Il a à peine 50 ans et déjà numéro un mondial. Chez les Besnier on a l’esprit d’entrepredre dans le sang. Et le grand-père doit être fier du petit fils. Insensible aux polémiques, Lactalis premier groupe laitier mondial, continue de se développer et de conquérir des parts de marché. Le PDG de l’empire familial lavallois, Emmanuel Besnier (51 ans), 7ème fortune de France, veut désormais conquérir le marché américain. Et pourquoi pas damer le pion à Danone ?
Lactalis s’est retrouvé au cœur de l’actualité ces dernières semaines. Malgré la guerre, le géant laitier a pris la décision de continuer à produire en Ukraine, où il est arrivé en 1996, et en Russie, où il s’est implanté en 2003, contrairement à de nombreux industriels et entreprises françaises.
Mais c’est beaucoup plus à l’Ouest que les ambitions de Lactalis se matérialisent en ce moment. Basé à Laval (Mayenne), le géant mondial du lait cible désormais les États-Unis. Le pays de l’oncle Sam serait-il une sorte d’eldorado laitier ? Il est en tous cas devenu le deuxième marché de Lactalis (2,9 milliards d’euros) derrière la France (4,5 milliards). Le groupe mayennais possède 11 usines aux États-Unis (contre 66 en France et 270 au total). Bref, Lactalis, « la petite entreprise de province », comme aime à le décrire son copropriétaire Emmanuel Besnier, a franchi l’Atlantique avec ambition.
La multinationale mayennaise, qui possède des marques iconiques (Président, Bridel, Lactel, Galbani, Parmalat…), n’a jamais quitté le giron familial depuis près de 90 ans. L’histoire de Lactalis a débuté en 1933 à Laval (Mayenne). André et Michel ont conduit les rênes du groupe, avant qu’Emmanuel, qui représente la troisième génération des Besnier, ne prenne le pouvoir en février 2022 en devenant le président du directoire — il fut président du conseil de surveillance, un poste non exécutif, entre 2000 et 2022.
Un contrôle familial total sur le groupe
Si ses aînés ont fait de Lactalis un leader européen du secteur, Emmanuel en a fait le numéro un mondial du lait, qui, en dehors de la crise du lait infantile contaminé à la salmonelle en 2017, n’a pas connu beaucoup de périodes de turbulences. « Nous sommes aujourd’hui le plus gros transformateur laitier au monde avec une présence dans 50 pays, a expliqué Emmanuel Besnier au média canadien La Presse. On a réalisé beaucoup d’acquisitions par opportunités.
On réinvestit continuellement dans le développement du groupe. » Les ventes de fromages représentent 40 % du chiffre d’affaires de Lactalis ; les 60 % restants se répartissent entre le lait, le beurre, les yogourts et les dérivés du lait. L’une des forces de Lactalis est la pérennité du contrôle familial sur le groupe. Et cela ne devrait pas évoluer à l’avenir.
Pour Emmanuel Besnier, pas question d’ouvrir le capital de son empire. « On a plus d’autonomie, juge-t-il, on est plus rapides, on ne dépend pas des marchés et il y a une quatrième génération qui va se préparer, mais je suis encore jeune et je compte bien continuer à diriger le groupe. » À 51 ans, Besnier n’est donc pas prêt à lâcher les rênes ! La quatrième génération devra donc patienter encore quelques années…
Une première usine aux États-Unis en… 1982
Depuis deux décennies, l’empire familial a adopté une stratégie claire et offensive : racheter à tour de bras des entreprises à travers le monde (100 acquisitions en 22 ans, soit 4 par an en moyenne). C’est ainsi que Lactalis s’est implanté en Amérique du Nord, avec notamment le rachat de l’activité fromagère du géant américain de l’agroalimentaire Kraft (dont les marques Cracker Barrel, P’tit Québec…) en 2021 pour 2,5 milliards d’euros. Entre 2017 et 2021, Lactalis a dépensé au total près de 4 milliards d’euros pour ses acquisitions. Le groupe de Laval a racheté des marques américaines (Stonyfield, Siggi’s…) pour devenir un acteur de premier plan sur le marché du yaourt aux États-Unis, même si Lactalis est encore loin derrière Danone.
Mais le pays de l’oncle Sam n’est pas une découverte pour Lactalis. En 1982, le père d’Emmanuel Besnier avait installé une usine Président dans l’État du Wisconsin ! Quarante ans plus tard, l’influence de Lactalis aux États-Unis — où le marché des produits laitiers représente 120 milliards d’euros — est encore relativement modeste (2,9 % de parts de marché), mais en progression.
Surtout, Lactalis a changé son fusil d’épaule en Amérique du Nord : il mise désormais sur des marques bien implantées et non plus seulement sur l’exportation de ses marques européennes (Président, Galbani, Parmalat). Sur les différents marchés, l’approche de Lactalis est la même : favoriser au maximum la production locale : « On produit au Canada et on vend au Canada, affirme Besnier à La Presse. C’est la même chose en Italie. On est le premier groupe agroalimentaire en Italie, mais on est Italiens en Italie, nos équipes de direction sont italiennes. Au Canada, on est un producteur canadien. »
Lactalis peut-il dépasser Danone ?
Si Lactalis remplit ses objectifs et réalise un milliard d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires en Amérique du Nord en 2023, le numéro un mondial des produits laitiers réalisera un exploit puisqu’il devancera pour la première fois Danone, l’autre géant français de l’agroalimentaire, qui a réalisé 24 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021. La course entre les deux mastodontes tricolores de l’alimentaire est bel et bien lancée !
Pour l’anecdote, Emmanuel Besnier n’est pas le plus mal placé pour mener à bien l’épopée américaine de Lactalis. À la fin des années 1980, alors qu’il n’a pas encore 20 ans, il a effectué un stage au sein de l’usine Président de Lactalis situé à Belmont (Wisconsin). Outre la langue de Shakespeare, c’est là qu’il a notamment appris les rouages de la fabrication du brie. Trois décennies plus tard, l’ancien stagiaire Emmanuel Besnier est désormais aux manettes et compte bien parachever sa conquête de l’Ouest. Un sacré fromage pour cet entrepreneur hors-pair insatiable, qui ne manque pas de lorgner aussi, aux dernières rumeurs, sur ses rivaux hexagonaux Danone ou Bel.
Victor Cazale