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Eric Limasset (Layher), bâtisseur de l’éphémère


À 56 ans, Éric Limasset est président de Layher France. Père de quatre enfants, il se destinait à une carrière de pilote de chasse avant d'être diagnostiqué daltonien. Diplômé de l'INSA Lyon, il est entré dans le monde de l'échafaudage qu'il n'a plus quitté depuis 30 ans. Profondément humain, cet éternel optimiste est un entrepreneur engagé dans la responsabilité du collectif.

Éric Limasset, président de Layher France

Le groupe Layher est un groupe familial allemand, leader mondial de l’échafaudage. Pourquoi avoir choisi ce corps de métier ?

Éric Limasset : En 1994, je suis entré dans cette société en tant que directeur technique, attiré par le côté ludique de ce jeu de mécano géant que j’ai vu évoluer depuis plus de 20 ans. En effet, l’échafaudage est passé d’une structure en tubes et planches à un système modulaire de plus en plus high-tech ! Tout ce qui se construit nécessite des accès en hauteur. En tant qu’échafaudeurs, nous sommes là, l’invisible de la construction. Nous concevons des structures qui disparaîtront aussi vite qu’elles ont été montées. Et qui peuvent être atypiques, comme récemment le studio de télévision sur le toit du Trocadéro pour les Jeux Olympiques de Paris 2024. J’aime l’idée que nous sommes des charpentiers de l’éphémère.

Les travaux en hauteur sont très accidentogènes et impliquent de grosses responsabilités. Comment faites-vous face à ces enjeux ?

Les enjeux sont à la fois humains et matériels. Pendant des décennies, le matériel n’a pas évolué. Dès 2007, nous avons créé une école spécialisée pour former des monteurs, des ingénieurs et des contrôleurs. Pour attirer les jeunes à ce métier, nous avons mis en place un partenariat avec l’Éducation Nationale, qui a ensuite abouti, avec le Syndicat Français de l’Échafaudage, à la création d’une mention complémentaire permettant aux lycées professionnels de créer une filière échafaudage. C’est de l’emploi garanti pour nos jeunes arrivant sur le marché du travail, car nous sommes dans une filière qui embauche.

Les matériels aussi évoluent. Et c’est précisément ce qui fait la force de notre groupe : la capacité d’innover dans un domaine très traditionnel. Par exemple, nous sommes les premiers (et toujours les seuls) à incorporer de nouveaux aciers à haute limite élastique permettant de réduire les poids et donc les troubles musculo-squelettiques pour les monteurs, tout en augmentant la résistance des structures (système Lightweight). Nous avons réinventé la protection collective afin qu’elle soit ergonomique et intuitive avec le système Uni Safe. Nous effaçons les systèmes fastidieux de poutres treillis et colliers avec des profils aluminium beaucoup plus légers et rapides à installer (système Flexbeam).

Nous avons même inventé un échafaudage isolant électriquement pour tous les travaux proches de zones à risque électrique jusqu’à 50 000 V. Ce qui est important, ce n’est pas le produit en lui-même, mais la manière dont il sécurise les utilisateurs, facilite l’installation de ces structures et crée de l’emploi.

Aujourd’hui tout le monde parle d’intelligence artificielle. Est-ce une réelle opportunité pour vos métiers ?

Pour les entreprises, c’est une vraie opportunité. Et nous n’avons pas fini de voir toutes les applications possibles pour nos métiers, même les plus manuels ! La difficulté est de prévoir les cycles économiques, et pour nous, qui mettons à disposition le plus grand parc de matériel en location en France (50 000 T), d’ajuster nos stocks pour être toujours en mesure de servir nos clients.

Il y a, chez les entreprises, des milliers de données utilisables. Depuis des années, nous collectons des datas liées aux commandes, aux plannings de nos clients, mais aussi à la météo, aux grands programmes de rénovation, etc. Forts de ces données, nous avons fait un gros travail d’analyse sur 10 ans, ce qui nous permet maintenant d’anticiper les typologies de pièces que nous commanderons pour nos clients. Aujourd’hui, on exploite l’intelligence artificielle dans les logiciels que nous développons.

Au sein d’un groupe international, quelle est votre vision du marché et de l’entreprenariat français ?

J’ai la chance d’avoir une très grande liberté d’action. Il est intéressant d’observer les spécificités du marché français. C’est un marché extrêmement agile, certains diront parfois brouillon, avec une fabuleuse créativité de la part des entreprises et d’entrepreneurs passionnés. On parle beaucoup des charges qui pèsent sur les entreprises (fiscales, administratives), mais peu de la chance de trouver un terreau propice à l’imagination, à l’inspiration et au recrutement de nombreux talents. Mais économiquement, ce marché arrive à maturité.

Layher se développe de plus en plus à l’export, et notamment en Afrique. Comment travaillez-vous dans cette région qui a ses propres spécificités de management ?

J’ai créé des partenariats ou des filiales en Afrique : Algérie, Maroc, Sénégal, Côte d’Ivoire, Nigeria, Angola. L’Afrique, c’est le continent d’avenir avec tous ses risques et ses difficultés (économie, instabilité politique)… mais c’est tellement passionnant ! Ces pays renferment une richesse humaine et culturelle fascinante, ainsi qu’une envie d’apprendre et de travailler phénoménale. En revanche, ce ne sont pas des pays dans lesquels on vient juste « faire du business ».

Il peut exister un ressentiment fort contre les entreprises, notamment françaises, en Afrique francophone ; elles sont souvent perçues comme des sociétés qui viennent piller le pays. On se doit d’être humble et d’apporter autant qu’on en retire. Par exemple, je tiens à ce que les salariés de nos filiales aient des conditions de travail équivalentes à leurs collègues en France. Je tiens à m’investir et à investir dans les pays dans lesquels on s’installe. On construit, on embauche, on forme et on va même plus loin…

En Côte d’Ivoire, nous avons initié avec le ministère de la Jeunesse Ivoirienne « le parcours de la 2ᵉ chance » pour former des jeunes sans emploi. Au Sénégal, nous sommes partenaires du Village Pilote qui recueille, éduque et forme à de nombreux métiers du bâtiment des enfants recueillis dans les rues de Dakar. En complétant notre activité économique par une activité sociale engagée, on se sent plus légitime à travailler localement.

Comment, dans votre philosophie entrepreneuriale, naviguez-vous entre votre vision du monde et votre démarche de management ?

Mon credo est qu’il faut toujours essayer de donner du sens. Les jeunes générations arrivent dans l’entreprise avec des attentes beaucoup plus fortes qu’auparavant. Elles sont souvent prêtes à s’engager pleinement, mais à condition de comprendre le bien-fondé de leur travail, l’éthique de l’entreprise et l’épanouissement qu’elles vont en retirer.

Par ailleurs, je suis un éternel optimiste. Je ne m’attache pas trop aux diplômes, mais plutôt aux caractères et à l’engagement des personnes qui vont m’accompagner. Aujourd’hui, dans un contexte de recrutement difficile, les cellules RH ont un vrai rôle à jouer, notamment sur l’onboarding.

Et le pouvoir de l’entrepreneur, c’est de pouvoir faire évoluer ses collaborateurs, mais aussi d’agir sur son environnement. C’est le principe de la responsabilité sociétale, qu’elle soit écologique ou sociale. Par exemple, Layher s’investit en tant que partenaire de l’association Toit à Moi, qui permet de sortir de la rue des sans-abris, de leur donner un logis, de les soigner et de leur permettre un retour à l’emploi et à une vie sociale.

Il y a beaucoup d’accompagnants qui donnent de leur temps pour ces personnes, et également des entreprises qui peuvent œuvrer avec du mécénat de compétences, de l’emploi à temps partiel, pour permettre un retour progressif à l’emploi. C’est ce côté multifacettes de l’entreprise qui est passionnant. Et l’on doit être en mouvement constant, c’est l’essence même d’entreprendre ! Un système qui fonctionne sans changement est voué à une érosion certaine, car le monde qui nous entoure évolue très vite : que ce soit le marché du travail et les aspirations des nouvelles générations, la technologie et le regard changeant sur la pénibilité des tâches, ou encore la RSE, qui devient une nouvelle valeur de l’entreprise. Et pour cela, l’innovation reste l’une des clés.

S’indigner et agir

Depuis 2007, l’association Toit à Moi s'est fixée pour mission d'aider des personnes sans-abri à changer de vie en les logeant dans de vrais appartements, en les accompagnant pour les aider à résoudre leurs problématiques, et surtout en créant du lien social pour sortir de l'exclusion.

« S’indigner et agir » est le slogan de l’association et c’est un état d’esprit qui me convient très bien ! », affirme Eric Limasset qui est le Président des Mécènes d’Ile-de-France de l’organisation, « via le club mécènes, non seulement les entreprises soutiennent l’action de Toit à Moi, mais elles sont également très impliquées dans la vie des personnes aidées. En tant qu’entreprise, nous avons une responsabilité sociétale forte ! ».

Offrir du temps et des compétences

Depuis décembre 2023, Layher est partenaire de Village Pilote à Dakar (Sénégal), une association afro-européenne qui défend les droits des enfants et leur donne les clefs pour les faire valoir. Son engagement fondateur : faire des enfants et des jeunes d’aujourd’hui, en particulier les plus vulnérables, au Nord comme au Sud, les citoyens d’un monde solidaire.

L’association sort les enfants de la rue, gère des retours dans leurs familles, et leur apprend un métier pour faciliter leur réinsertion.

« Layher vient d’ajouter la filière de l’échafaudage parmi les formations dispensées à ces jeunes », explique Eric Limasset, « à l’issue de sa formation, le jeune bénéficie d’un appui à l’insertion professionnelle aussi bien technique que financier. Des cours tels que la gestion de budget, la préparation aux entretiens d’embauche, la rédaction de CV et le savoir vivre au sein d’un entreprise sont dispensés. Un appui direct est également accordé pour l’accès au logement. Le jeune bénéficie également d’un accompagnement durant les premiers mois de sa réinsertion ».

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