L’Ecotaxe prévoyait, en 2007, de taxer les poids lourds de plus de 3,5 tonnes, sur certains tronçons du réseau routier français. Elle devait entrer en vigueur le 1er janvier 2014, mais face à différents problèmes techniques ainsi qu’à la mobilisation des «Bonnets rouges», en Bretagne, elle a été suspendue en novembre 2016. La facture s’élève déjà à plus de trois milliards d’euros de pertes pour l’État français et l’addition grossit tous les jours.
L’objectif de cette taxe, décidée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, était de prélever 1,2 milliard d’euros par an pour financer le développement des infrastructures de transport. Dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP),
la société Ecomouv’ a alors été choisie pour collecter la taxe
, grâce à des boîtiers embarqués sur les camions et des portiques installés sur les routes. Un travail pour lequel la société devait percevoir 200 millions d’euros annuels.
Le gouvernement de François Fillon avait élaboré, pour collecter l’écotaxe,
un partenariat avec un partenaire privé
, le choix s’étant arrêté sur le groupe Italien Autostrade (famille Benetton), allié dans la dernière ligne droite, à plusieurs entreprises françaises comme Thales, SNCF et SFR. Le consortium choisi a été baptisé «Ecomouv». Il devait collecter l’écotaxe pour le compte de l’État et se rémunérer en récupérant environ 20% des recettes de la taxe.
Le journaliste spécialiste des transports, Marc Fressoz, explique : «En France, on a des compagnies d’autoroutes puissantes et c’est leur pré-carré. On a choisi l’italien Autostrade alors que la Sanef voulait ce contrat et les sociétés d’autoroutes ont tiré à boulet rouge sur l’Italien. En plus, qui dit Italien dit «mafia», d’où les suspicions d’affaires de corruption ».
L’avocat de la société d’autoroutes Sanef, Marc Richer, avait découvert qu’un cabinet qui travaillait pour Autostrade conseillait aussi le gouvernement français dans la mise en place du dispositif de l’Ecotaxe.
Pour lui, il y avait donc conflit d’intérêt :
«Le groupement retenu avait pour conseil technique un consultant qui travaillait déjà pour l’État, qui était donc juge et partie».
Pendant des mois, la rumeur d’une procédure d’appel d’offres irrégulière se répandait, avec, en ligne de mire, les ministres des Transports et de l’Environnement du gouvernement Fillon qui ont conclu le contrat et qui réfutèrent les accusations de favoritisme. Pour eux, le choix de la société Ecomouv avait été validé par une commission consultative composée d’experts indépendants. Mais, de l’aveu même de celui qui présidait cette commission, cette commission n’avait eu qu’un rôle marginal dans ce dossier et elle ne s’était réunie que trois fois.
Le climat de suspicion qui entoure le contrat de l’Ecotaxe entraînera, par la suite, la formation de plusieurs commissions d’enquête à l’Assemblée nationale.
Elles s’interrogeront sur un épisode dans l’entre-deux tours de la présidentielle de 2012. Le ministre des Transports, Thierry Mariani, signe un décret essentiel dans ce dossier de l’écotaxe alors qu’il s’apprête à partir.
Le député François-Michel Lambert, qui a siégé à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la taxe poids lourds, s’interroge sur ce calendrier : «Thierry Mariani, signe le 4 mai 2012 l’engagement de la France pour cette société créée de toute pièce sur ce contrat, pour 230 millions d’euros par an, pour Ecomouv. On est à deux jours du second tour dont chacun savait que l’alternance avec François Hollande allait avoir lieu. Est-ce que ce n’est pas une armée en déroute qui planque un trésor?». De son côté, Thierry Mariani réfutait avoir agi contre l’intérêt du pays, rappellant que l’Ecotaxe avait été voté et qu’il était normal de l’appliquer.
En février 2011, le Service central de prévention de la corruption (qui dépendait du ministère de la Justice) alerte le parquet de Nanterre, sur de possibles «irrégularités», qui ouvre alors une enquête. Mais elle sera très vite classée sans suite par le procureur de l’époque, Philippe Courroye. En 2013, son successeur relance des investigations qui se poursuivent encore aujourd’hui. L’enquête est alors confiée à l’office anti-corruption de la police judiciaire.
Elle comporte plusieurs volets.
Tout d’abord, les conditions d’installation de la société Ecomouv, sur une ancienne base aérienne, à Metz. Une sénatrice a transmis à la justice un certain nombre de factures qui lui semblaient litigieuses. Et ensuite, les clauses du contrat qui liaient Ecomouv à l’État français, qui lui ont permis de toucher un milliard d’indemnités après la suspension du contrat. Cette somme interroge encore les enquêteurs, les investigations diligentées par le parquet de Nanterre étant sur le point de se terminer. Mais, pour le moment, personne n’est poursuivi dans ce dossier.
Les choix technologiques, faits à l’époque par l’administration, expliquent le fiasco de l’Ecotaxe.
Le député François-Michel Lambert ne comprend toujours pas pourquoi des portiques ont été installés au-dessus des routes. Ils ne devaient pas servir à collecter la taxe mais à vérifier que les camions qui empruntaient les routes étaient bien enregistrés auprès de la société Ecomouv. Pour François-Michel Lambert, ce système était déjà obsolète au moment où il a été mis en place: «C’était très coûteux et çela ne répondait à quasiment aucun besoin!». Ces portiques sont toujours en place, au dessus des routes, car il serait trop coûteux, aujourd’hui, de les désinstaller.
Avec l’abandon de la taxe, la résiliation du contrat entre Ecomouv’ et le gouvernement s’est chiffrée à 800 millions d’euros. Mais la facture transmise aux parlementaires est de 967,6 millions d’euros, avec un surcoût lié au remboursement de la TVA. Mais la Cour des comptes pointait également l’indemnisation des banques, qui étaient intervenues dans le partenariat Public-Privé (PPP). Les sociétés de télépéages, qui fournissaient les boîtiers aux routiers, ont demandé, aussi, à être remboursées.
Si l’Ecotaxe a été un échec, c’est aussi, sans doute, parce que sa mise en place a été sans cesse reportée.
Le consortium Ecomouv a été choisi en 2011. Le gouvernement ne communique plus trop sur la mise en place de la taxe poids lourds. Peut-être, pour ne pas effrayer les électeurs à l’approche de l’élection présidentielle. Sans doute, reconnaît aujourd’hui l’ancien secrétaire d’Etat aux Transports, le député Les Républicains, Dominique Bussereau: «L’administration a sans doute pris son temps parce qu’on lui a demandé de prendre son temps». Une fois à l’Elysée, François Hollande doit faire face à la révolte des Bonnets rouges, sur fond de ras-le-bol fiscal, et la taxe poids lourds sera suspendue, puis abandonnée.
En 2013, Ségolène Royal affirme que cette annulation du contrat avec Ecomouv permet de faire des économies. Mais selon le rapport de la Cour des comptes, «les intérêts de l’Etat n’ont pas été protégés», ciblant une série de dysfonctionnements. Ainsi l’État a payé pendant plusieurs mois l’exploitation à vide du dispositif Ecotaxe, ce qui a coûté 181 millions d’euros. Par ailleurs, des installations et des équipements ont été bradés après la rupture du contrat avec Ecomouv, l’État faisant une mauvaise opération.
Selon la Cour des Comptes, le mobilier du centre Ecomouv de Metz a été vendu à 17% de sa valeur
, les serveurs informatiques du système d’exploitation de l’Ecotaxe, à 2% de leur valeur! Des transporteurs avaient aussi investi pour équiper leurs camions et ils n’ont jamais été indemnisés, selon Florence Berthelot, la déléguée générale de la Fédération nationale du transport routier (FNTR).
Pour compenser l’abandon de l’Ecotaxe, Ségolène Royal avait choisi d’augmenter de deux centimes le prix du litre de gazole. Un choix qui n’est pas juste selon la Cour des comptes: «L’écotaxe devait peser sur les poids lourds étrangers circulant en France à hauteur de 31%», explique le rapport. «La compensation de son abandon par un relèvement de la taxe sur le diesel ramène cette contribution à 2% et fait donc supporter cet abandon par les poids lourds français et les automobilistes à hauteur de 98%».
L’Ecotaxe devait aussi servir à renflouer les caisses de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) qui supervise et finance les grands projets routiers ou ferroviaires en France. Mais la nouvelle taxe sur le diesel, qui rapporte un peu plus d’un milliard par an, ne va pas en totalité dans ses caisses, contrairement à ce qui était prévu avec l’impôt sur les poids lourds.
Les conséquences sur le développement du transport ferroviaire sont très concrètes, comme le décrit l’ancien ministre Dominique Bussereau: «On va mettre en service la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux. C’est un coût de 8 milliards d’euros, moitié payée par Vinci, moitié payée par l’Etat et les collectivités locales. Figurez-vous que l’AFITF ne pouvant pas payer la part de l’Etat, est obligée de faire emprunter des opérateurs publics pour payer sa part. Ainsi, c’est SNCF-Réseaux qui emprunte pour payer la part de l’État».
Plus généralement, Dominique Bussereau se dit très inquiet pour l’avenir des grands projets en matière de transport: «Je dirais qu’il manque 1,5 à 2 milliards de recettes à l’AFITF.
Cet argent manque à SNCF Réseaux pour rénover notre réseau ferré, aux Voies Navigables Fluviales (VNF) pour nos voies fluviales, aux grandes agglomérations pour la participation de l’Etat aux nouvelles lignes de bus, de tramway, de téléphérique, etc.
On était en avance, mais on va prendre du retard. On va finir des lignes TGV, on va faire un grand cocorico au mois de juillet et puis après il n’y a plus rien!».
Quant à l’avenir de certaines routes nationales et départementales, qui ont besoin d’être rénovées, Philippe Duron, Président de l’AFITF, n’est pas très optimiste: «Il y a une dégradation des chaussées et des ouvrages d’art. L’État ne met plus assez d’argent. Il faudrait au moins 500 millions d’euros par an pour rénover nos routes. Or, l’État n’en met que 350. Les spécialistes disent qu’on pourra très vite arriver à une situation préoccupante si on n’y prend pas garde». La faute à l’abandon de l’Ecotaxe sur les poids lourds!
De nombreux écologistes, favorables à une taxe sur les poids lourds, voient un espoir dans l’entrée au gouvernement de Nicolas Hulot. Remettra-t-il le sujet sur la table? Le journaliste spécialiste des transports, Marc Fressoz, ne le croit pas. Le sujet est encore éminemment sensible car l’abandon de l’écotaxe, est un «problème démocratique» pour Hulot: «Dans les années qui viennent, c’est quasiment impossible de remettre la taxe poids lourds sur la table car les cicatrices ne sont pas refermées et le traumatisme est encore très grand».