Je m'abonne

Eric Larchevêque : « Ma véritable richesse réside dans le pouvoir de dire non »


Pionnier du Web, entrepreneur multi-facettes, joueur de poker professionnel et figure emblématique de l’émission Qui veut être mon associé ? sur M6, Éric Larchevêque bouscule les codes de l’entrepreneuriat. De sa petite bourgade de Sologne jusqu’aux plateaux télé, son parcours hors-norme intrigue. Dans cet entretien, il révèle comment sa soif de liberté et son besoin de reconnaissance l’ont conduit à multiplier les succès... et à inspirer toute une génération d’entrepreneurs.

Screenshot

Sur les coups de 10h, Éric Larchevêque me rejoint en train sur le lieu de l’interview. Cet entrepreneur de génie, âgé de 51 ans, dont la fortune est estimée à 370 millions d’euros, ne vit pas à Paris, contrairement à nombre d’entrepreneurs de son envergure. Il réside à Neuvy-sur-Barangeon, un petit village d’environ 1 000 habitants, niché aux portes de la Sologne, à 200 kilomètres de la capitale. Il m’explique, le sourire aux lèvres, apprécier ses déplacements professionnels à Paris, tout en chérissant sa vie paisible au cœur de la nature…

Il raconte, avec une simplicité déconcertante, le cheminement de son parcours entrepreneurial jusqu’à son arrivée dans Qui veut être mon associé ? sur M6. Malgré son succès, Éric Larchevêque a su garder une fraîcheur naturelle qui lui confère une formidable spontanéité. Sa jovialité est communicative et instille une ambiance singulière durant notre échange.

Fraîchement diplômé de l’ESIEE Paris en microélectronique, Éric Larchevêque se lance dans l’aventure entrepreneuriale en 1996, à une époque où cette voie demeure encore peu empruntée. Rejetant le modèle salarial traditionnel qu’il estime inadéquat à ses aspirations et à sa personnalité, il fonde en France une société spécialisée dans le développement de projets web, à une époque où l’accès à Internet grand public en est encore à ses balbutiements.

En 1998, il crée Montorgueil et se positionne sur les systèmes de monétisation, d’affiliation et de paiement. En l’espace d’à peine cinq ans, Montorgueil connaît une croissance rapide et soutenue. En 2007, il décide de revendre la société contre un chèque de 25 millions d’euros, concrétisant ainsi la réussite de son premier grand projet entrepreneurial.

Joueur de poker professionnel

Cette première aventure illustre parfaitement la philosophie et l’agilité qui irriguent l’ensemble du parcours d’Éric Larchevêque. Guidé par une vision claire et une détermination sans faille, ce pionnier du Web excelle dans l’art d’identifier les opportunités dans des secteurs émergents.

En 2002, il s’expatrie en Roumanie, attiré par les perspectives offertes par un pays alors en plein renouveau économique après la chute du régime de Ceaușescu. Il y fonde une plateforme offshore spécialisée dans le développement et investit dans l’immobilier. Trois ans plus tard, il s’installe en Lettonie et ouvre un hôtel à Riga. À la fin des années 2000, Éric Larchevêque se lance dans une carrière de joueur de poker professionnel. Il ne tarde pas à se faire un nom en participant notamment aux championnats du monde. Pourtant, en 2010, désireux de fonder une famille, il quitte la table et décide de rentrer en France pour se construire une autre vie. Du poker, il gardera quelques astuces et grilles d’analyse qui se révéleront précieuses pour la suite de son parcours d’entrepreneur.

En 2011, dans un contexte d’effervescence marqué par un engouement croissant pour les start-up, Éric Larchevêque fonde Prixing, une plateforme dédiée à la comparaison de prix. L’entreprise se développe de manière prometteuse et parvient à lever des fonds, mais l’entrepreneur, déçu, juge ce succès en deçà de ses ambitions… « Au bout de trois ans d’activité, j’ai pris conscience qu’il me serait impossible de transformer Prixing en une entreprise d’envergure capable de marquer sa génération, explique-t-il. J’ai donc décidé de revendre la société et de passer à autre chose. »

L’épopée Ledger

En 2013, il cofonde La Maison du Bitcoin. Conçu comme un lieu d’échange et de découverte dédié aux cryptomonnaies et à la blockchain, cet espace avait pour vocation de susciter des opportunités et de démocratiser ces technologies émergentes. Cinq ans plus tard, La Maison du Bitcoin évolue et devient Coinhouse. L’entreprise se transforme alors en une plateforme d’achat et de vente d’actifs numériques.

Un an après l’ouverture de la Maison, il cofonde Ledger, fruit de la rencontre entre des experts en sécurité et des entrepreneurs visionnaires qui avaient identifié le besoin de sécurité pour la gestion des crypto-actifs. Spécialisée dans la conception et la fabrication de solutions de sécurisation des actifs numériques, la licorne française, qui a levé près de 500 millions d’euros depuis sa création, est présente dans 200 pays et sécurise 22 % de tous les bitcoins en circulation dans le monde. Malgré ce succès industriel majeur, Éric Larchevêque quitte Ledger en 2019, cinq ans après l’avoir fondé. Il s’interroge alors sur la suite à donner à son parcours.

« Je n’avais pas forcément envie de repartir de zéro pour créer une autre entreprise. Je voulais accompagner d’autres entrepreneurs. J’ai entamé une nouvelle phase de ma carrière tournée vers le partage, la transmission et l’accompagnement. »

Éric Larchevêque consacre désormais son énergie à soutenir les entrepreneurs en les aidant à briser les plafonds de verre qui freinent leur croissance. Propriétaire d’un domaine en Sologne, il y organise des séjours et des sessions de « Mastermind » conçus pour permettre aux entrepreneurs de dynamiser leur activité et de maximiser leur potentiel.

Il est également le fondateur d’ALGOSUP, une école d’informatique innovante implantée à Vierzon, dont l’ambition est de former une nouvelle génération de développeurs. Éric Larchevêque a également lancé le fonds de dotation FEIL dédié à l’accompagnement des jeunes issus de la région Centre afin de développer leur culture scientifique et de leur ouvrir le champ des possibles. Sur sa chaîne Youtube, le cofondateur de Ledger partage des conseils pratiques et des réflexions stratégiques pour inspirer les entrepreneurs. « Je suis animé par cette volonté de transmettre, glisse-t-il. J’aime être en compagnie d’autres entrepreneurs et échanger avec eux. Être entrepreneur, c’est avant tout résoudre des problèmes. Mais n’étant plus à la tête d’entreprises, je n’ai plus de problèmes à résoudre et je me consacre donc à solutionner ceux des autres. »

La liberté

Éric Larchevêque a choisi la voie de l’entrepreneuriat pour se construire un espace de liberté. « Ma véritable richesse réside dans le pouvoir de dire non. Toutes mes décisions sont guidées par l’évaluation de leur impact sur ma charge mentale. Dès que l’ennui s’installe ou que je sens ne plus avoir de valeur à apporter, je m’éclipse pour voguer vers de nouveaux projets. » C’est ainsi que cet entrepreneur fougueux a changé de vie tous les cinq ans. « Mon parcours peut sembler chaotique, mais il reflète ma conception de la liberté qui m’a conduit à faire des choix radicaux sans grandes hésitations. »

Éric Larchevêque se plaît à comparer l’entrepreneuriat et le poker, deux activités qui partagent, selon lui, une même essence : la prise de risques calculés. Au cours de sa carrière d’entrepreneur, il a d’ailleurs souvent eu le sentiment d’être assis à… une table de poker.

« Certaines de mes décisions risquées ont pu sembler hasardeuses, mais elles sont ancrées dans une réflexion stratégique. Le poker et l’entrepreneuriat se rejoignent dans cette capacité à transformer l’incertitude en opportunité et à prendre des risques calculés grâce à la compréhension de l’autre et à une analyse attentive de l’environnement. »

Selon le serial entrepreneur, l’entrepreneuriat est un appel irrésistible, presque instinctif, comparable à l’« appel de la forêt ». « C’est une force intérieure puissante, une volonté inébranlable de créer, de résoudre et de bâtir. Cette énergie, alimentée par une rage et une détermination profonde, devient le moteur du travail. » Mais, précise-t-il, la trajectoire d’un entrepreneur est rarement un long fleuve tranquille et suppose d’importants sacrifices. « Entreprendre n’est pas une solution miracle. Tout le monde n’est pas fait pour suivre ce chemin semé d’embûches. Nous devons encourager la jeune génération à suivre ses rêves, mais nous devons également lui faire prendre conscience des responsabilités et des implications liées à l’entrepreneuriat. L’argent ne peut pas être le moteur principal de l’entrepreneur, c’est un non-sens. »

« L’échec n’est qu’un état transitoire »

Selon Éric Larchevêque, 80 % de la réussite repose sur les porteurs du projet. Dix entreprises peuvent échouer dans un même secteur, là où une onzième réussira grâce à une exécution différente. « Mes décisions d’investissement sont guidées par la résilience de la personne que je rencontre. Je jauge sa capacité à persévérer, à rester habitée par sa mission malgré les épreuves et à ne jamais abandonner. Seule une endurance inébranlable permet de surmonter les doutes et de faire face aux épreuves les plus dures. »

Même si le projet doit susciter son intérêt, aiguiser sa curiosité et l’amuser, Éric Larchevêque ne peut se laisser convaincre que par un entrepreneur pugnace, même si le domaine lui parle peu. À l’inverse, il n’investira jamais dans un projet prometteur porté par une équipe sans relief. Il met également en garde contre la peur de l’échec qui paralyse et empêche de passer à l’action. « Je ne suis pas pour vilipender ni pour célébrer l’échec, l’important est de comprendre que c’est un état transitoire, comme l’est également le succès. L’entrepreneur doit se focaliser sur l’action, la réalisation et sur l’exécution de son projet sans se laisser distraire par les résultats produits par ses décisions. »

Éric Larchevêque garde à l’esprit des moments charnières de sa vie d’entrepreneur où tout peut basculer sur un détail, une simple décision ou un échange… Il se souvient notamment d’un revirement inopiné lors de la cession de Prixing. « Nous envisagions initialement de vendre l’entreprise pour 100 000 euros en ne cédant que les actifs. Lors d’une discussion avec un potentiel repreneur, une simple blague de leur part sur leur capacité à racheter l’entreprise a changé la dynamique. Cette remarque a fait basculer la situation et j’ai saisi l’opportunité pour conclure la vente pour un million d’euros. »

« Je venais de la campagne et je ne ressemblais à rien »

L’entrepreneur revient sur la genèse de cette force intérieure qui l’anime depuis la première heure. « Au lycée, je faisais l’objet de railleries, raconte-t-il. Je venais de la campagne et je ne ressemblais à rien. Ces moqueries m’ont donné la rage de démontrer aux autres que j’étais capable. À 10 ans, j’avais la certitude que je gagnerai de l’argent quoi que je fasse à l’âge adulte. J’avais une confiance en moi très forte sur le plan professionnel. »

Homme simple, accordant peu d’importance aux choses matérielles, Éric Larchevêque ne fait pas dans l’ostentatoire. « À quoi bon rouler en Ferrari ou porter une montre clinquante ? La réussite et la richesse résident dans la capacité à être libre dans l’espace de liberté que l’on a délimité. L’entrepreneur est dans une prison qu’il s’est lui-même choisie. Il jouit donc d’une liberté relative mais précieuse. »

Il remplace au pied levé Marc Simoncini

Début 2018, M6 lance un casting pour recruter les membres du jury de l’émission Qui veut être mon associé ? Éric Larchevêque, qui n’avait jamais songé à faire de la télé, est intéressé par le concept de l’émission. Il décide de postuler. Six mois plus tard, il est recontacté par la production qui lui formule deux réserves : son entreprise, Ledger, dont l’activité semble peu compréhensible du grand public, et par ailleurs, personne ne le connaît. On lui propose donc un rôle de remplaçant, qu’il accepte sans sourciller.

En septembre, lors des essais, l’un des entrepreneurs initialement sélectionnés n’ayant pas convaincu, il se voit offrir une chance. « Je m’étais préparé à pouvoir saisir au vol cette opportunité en décortiquant plus de 200 épisodes d’émissions de ce type pour comprendre les attentes des producteurs : phrases courtes et percutantes, sens de l’enjeu, suspens maîtrisé, capacité à rebondir… J’avais peaufiné chaque détail pour être prêt. »

Cette préparation fait la différence. Un soir, il remplace au pied levé Marc Simoncini, victime d’une indigestion, et tout s’enchaîne : il participe à la moitié des émissions de la première saison et est reconduit en tant que titulaire pour la seconde. « J’ai rapidement identifié le potentiel sociétal de cette émission qui met en lumière le métier d’entrepreneur et contribue à réconcilier les Français avec la notion de réussite et de travail en valorisant la résilience et la méritocratie. » L’émission déconstruit les stéréotypes en mettant à l’honneur des entrepreneurs issus de tous horizons : jeunes ou moins jeunes, venant de toute la France et pas uniquement des cercles d’élites parisiennes. « Tous les entrepreneurs avec qui j’échange reconnaissent la valeur de cette émission qu’ils jugent inspirante. »

Éric Larchevêque revendique une approche instinctive, souvent guidée par ses émotions. « Ce n’est peut-être pas la stratégie la plus optimale pour maximiser les rendements, mais je préfère vivre de belles aventures humaines. » À l’image de sa rencontre avec Frédéric Douin, libraire spécialisé dans les ouvrages anciens. L’éditeur portait le projet ambitieux de restaurer un million de livres anciens. Séduit par l’authenticité de cette démarche, Éric a investi 180 000 euros en échange de 45 % des parts de l’entreprise de Frédéric Douin.

Éric Larchevêque accompagne aujourd’hui des profils extrêmement variés évoluant dans des secteurs très éloignés de l’univers des start-up : des artisans, des TPE, des PME situées dans des petites villes de province… « Ces entrepreneurs, souvent méconnus, ne lèvent pas de fonds, mais ils portent l’économie réelle du pays », souligne le fondateur de Ledger. « Ma mission est désormais claire : je souhaite aider les entrepreneurs à créer un maximum de valeur et à fédérer des énergies. Je cherche à célébrer la richesse de l’entrepreneuriat sous toutes ses formes. »

À voir aussi