Par Thibault Mercier, Avocat à la Cour, Drouot Avocats
« Rien ne stimule davantage l’épargne que cette perspective ou plutôt cette certitude de laisser à des personnes aimées le fruit de son travail » écrivait l’économiste Leroy-Beaulieu[1] au XIXe siècle en défense du droit de transmettre ses biens qu’il considérait comme une condition essentielle du développement des sociétés humaines.
C’est dans cette logique qu’en 2003 Renaud Dutreil, alors Secrétaire d’Etat aux PME, crée son fameux « pacte » qui deviendra éponyme[2] permettant aux chefs d’entreprise de transmettre leur société à leurs descendants sans subir une énième imposition confiscatoire. Par cette loi, le Ministre souhaitait ainsi tant faire œuvre de justice que fortifier l’économie française en évitant que nos entreprises partent à l’étranger ou soient démembrées voire siphonnées afin de payer les droits de transmission.
Si cet article n’a pas vocation à détailler l’entièreté du mécanisme (qu’il convient d’appréhender avec un professionnel[3]), rappelons que le régime Dutreil vient permettre de faire bénéficier la transmission d’une entreprise familiale d’un abattement de 75% des droits de mutation à titre gratuit et d’un étalement de leur paiement dans le temps. Salutaire dans un pays où le taux marginal d’imposition des successions est de 45%[4] !
20 ans après sa création, ce régime reste ainsi un des outils majeurs de préservation du tissu économique français et l’enjeu est de taille pour l’avenir alors que 25 % des dirigeants français ont plus de 60 ans et que le nombre d’entreprises à céder dans les 10 prochaines années pourrait atteindre les 700 000[5] ! Et pourtant 82% des chefs d’entreprise déclaraient récemment ne pas en avoir connaissance[6]…
Comment dès lors comprendre les nombreuses attaques dont fait preuve ce régime, que ce soit de certains députés ou encore journalistes ? Dernier exemple en date, l’émission Cash Investigation de novembre dernier[7] pointant le Pacte Dutreil comme outil de transmission des « ultra-riches » oubliant que ce sont les petites et moyennes entreprises qui ont le plus besoin d’un tel dispositif : ces « PME familiales qui, faute de pouvoir surmonter l’obstacle fiscal de la succession, n’ont d’autres solutions que de disparaître » s’indignait en ce sens l’essayiste Victor Fouquet dans sa « Révolte fiscale[8] ».
Et à y regarder de plus près, ce régime est tout sauf un cadeau fait aux entrepreneurs tant ils auront à respecter des conditions nombreuses, voire drastiques, pour pouvoir transmettre le fruit de leur labeur à leurs héritiers. Ces conditions que sont venus préciser tant la loi que les tribunaux[9] ces deux dernières décennies obligent notamment la conservation des titres transmis pendant une certaine durée, faisant du Dutreil non pas un outil au service de l’évasion fiscale mais bien au service de la pérennité de l’entreprise.
A rebours des arguments avancés par ses détracteurs, parfois loin des réalités économiques, le pacte Dutreil est donc une mesure juste qu’il s’agit de pérenniser et populariser. Et ce ne sont pas les Français qui nous contrediraient alors que 86% d’entre eux valident l’idée que réduire les droits de successions « est une mesure juste », sachant que l’argent transmis a déjà été taxé lorsqu’il a été gagné[10].
Thibault Mercier, Avocat à la Cour
[1] Traité de la science des finances, Paul Leroy-Beaulieu, 1877
[2] Loi n°2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique
[3] La plupart des contentieux relatifs à ce mécanisme étant dû à un défaut de conseil lors de sa mise en place
[4] Au-delà d’un montant de 1.805.677 euros
[5] Rapport d’information de la mission de suivi sur le thème de la transmission d’entreprise, Délégation aux entreprises du Sénat, 6 octobre 2022
[6] Sondage CCI France – Opinion Way de septembre 2022
[7] « Cash Investigation », le monde merveilleux des ultra-riches, 14 novembre 2023
[8] La révolte fiscale : L’impôt : histoire, théories et avatars, Calmann-Lévy, 2019
[9] Encore 4 nouveaux arrêts rendus par le Cour de cassation en octobre 2023…
[10] Sondage Ipsos Sopra-Steria pour « Le Monde » et la Fondafip, juin 2023