eurosystème s’est procuré beaucoup d’obligations d’État françaises. La BCE ne devait pas se procurer de la dette émise par les États membres de l’UE. Que s’est-il produit pour qu’elle en arrive à le faire ?

Elle n’était pas du tout forcée de le faire. La BCE avait un mode de fonctionnement très curieux qui consistait à dire que l’inflation devrait être inférieure à 2 %. L’inflation naturelle, celle qui résulte des fondamentaux de l’offre et de la demande se situe plutôt à 1 %. Ils ont jeté de la monnaie dans le système dans l’espoir de faire légèrement remonter l’inflation. Sauf que l’inflation est restée à 1 %, bien que les dirigeants ont appuyé sur l’accélérateur monétaire, et quand les facteurs structurels se sont agités, cela a éclaté et l’inflation est passée à près de 10 %

Connaît-on aujourd’hui une politique de stagflation ?

Oui c’est très possible. Car en réalité la politique de la BCE depuis 2022, se serait plutôt desserrée, et non resserrée. Je reprends votre raisonnement, les banques centrales ont fait de la politique d’aisance monétaire, et pour cela, elles ont acheté des titres obligataires. Ceci est très facile puisqu’il suffit pour cela d’appuyer sur un bouton – puis vous donner de l’argent aux détenteurs de titres, et vous avez ces titres dans votre portefeuille.

Il s’agit d’une part d’argent magique entre guillemets. Mais aussi d’autre part, plausiblement, d’une dette qui a matière à être effacée. Parce que si l’on est débiteur auprès de la Banque centrale européenne, on peut imaginer qu’en cas de crise profonde, la Banque centrale européenne n’entre pas en conflit avec l’un des pays de sa zone monétaire auquel elle avait préalablement prêté de l’argent.

Oui. C’est une très curieuse considération que vous développez là. Parce que ce que vous êtes en train de me dire, c’est que la contrepartie de la création monétaire qu’est la détention de ces obligations n’a pas de valeur. Puisque dès lors qu’un problème apparaît, on peut tout mettre à la poubelle. Alors ça veut dire que l’acte de création monétaire qui a présidé à ces achats massifs d’obligations – je dis massifs, car il faut savoir que la BCE a acheté des titres obligataires à hauteur de 75 % du PIB de l’Europe -, n’a qu’une valeur relative. C’est là que je ne suis pas d’accord.

Tom Benoit

L’intégralité de cet entretien est disponible sur la chaîne YouTube de Géostratégie magazine.

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