Par André Perrissel, Agence Étoile Fnaim Grand Paris
Tribune. Le métier d’agent immobilier a évolué et devient multiforme. Avec la digitalisation, comme dans bien des métiers, de nouveaux modèles émergent, des « pure players » aux agences « phygitales » en passant par les agences à distance. Quelles sont les conséquences de cette évolution sur l’emploi ?
Les différents modèles économiques de l’immobilier français
Nous pouvons déterminer quatre grands types de modèles économiques d’agences immobilières françaises. Pour cette typologie, nous tenons compte uniquement des modèles réalisant une intermédiation entre client vendeur et client acquéreur. Ces structures détiennent une carte professionnelle d’agent immobilier. Sont exclues, par exemple, les conciergeries.
– Les pure players : ce sont les agences en ligne qui proposent leurs services au vendeur avec un forfait fixe. Une vision moderne du PAP : insertion publicitaire sur les portails immobiliers, reportage photographique, et quelques outils optionnels : programmation des visites ou prise de rendez-vous avec un diagnostiqueur. Cette formule est assez peu rentable, et n’emporte pas vraiment l’adhésion des vendeurs.
– Les ibuyers : la vision moderne du marchand de biens. Si la bien confié en mandat de vente n’est pas vendu dans les trois mois l’agence immobilière s’en porte acquéreur à un prix plancher. Cette formule nous vient des Etats-Unis. Mauvais exemple, OpenDoor, l’inventeur américain de cette formule est condamné à une amende de 68 millions de dollars pour publicité mensongère. En France, le pure player Proprioo en difficulté, vient d’être vendu à Casavo, une société de ibuyers italienne.
– Les réseaux de mandataires : ces réseaux se développent depuis que la loi française a supprimé l’obligation de rattacher un point de vente à un directeur d’agence délégué du titulaire de la carte professionnelle. Ainsi, depuis cette réforme, un agent immobilier titulaire d’une carte professionnelle peut développer un réseau d’agents mandataires dans toute la France. IAD par exemple, basé à Melun, regroupe 15.000 mandataires à distance déployés dans l’hexagone. Un modèle qui fait florès puisque ces réseaux comptent désormais 80.000 agents mandataires en France.
– Les business center sont des plateformes qui regroupent localement une agrégation d’agents commerciaux indépendants. Ce modèle est largement inspiré du modèle américain. Chez Keller William, cela s’appelle les « mega agent offices ». L’ambition de ces business center est d’intégrer une cinquantaine d’agents commerciaux sur un secteur, mettre à leur disposition un espace de travail contre paiement d’une redevance et de tous autres frais.
– Les agences phygitales : avec les nouvelles technologies, les agences immobilières « traditionnelles » ont pris le virage digital. Ce sont des agences indépendantes, en franchise (C21, ORPI, L’ADRESSE… ), ou intégrées (Nexity, Foncia, Cytia). Elles sont implantées au cœur des quartiers et de la vie de nos concitoyens. Ces agences accueillent la clientèle dans leur espace commercial, ont pignon sur rue, dispose d’un CRM et des outils digitaux tel que la visite virtuelle, la signature en ligne ou la vidéo 360°. Toutes travaillent en réseau et en fichier partagé, réseau de franchise, réseau intégré ou réseau indépendant (InterKab regroupe 7000 agences en France, AMEPI plus de 4000).
Quelles parts de marché pour ces différents intervenants ?
Les agents immobiliers dits « traditionnels » maintiennent leur position avec 60 % des parts de marché de la transaction immobilière en France. Les pures players, mandataires à distance et business centers se partagent 14 % du marché. Les 26 % restant représentent le marché des notaires ou des particuliers.
Quel modèle économique pour chacun de ces intervenants ?
Les pure players ont mis en place des outils en ligne, tout est automatisé pour réduire les coûts, notamment le coût d’une main d’œuvre qualifiée sur le terrain. Ce modèle économique n’est pas viable, les forfaits trop bas ne financent pas les investissements. La tendance est de se convertir en agences de mandataires à distance.
Les agences de mandataires à distance ou de business center s’inspirent du modèle américain des agents commerciaux. Le modèle américain, c’est un broker, titulaire d’une carte professionnelle, comme en France l’agent immobilier. Et ce broker collabore avec des agents commerciaux. La différence avec la France, c’est que l’agent commercial – le « real estate agent » – a l’obligation de suivre de 60 à 135 heures de formation (variable selon les Etats) puis de passer un examen pour être « licencié ». La législation française n’impose pas d’examen ni de « licence » d’agent commercial. Certes, ces modèles apportent une formation de base à ces agents, mais ils manquent d’outils d’accompagnement terrain.
Les agences traditionnelles emploient majoritairement des commerciaux salariés, payés avec un fixe, plus un pourcentage sur le chiffre d’affaires traité. Elles emploient aussi des agents commerciaux. A la différence des mandataires à distance, ces agents commerciaux, autant que les salariés, sont formés en continu, en présentiel, à distance mais aussi avec un accompagnement terrain. Et ils sont rattachés à une structure locale, avec un agent immobilier qui peut contrôler la qualité de leur service. Le modèle économique de ces agences est basé sur la complémentarité des métiers, entre la transaction, la location, la gestion locative et le syndic de copropriété.
Y-a-t-il un risque d’ubérisation ?
A la base, le modèle économique des agences de mandataires à distance et des business center est une redevance mensuelle payée par leurs agents commerciaux. Ce sont des modèles où il faut payer pour travailler. Et pour la grande majorité des agents commerciaux, les revenus réels sont loin des revenus espérés. Il s’agit bien d’une forme d’ubérisation.
Cette forme d’ubérisation s’étend à d’autres métiers. C’est le cas pour les syndics de copropriété. Chez Bellman, le syndic qui s’affichait comme disruptif, tous les gestionnaires de copropriété ont été licenciés. Et on leur a proposé de devenir « franchisé » Bellman, donc indépendant.
Les agences traditionnelles s’inquiètent de cette progression de l’uberisation de leur profession. D’autant plus qu’un représentant éminent d’un groupe américain de business center français brigue la présidence de la Fédération National de l’Immobilier (FNAIM).
Est-ce donc la fin du salariat dans l’immobilier français ?
La conjoncture se tend, les taux d’intérêt remontent, l’accès au crédit se durcit. Comme dans toutes les crises que nous avons traversées, il faut être très professionnel pour se maintenir. Comme disait le regretté Laurent Vimont : « c’est quand la mer se retire que l’on voit ceux qui portent un maillot de bain ».
Vendre un bien immobilier nécessite des compétences juridiques, techniques, commerciales et humaines qui font la différence. L’humain dans la relation client en immobilier est un élément indispensable. Un client n’achètera jamais un bien à distance après une simple visite virtuelle. Une estimation en ligne ne sera jamais aussi juste qu’une estimation in situ en considération des caractéristiques et de l’état du bien. L’intervention humaine est toujours indispensable pour estimer au juste prix, pour commercialiser, pour faire visiter, pour négocier, pour monter un plan de financement et pour accompagner vendeur et acquéreur dans les différentes étapes d’une transaction. Ce sont des compétences qui s’acquièrent après une formation, un accompagnement de tous les jours et une expérience sans cesse renouvelée.
Donc, je dirais que l’ubérisation est effectivement un risque dans l’immobilier. Les acteurs traditionnels en sont bien conscients. Leur modèle a évolué, les services se sont étendus. Ils recrutent toujours des salariés parce que leurs compétences sont clairement indispensables à leur réputation. Et l’immobilier restera encore longtemps l’un des premiers créateurs d’emploi en France. Je conclurai en citant Michel Platéro, Président de la Fnaim Grand Paris : « Notre valeur, ce sont nos agents, quand la qualité s’impose, le prix s’oublie. »