Afin de faire face à la baisse des températures, RTE (Réseau de Transport Electricité) a activé, pour la première fois, le « signal rouge » de son dispositif Ecowatt, dont l’objectif est de prévenir les utilisateurs que la consommation risque d’être trop élevée par rapport à la production. Le risque de coupures d’électricité cet hiver est-il réel ? Les réponses de Nicolas Goldberg, senior manager énergie chez Colombus Consulting.
Comment en est-on arrivé à cette situation critique ?
Engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique, la France a fermé ces dernières années plus de 10 GW de centrales thermiques (charbon et fioul essentiellement) : il était dores et déjà prévu que les hivers entre 2020 et 2024 soient tendus en attendant de nouvelles capacités de production, comme par exemple l’EPR de Flamanville qui a pris du retard, et des interconnexions avec nos voisins pour importer de l’électricité en cas de tension.
La crise du COVID a ajouté une nouvelle contrainte avec les maintenances des centrales nucléaires qui ont été retardées et qui nous ont donc fait perdre des marges sur le réseau. Ces deux éléments expliquent principalement pourquoi la situation est tendue cet hiver… et pourquoi elle le sera également les hivers prochains avec la fermeture des dernières centrales à charbon dans les années à venir.
En cas de manque d’électricité, quelles sont les solutions à disposition ? Faut-il craindre des coupures ?
Avant que l’approvisionnement en électricité faiblisse, nous pouvons faire appel aux « éco gestes » (éteindre les radiateurs, décaler l’utilisation d’électro-ménager comme les lave linges…), importer de l’électricité ou faire appel à des « effacements », c’est-à-dire à des industriels qui pourraient temporairement arrêter ou décaler leur production.
Quand la situation devient trop tendue et qu’il n’y a pas assez d’électricité sur le réseau, RTE peut activer ce qu’on appelle « des leviers post-marché », c’est-à-dire des moyens de sauvegarde du réseau pour éviter l’effondrement. Ces leviers sont de trois natures :
- L’interruptibilité qui permet de couper des sites industriels en quelques secondes sans préavis,
- La baisse de tension sur le réseau,
- Les coupures ciblées et tournantes.
Pour le premier levier, les industriels sont rémunérés chaque année pour la disponibilité de ce service. Pour le deuxième, jamais utilisé à l’heure actuelle, c’est quasi-transparent pour les citoyens. Seul le dernier serait visible puisqu’il s’agit de couper des foyers pour une courte durée. Avoir des coupures d’électricité aujourd’hui n’est pas l’hypothèse la plus probable. Cela pourrait toutefois arriver en cas de grand froid combiné à un incident de production ou un manque de vent.
Fermer la centrale de Fessenheim a-t-il aggravé la situation ? Les hivers sans vent sont-ils désormais une menace ?
Oui, Fessenheim a aggravé la situation et cela ravive toujours des débats compte tenu du fait que cette centrale a été fermée pour des raisons politiques et non des raisons industrielles ou climatiques. Il faut toutefois quantifier : nous avons fermé 10 GW de centrales fossiles et la crise du COVID nous a fait perdre environ 10 GW de nucléaire pour cet hiver. A côté de cela, les 1,8 GW de Fessenheim pèsent bien peu. Cela aurait pu aider mais cela n’aurait pas totalement changer la donne. Dans cette période difficile sur le réseau, toute perte de production sera à craindre. Le manque de vent sera effectivement de nature à fragiliser notre approvisionnement et ce sera d’autant plus le cas à mesure que les capacités de production fixe fermeront en France et chez nos voisins.
Sur quelles énergies pourrons-nous compter pour compenser l’apport du nucléaire ?
En Belgique, les centrales nucléaires seront remplacées par des centrales à gaz, ce qui est une très mauvaise nouvelle pour le climat, la dépendance aux ressources fossiles et l’indépendance vis à vis des États gaziers (Qatar, Russie). C’est une anti-transition qu’il ne faut pas suivre. En Allemagne et au Royaume-Uni, le gaz progresse également dans une moindre mesure.
Un mix électrique reposant en grande partie sur l’éolien et le solaire aura besoin de capacités de stockage pour assurer la sécurité de l’approvisionnement électrique. Tout le problème est la quantité de stockage nécessaire, la consommation d’espace et de ressources ainsi que le coût associé. Quelques publications avancent que ce serait faisable à un prix raisonnable, mais c’est toutefois un pari industriel dont l’échec aurait de grandes conséquences sur l’approvisionnement électrique et le climat. En réduisant ses coûts de construction, le nucléaire pourrait apporter une sécurité via une puissance garantie qui permettra de stabiliser le réseau.