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Entreprises : est-ce le moment idéal pour s’implanter aux États-Unis ?


Leader mondial d’accueil des investissements directs à l’étranger, les États-Unis restent une destination de choix pour les entrepreneurs français. Mais la crise sanitaire qui frappe de plein fouet le pays et les mesures mises en place par le gouvernement ont-elles changé la donné ? Laurence Ruiz, co-fondatrice et associée d’Orbiss,...

Entreprendre - Entreprises : est-ce le moment idéal pour s’implanter aux États-Unis ?

Leader mondial d’accueil des investissements directs à l’étranger, les États-Unis restent une destination de choix pour les entrepreneurs français. Mais la crise sanitaire qui frappe de plein fouet le pays et les mesures mises en place par le gouvernement ont-elles changé la donné ? Laurence Ruiz, co-fondatrice et associée d’Orbiss, cabinet d’experts comptables spécialisé dans la croissance des entreprises aux États-Unis, livre son analyse sur l’état actuel du marché américain.

Quels sont les secteurs les plus porteurs actuellement aux États-Unis ?

D’après les données de Moody’s Analytics et CNN Business, les États-Unis sont actuellement à un taux d’activité de 80% comparé à celui enregistré au mois de mars 2020, avec des disparités importantes selon les États. Le taux de chômage était de 7,9% en septembre et le nombre d’emplois perdu depuis le début de la crise sanitaire est de 10,7 millions qui s’ajoute aux 3,9 millions depuis que Donald Trump a pris le pouvoir.

Les industries qui ont le plus perdus sont, sans surprise, les loisirs et le tourisme avec une baisse de plus de 459 000 emplois depuis le début de la crise. Le secteur minier et exploitation forestière a perdu 16,1% de ses emplois comparés à la même période l’année dernière. Le seul secteur à avoir un nombre d’emplois supérieurs à l’année précédente est la finance. Dans le secteur des transports, il y a des sous-secteurs qui tirent leur épingle du jeu comme, par exemple, les entrepôts – grâce à l’augmentation des achats en ligne – et celui des messagers/coursiers.

Les secteurs qui pourraient bénéficier d’un coup de pouce de l’État seront très différents en fonction du prochain président des États-Unis élu début novembre. Si le président Trump est réélu, nous aurons probablement la suite de sa politique pré-Covid : retrouver au plus vite une économie américaine florissante en s’appuyant essentiellement sur les travailleurs du pays, quitte à supprimer des lois environnementales qui pourraient ralentir la reprise. Si Joe Biden est élu, le pays devrait baser son développement sur des infrastructures renouvelables, les énergies géothermiques et probablement une meilleure balance entre la qualité et la quantité au niveau de la consommation.

Comment se portent les entreprises françaises installées aux États-Unis ?

Comme le titre le Wall Street Journal, la crise creuse les écarts entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas : la crise est « gentille » avec ceux qui travaillent de la maison, les entreprises qui les servent et les régions qui les accueillent… Les autres sont délaissés. Les restaurants, notamment dans les grandes villes comme New York, ne sont autorisés à ouvrir – pour les salles intérieures – qu’à 25% de leur capacité totale.

Les terrasses restent encore la seule solution pour accueillir plus de clients mais avec l’arrivée de l’hiver, cela risque de ralentir leur chiffre d’affaires. Par ailleurs, le gouverneur de l’État de New York annonce des possibles fermetures dans dix endroits de l’État où le taux de présence du virus commence à être très important. Cette situation touche également fortement les fournisseurs de ces restaurants, les grossistes de l’industrie qui ont vu leurs ventes s’effondrer.

Les entreprises françaises dans la vente au détail peuvent être dans des situations très diverses, en fonction de la durée restante de leur bail : aux États-Unis, il n’est pas possible d’arrêter un bail avant son terme. Si les entreprises arrivaient en fin de bail, elles ont pu concentrer leur investissement sur Internet, et elles ont pu maintenir leur chiffre d’affaires ou limiter la casse. La situation était plus difficile pour celles qui sont encore engagées avec des loyers très élevées sans possibilité de sortie rapide.

A contrario, certaines start-up françaises ont pu bénéficier d’un effet d’opportunité aux États-Unis. Ce pays, connu pour être traditionnellement difficile à pénétrer, s’est ouvert sous l’effet de la crise et l’utilisation des outils numériques.

Quelle est la politique du gouvernement américain dans la délivrance des cartes vertes et des visas de travail en période de pandémie ?

Les visas les plus couramment utilisés pour les expatriations sont les visas E2, H1B et L1. Il y a quasiment autant de visas que de lettres de l’alphabet mais ces trois sont les plus couramment utilisés. Le visa E2, issu d’un traité commercial entre la France et les États-Unis, a été le moins touché depuis l’élection de Trump en 2016.

Pour obtenir ce visa, il faut justifier de trois critères cumulatifs :

1- Pouvoir justifier que la société qui demande le visa est détenue à plus de 50% par des personnes physiques françaises (détenteurs finaux). Cela peut, par exemple, poser un problème pour les start-up qui ont levé beaucoup d’argent via des fonds d’investissement. Il peut ainsi être difficile de justifier de ce pourcentage de détention.

2- Avoir fait des investissements de plus de 50 000 dollars sur le territoire américain.

3- Avoir signé un bail. Certains avocats ajoutent un critère qui est l’embauche d’un salarié américain avant le dépôt de la demande.

Le visa E2 est traité à l’ambassade américaine à Paris. Il est assez facilement accepté si les critères sont respectés. Le seul point négatif est la durée qui a été réduite de 5 ans à 25 mois en 2019.

Quid du visa H1B ?

Le visa H1B est un visa soumis à une loterie annuelle avec un quota, tous les dossiers sont déposés avant début mars pour une réponse mi-juin. Il est ouvert à toutes les entreprises américaines désireuses d’embaucher un employé étranger. Il a beaucoup été utilisé par les sociétés tech de la Silicon Valley. Donald Trump considère qu’il permettait aux entreprises américaines d’embaucher des salariés étrangers moins payés que des Américains à niveau équivalent, l’accès à ce visa a donc été rendu très difficile ces quatre dernières années.

Le visa L1 est souvent utilisé par les grands groupes français, il correspond à un visa de transfert. La société doit justifier que la personne a été embauchée en France pendant une période minimum avant son expatriation. Il n’est pas évident à obtenir. Les avocats doivent très souvent répondre à des multiples questions de l’administration avant sa délivrance. Il est à souligner que les deux visas H1B et L1 ont été suspendus par Donald Trump jusqu’au 31 décembre 2020. Il n’est donc pas possible d’obtenir un nouveau visa sous ces catégories cette année, seul leur renouvellement reste accessible.

Il faut rappeler que l’entrée sur le territoire américain est toujours interdite depuis le 13 mars 2020 pour tous les détenteurs de visa de travail arrivant de l’espace Schengen. Ce qui implique, pour les expatriés, de rester sur le territoire américain sans pouvoir visiter leurs familles depuis six mois, et de prolonger leur séjour dans un pays en dehors de la zone européenne pour revenir aux États-Unis ou de demander une autorisation exceptionnelle (National Interest Exemption) à l’ambassade américaine à Paris, le délai d’obtention variant de quelques jours à plusieurs semaines.

Quels conseils donneriez-vous à un entrepreneur souhaitant s’implanter aux États-Unis en ce moment ?

La réponse n’est pas forcement évidente. Pour réussir une implantation, il était conseillé, avant la crise sanitaire, d’expatrier un fondateur ou un cadre stratégique qui serait porteur de la culture d’entreprise. Avec la suspension des visas et la fermeture des frontières, c’est un prérequis beaucoup plus compliqué à valider. Cependant, compte tenu du taux de chômage actuel aux États-Unis, les sociétés qui souhaitent embaucher des personnes expérimentées autorisées à travailler sur le territoire américain peuvent le faire beaucoup plus facilement qu’avant la crise. Avant, il était compliqué pour les filiales françaises de recruter des Américains qualifiés car il fallait souvent les débaucher à des salaires très élevés. A l’inverse, ces derniers mois, les recrutements de personnes très expérimentées qui connaissent parfaitement leur marché n’est plus rare.

En période de crise sanitaire, il est encore plus important de bien mesurer le projet et le coût inhérent à l’arrivée sur ce territoire. Mais la crise ouvre de vraies nouvelles perspectives pour certaines activités. Par exemple, les sociétés issues de l’économie digitale et celles exerçant dans la fourniture de produits de première nécessité.

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