Tribune. Les États s’en donnent à cœur joie avec la pandémie. Ils prennent en otage tout individu qui passe à leur portée et se régalent de cet exercice. La plupart du temps, les individus sont trop faibles pour protester d’une voix audible, mais de temps en temps un otage connu ou même célèbre se rebiffe et cela s’entend.
Cela a été le cas du tennisman Djokovic. Il entendait participer au tournoi open d’Australie, un des quatre principaux du monde, alors qu’il ne remplissait pas les conditions sanitaires requises. Bien entendu, il avait tort de ne pas se plier à la règle, puisque celle-ci s’appliquait à tous les joueurs. Mais ses convictions anti-vaccinales et son statut de numéro 1 mondial lui paraissaient suffisantes pour enfreindre les conditions fixées par les organisateurs du tournoi et par le gouvernement australien. Ce en quoi il se trompait doublement.
Les sociétés humaines sont imprégnées de hiérarchie, et à cet égard elles sont semblables aux sociétés de chimpanzés, avec lesquels l’homme a 98 % de gènes en commun. Chez les chimpanzés comme chez l’homme, il y a des mâles et des groupes dominants. Mais cette domination est sujette à de fréquents changements, dus à l’évolution des rapports de force dans la société et entre les individus. En temps normal, dans les sociétés démocratiques, les individus se protègent le mieux qu’ils peuvent des abus de l’État. Certains États respectent assez bien les principes de liberté et de protection des droits fondamentaux de l’homme. D’autres, comme la France, s’en soucient comme de colin-tampon et obligent les citoyens à se battre sans cesse contre les abus d’autorité et les violations du droit par l’État.
Le malheureux Djokovic a beau être l’idole de la Serbie, l’Australie lui répond qu’elle n’est pas serbe et que c’est sa loi qui prévaut. Ce qui envoie le tennisman dans un centre de rétention, qui n’est pas une prison mais un mauvais hôtel, en attendant qu’il soit statué sur son cas. La pandémie a ramené Djoko à son humble état d’individu ayant enfreint les règles. On ne pleurera pas sur son malheur, mais on constatera que le gouvernement australien a pu se bomber le torse d’avoir fait plier le numéro un mondial. Ce n’est pas grand-chose, mais en un temps où les politiciens sont l’objet d’un mépris généralisé, c’est toujours bon à prendre.
La plupart des gouvernements de la planète ont mis leur société sous cloche face à l’épidémie. Les restrictions de liberté ont été la règle. Certains États ont levé celles-ci dès qu’ils ont pu, d’autres, comme la France, clament leur volonté de protéger la santé des habitants et s’en réclament pour maintenir les contraintes au-delà du nécessaire et parfois même du raisonnable. Mais parler de raisonnable à propos d’un haut fonctionnaire français c’est parler pour ne rien dire, car la raison du technocrate est celle de l’État et ce dernier ne connaît que l’intérêt de son pouvoir.
Les libertés rognées, voire supprimées, dans les États comme la France ne reviendront pas sans que les citoyens ne doivent combattre. Ces revendications devraient figurer au premier rang des programmes politiques pour l’élection présidentielle. Pour le moment, elles sont des plus discrètes et les ténors politiques « rugissent comme un rossignol », comme le disait Shakespeare. Les citoyens savent donc que leurs malheurs sont loin d’être terminés. Ce qui n’est certes pas nouveau, comme Sisyphe le savait bien.
Parmi les décisions essentielles qu’un nouveau pouvoir devrait prendre en France, il y a la suppression de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel. Ces deux organismes imbus de leur importance ont massacré au fil du temps les droits fondamentaux fixés par la Déclaration des droits de 1789, qui trône pourtant au faîte de la Constitution française. Il faudra les remplacer par une Cour Suprême qu’on prendra bien soin de ne pas peupler de fonctionnaires. Au moins aura-t-on une chance ainsi d’avoir quelques grandes décisions qui ramèneront la démocratie française à une vraie démocratie, et non à une démocratie conditionnelle, comme on dit liberté conditionnelle au sortir de la prison.
Un virus est une toute petite chose, mais qui peut faire de grands dégâts. Le SARS-CoV-2 l’a rappelé au monde. Et celui-ci a soudain compris ce que la mondialisation veut dire. Ceux qui pensent que les frontières vont faire leur grand retour se font des illusions. Depuis que l’homme est homme, il ne pense qu’à circuler et à atteindre l’horizon. Aujourd’hui l’homme sait qu’au bout de l’horizon, ayant longuement voyagé, il tombera sur son voisin de palier qui circulait comme lui. « Ah ! C’est vous ! Quelle bonne surprise ! » s’écriera-t-il. En ajoutant in petto : « Celui-là, il ne pense qu’à voyager ! ».
Claude Reichman