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En rachetant 15 % de Philips, l’héritier Agnelli montre qu’il est de la race des grands entrepreneurs


Faire prospérer du capital est un métier somme toute classique. En revanche, prendre des décisions entrepreneuriales qui transforment la configuration d’un groupe n’est pas donné à tout le monde. C’est le propre d’un grand entrepreneur. Visiblement, le petit-fils d’Agnelli fait partie du club. John Elkann, 47 ans, ne s’embarrasse pas...

John Elkann (Photo James Moy/James Moy Photography. Réf 72844369)

Faire prospérer du capital est un métier somme toute classique. En revanche, prendre des décisions entrepreneuriales qui transforment la configuration d’un groupe n’est pas donné à tout le monde. C’est le propre d’un grand entrepreneur. Visiblement, le petit-fils d’Agnelli fait partie du club.

John Elkann, 47 ans, ne s’embarrasse pas des soucis judiciaires liés aux attaques de sa mère Margherita qui, à 67 ans, s’apprête, dans un procès retentissant, à essayer de remettre en cause les conditions mêmes de la succession de Gianni Agnelli.

L’héritier vedette du clan, propriétaire historique de FIAT, semble avoir d’autres chats à fouetter. Idem pour le secteur du football qui ne semble guère le passionner. John a visiblement laissé carte blanche à son frère Andrea à la tête de la Juventus de Turin jusqu’en décembre 2022. Et le moins que l’on puisse dire est que cela ne porte guère chance à l’ancien club de Michel Platini. Résultats sportifs en berne, finance en déficit et accusations diverses de fraudes comptables, sans parler du funeste projet de nouvelle Ligue européenne où le président Agnelli s’était montré en pointe. Ce qui a eu pour effet de jeter un peu plus l’opprobre sur la « vieille dame », jusqu’alors institution vénérée et respectée du gratin européen du ballon rond.
Ainsi va le monde et à toute vitesse.

Et John Elkann, visiblement inspiré par le modèle Ferrari, une pépite industrielle et financière dont son groupe est encore propriétaire ainsi d’ailleurs que de journaux comme l’institution ; l’hebdomadaire The Economist ou le quotidien italien La Stampa.

Au-delà de ces éventuels tourments judiciaires, l’héritier-manager du clan Agnelli semble avoir en matière économique les idées bien en place. Ses paris paraissent audacieux mais souvent payants. Ainsi, avec l’aller-retour effectué en juillet 2022 sur la cession du réassureur PartnerRe à l’assureur français mutualiste Covéa pour la modique somme de 8,3 milliards d’euros, sur lequel son holding récupérera une belle plus-value. Une somme aujourd’hui mise à profit pour faire de la santé l’un des pôles privilégiés de la stratégie d’Exor. Après avoir participé en 2022 à l’augmentation de capital du groupe familial lyonnais bioMérieux de 834 millions d’euros pour 10 % du capital.

Le holding transalpin créé la surprise en venant prêter main-forte au géant néerlandais Philips, qui s’est récemment recentré sur le médical. En prenant 15 % du capital de l’ancien géant de l’électroménager (pour quelques 2,6 milliards d’euros), le conglomérat italien s’autorise à monter à 20 % du capital en profitant d’un cours de bourse très favorable suite à la baisse des actions liée au scandale du rappel prématuré des respirateurs pour l’apnée du sommeil. Ce qui a valu au géant d’Eindhoven de perdre 1,6 milliard d’euros en 2022 sur un chiffre d’affaires cumulé de 17,8 milliards d’euros, dont plus de la moitié est désormais réalisée dans le médical.

Du coup, la stratégie prend corps dans le secteur santé, d’autant qu’il détient aussi 45 % de Lifenet Healthcare, leader transalpin des cliniques et centres médicaux privés.
D’autant que Philips reste une marque à forte notoriété et qui peut être déclinée sur de nombreux produits. Une stratégie de croissance externe qu’aurait pu s’autoriser aussi le groupe français SEB, industriel familial bourguignon, leader européen du petit électroménager et toujours en recherche de nouvelles opportunités de croissance externe.

Philips rejoint la cohorte des belles marques du holding Agnelli qui reste le premier actionnaire privé avec 14 % (devant le clan Peugeot et Bpifrance), du géant automobile Stellantis (marques Peugeot, Fiat, Citroën, Jeep, DS…). Et qui, ne l’oublions pas, cherche aussi à étendre ses griffes dans le monde du luxe, dont la griffe parisienne du chausseur à succès Christian Louboutin reste un fleuron avec quelques 24 % du capital.
Automobile, santé, luxe, énergies renouvelables (TagEnergy au Portugal), les secteurs d’activités qui intéressent le groupe Agnelli, dont les actifs dépassent les 28 milliards d’euros, semblent clairement identifiés avec un management qui ne reste jamais longtemps inerte.

Un atout qui démontre aussi dans la lignée des capitaines d’industrie audacieux tels que Bolloré, Kretinsky ou Pinault que seuls les investisseurs qui osent faire des paris industriels forts finissent par emporter la mise. Car sinon, pour placer l’argent, rien de tel que de laisser faire les financiers. En revanche, pour transformer des rentes en groupes industriels d’avenir, rien de tel que de grandes décisions stratégiques que seuls savent prendre les grands capitaines d’industrie. C’est même à cela qu’on les reconnaît. De ce point de vue, John Elkann semble bien être de cette trempe. Bienvenue au club !

Robert Lafont

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