En pleine crise de la filière, Emery Jacquillat, président de la Camif, mise sur l’innovation, la qualité et le développement durable pour conquérir une nouvelle clientèle.
Face à la concurrence étrangère et la baisse du pouvoir d’achat des ménages, y a-t-il de la place pour les fabricants français ? Cela ne fait aucun doute pour Emery Jacquillat, fondateur du groupe Matelsom et repreneur en 2009 de la Camif (Coopérative des adhérents à la mutuelle des instituteurs de France). Selon lui, le salut se trouverait dans le savoir-faire et la capacité d’innovation de ses fournisseurs nationaux.
Encore une belle endormie
En 2009, lorsqu’il apprend que la Camif, coopérative créée en 1947 par des instituteurs, ex-fleuron de la VPC française, est en liquidation judiciaire, Emery Jacquillat, 44 ans, dirigeant et fondateur de Matelsom, 1er site de e-commerce de literie en France, ne perd pas une minute. «La semaine suivante, je visitais déjà le siège à Niort», se souvient le repreneur.
Bien qu’enthousiaste à l’idée de reprendre «une belle marque, à laquelle de nombreux clients sont encore attachés», il constate aussi les erreurs stratégiques qui ont menée la Camif à sa perte.
«Elle a connu son heure de gloire avant de sombrer à partir des années 90. La course au gigantisme, notamment à l’étranger, l’obsolescence de son catalogue VPC, les diversifications malheureuses lui ont été fatales», raconte celui qui se souvient aussi des collections mode et du «total look d’instit’» ayant contribué à ringardiser l’image de la marque.
Pourtant, fin 2008, la Camif réalise encore 230 M€ de CA, avec 12 magasins, 1 catalogue de 800 pages et un tiers de ventes par Internet. Une base sur laquelle le nouveau dirigeant décide de faire table rase.
Dépoussiérage en règle
«Nous sommes repartis de zéro, avec une feuille blanche», explique l’entrepreneur qui opte pour un nouveau modèle, plus agile, plus ouvert. Il déménage les équipes Matelsom de Nanterre à Niort, berceau historique de la Camif, embauche quelques anciens de la coopérative, «pour renouer des liens avec les fournisseurs historiques», et opte pour l’open space, «tout le monde dans le même bureau, même moi !», s’amuse le patron.
Son nouveau cœur de métier : «Apporter une offre qui crée de la valeur pour le consommateur». Exit les services relation client, logistique, transport ou informatique, tout est externalisé. Et pour cause, le groupe nouvellement constitué fait le choix de recentrer son offre sur la vente en ligne de biens d’équipement pour la maison, avec des produits de qualité, majoritairement fabriqués en France dans le respect du développement durable.
«Très tôt, nous avons choisi d’adopter un modèle d’entreprise responsable, pour que les parties prenantes qui avaient souffert de la chute de la Camif puissent trouver un impact positif à notre projet, qu’il soit économique, social, sociétal, environnemental», explique le chef d’entreprise.
À ce jour, la reprise de la Camif a ainsi permis de recréer 187 emplois à Niort et de redynamisé une friche de 100.000 m2 en périphérie de la ville. La marque travaille avec de très nombreux fournisseurs français, représentant près de 15.000 emplois.
Le choix du Made in France
Contre 35 à 40% en 2008, la Camif réalise aujourd’hui 70% de son CA (40 M€) avec le «made in France» (MIF). «Nous n’avons pas attendu Arnaud Montebourg et sa marinière pour miser sur le MIF», se félicite celui qui, dès la reprise, rapatrie de nombreuses productions de Chine (fauteuils relax), du Portugal (meubles en pin)…
«Il faut sortir de l’éternel débat sur le coût du travail. Grâce à l’innovation et au design, le MIF peut être très compétitif», assure le dirigeant qui séduit ainsi une nouvelle clientèle, «plus responsable, plus éduquée, et pas forcément bobo comme on pourrait l’imaginer, mais qui a compris que notre consommation a un impact direct sur notre environnement, sur nos emplois».
En témoigne sa gamme de meubles LEXI, en chaises et tables recyclées, ou «upcyclées» comme on dit aujourd’hui, à la fois responsables, écologiques et à des prix abordables.
Aujourd’hui, plus de la moitié des sociétaires historiques sont de retour, tandis que 60% de la clientèle est renouvelée. L’entreprise s’adresse à ces nouveaux consommateurs avec notamment une innovation appelée «Conso’localisation» sur le site Camif.fr, qui donne la possibilité aux internautes de choisir leurs produits en fonction du lieu de fabrication, favorisant ainsi l’emploi en France et réduisant les émissions de CO2.
La Camif multiplie par ailleurs les incitations à acheter durable et responsable : développement des reportages vidéo sur les coulisses de la fabrication française, Tour du Made in France (voir «Le Tour du Made in France»), pictogrammes valorisant les démarches RSE de chaque fabricant…
«L’enjeu est de valoriser et d’accompagner tout notre éco-système vers une production locale, avec des produits désirables via l’innovation et le design», conclut Emery Jacquillat. Et pour enfoncer le clou, l’entrepreneur vient de lancer sur son site la première marketplace du «made in France» dédiée aux petits producteurs artisans.