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Et si la France sortait de l’Euro ?


Par Arnaud Ramponneau, auteur et entrepreneur. Dans cette expertise réalisée exclusivement pour Géostratégie magazine, dans le cadre de notre bilan portant sur le système européen, Arnaud Ramponneau, entrepreneur, livre une analyse objective : si la France n’est plus en mesure de caresser l’espoir de relancer son économie, alors, aucun intérêt...

Entreprendre - Et si la France sortait de l’Euro ?

Par Arnaud Ramponneau, auteur et entrepreneur.

Dans cette expertise réalisée exclusivement pour Géostratégie magazine, dans le cadre de notre bilan portant sur le système européen, Arnaud Ramponneau, entrepreneur, livre une analyse objective : si la France n’est plus en mesure de caresser l’espoir de relancer son économie, alors, aucun intérêt de quitter l’eurozone.

Si les économies européennes sont en berne, les défis inflationnistes et la spirale récessionniste menaçant l’avenir de l’Europe, l’euro n’est pas seulement une faille économique, mais est aussi une fracture politique. L’euro est un totem inattaquable. Pour preuve, le débat sur l’existence de la monnaie unique est boudé. Et les partis souverainistes, qui scandent au « Frexit » en oubliant les conditions spéciales auxquelles le Royaume-Uni appartenait à l’UE, ne rendent pas service.

Toutefois, les turbulences inouïes que traverse l’euro depuis la crise du Covid, illustrant ses défauts intrinsèques et son malfonctionnement, commencent enfin à ouvrir le débat de son existence. Économistes, politologues, journalistes, et à bas bruit, responsables politiques, s’interrogent sur une monnaie supranationale qui pénalise plus qu’elle n’avantage.

Certains se remémorent même que parmi les leviers de commande régaliens, la monnaie est l’apanage des grandes puissances économiques. Alors, sans nous limiter au catastrophisme habituel, qu’adviendrait-il si demain, la France appartenant à la zone euro, exerçait son droit de retrait comme le prévoit l’article 50 du traité sur l’Union européenne (TUE), et annonçait bâtir le nouveau franc (₣) ?

Les bons comptes font les bons Amis

Au premier abord, le cadre institutionnel que posent l’euro et la Banque centrale européenne (BCE) semble évident : l’euro matérialise les dettes et les crédits entre des États européens au sein d’un système monétaire. L’Eurozone est le lieu de négociation obligatoire de la politique économique européenne, qui régit les échanges commerciaux et financiers du continent.

En ce sens, cette monnaie symbolise l’engagement des pays à résoudre leurs différends par la coopération économique. Par réflexe, on pense que si des États européens, ou même si un seul État européen, renouait avec sa propre monnaie nationale, il se séparerait des autres États membres, de même qu’il renoncerait à un outil efficace pour ses échanges commerciaux, énergétiques et industriels.

Or, la réalité est celle d’une concurrence industrielle et commerciale qui s’est exacerbée, en partie à cause des mécanismes propres à la monnaie unique, et qui désavantagent la compétitivité des pays méditerranéens, ayant accentué les disparités économiques Nord/Sud des trente dernières années. En vérité, « quitter l’euro » est une expression simpliste, une arme psychologique qui a fait tourner le dogme européen à plein régime. En abandonnant la monnaie unique, on ne se débarrasse pas de ses voisins. Certes, le pays qui renonce à l’euro n’utilisera plus les échanges dans une même unité de compte et la balance des paiements unifiée, soit le référentiel de valeur que régule de facto l’euro.

Et l’État de l’Eurozone qui crée sa nouvelle monnaie nationale devra effectivement reconfigurer ses échanges avec ses partenaires en se plaçant hors zone euro. Mais au-delà des paramètres techniques, ce pays devra surtout solder ses comptes. Cela implique que les États créanciers, actuellement l’Allemagne et à moindre mesure la France, exigent les remboursements de leurs créances à leurs débiteurs. Il faudra donc solder les comptes. C’est là que le bât blesse.

La problématique est la suivante : dans quelle monnaie un État européen débiteur, qui évoluerait désormais en monnaie nationale, paierait ses dettes ? Difficile de croire que l’Allemagne, plus gros créancier de l’Eurozone, accepterait d’être, par exemple, payée en Lire (₤), monnaie italienne qui serait très peu échangée et surtout, fraîchement émise par un pays surendetté. C’est inenvisageable pour Berlin. À l’image du cas Brexit, les questions monétaires entre États se traitent par d’âpres négociations politiques, ces derniers défendant bec et ongles leurs intérêts respectifs. Pourtant, si personne n’ignore la gravité des déséquilibres intrinsèques à la zone euro, – à savoir que les pays à risque comme la Grèce, le Portugal et l’Espagne sont entraînés dans un excès d’emprunts financés par les exportations allemandes -, quitter l’euro signifierait s’acquitter de sa dette auprès de l’Allemagne.

Nul doute que ce ne sera pas une partie de plaisir. Dernier fantasme : on s’imagine que si l’euro est délaissé par les pays adhérents, le marché européen entier deviendrait une proie facile pour les grandes puissances que sont la Chine et les États-Unis. Toute perturbation, voire renoncement brusque et non-préparé à la monnaie du continent par la France, l’Italie ou l’Allemagne, reviendrait à faire allégeance à la zone dollar ou à la zone yuan. En effet, ils devraient faire face à la fuite des capitaux, et réagir aux multiples attaques économiques, qui le positionneront pour un certain temps comme pays rebelle, d’autant plus s’il est surendetté.

Cela affaiblirait la zone euro, et tous comptes faits, exercerait une pression ou un chantage à l’encontre des économies européennes. Mais les déboires actuels de la désindustrialisation et de la crise énergétique, qui affaiblissent immensément la zone euro tandis que les économies américaines, chinoises, indiennes et russes sont en croissance, ne sont-ils pas déjà la preuve d’un déclassement ? Pour les États, ce n’est pas tant de « quitter l’euro » dont il s’agit, mais de s’éloigner au plus vite d’une bureaucratie européenne impuissante qui paralyse les marges de manœuvre nationales.

La France, sous-compétitive malgré son fort potentiel

La situation française s’analyse par sa désindustrialisation, la pire de l’UE en 20 ans. Le premier argument d’une refondation de la monnaie nationale, est de remédier au déficit commercial croissant de la France, ainsi que la baisse structurelle des exportations françaises dans le monde. Toutefois, il faut rappeler une donnée essentielle : l’euro s’est déprécié de 25% par rapport au dollar en 20 ans, jusqu’à passer sous la valeur du dollar en juin 2022.

On peut dire que l’euro, en lui-même, n’est actuellement plus surévalué à l’international, ce qui en fait toujours un moyen pour inverser notre balance commerciale à l’extérieur de la zone euro. Peut-être, mais pour que la France soit exportatrice “net” à l’intérieur de la zone euro, cela reste impossible, puisque les ajustements monétaires sont de facto supprimés avec la monnaie unique. L’euro a immensément distordu la compétitivité entre les pays de l’UEM, sans fournir aucun mécanisme de rééquilibrage commercial.

Adieu l’instrument monétaire du taux de change, il n’y a plus d’amortisseur pour décourager les importations ni de “stimulateur” pour favoriser les exportations. C’est le point noir de l’euro pour la France : le déséquilibre structurel de la balance commerciale est aussi celui de sa balance des paiements. L’accumulation historique de déficits commerciaux provoque la croissance extravagante de la dette extérieure et de la dette intérieure.

Alors, pour rendre les exportations françaises plus compétitives, notamment pour capter des marchés extérieurs, l’instrument monétaire du taux de change est un dispositif de compétitivité que la France doit plus que jamais actionner. Une dévaluation compétitive par rapport aux monnaies des partenaires commerciaux européens, rendrait le franc (₣) fort intéressant et surtout, les produits français plus attractifs.

L’Allemagne, qui représente le plus important marché de la France à l’export avec 16 % des exportations, verrait des produits français moins chers sur son marché intérieur. On pourrait politiquement négocier un réajustement de la balance commerciale entre nos deux pays. En s’appliquant à produire davantage, on retrouverait aisément notre compétitivité à l’intérieur de la zone euro, cette dernière qui était la promesse initiale du marché unique.

Et a fortiori, le taux de change rendrait crédible le remboursement des dettes de la France par ses excédents commerciaux. Car la France dispose d’un avantage unique pour son industrie : sa capacité énergétique nucléaire qui lui confère un coût de production des plus faibles en Europe. Tout le pari du Plan Messmer a brillamment réussi en assurant à la France, seule puissance nucléaire de l’Europe sur le plan militaire et civil (et qui traversait en 1974 le premier choc pétrolier), une souveraineté énergétique.

Si l’État avait entretenu la filiale nucléaire d’EDF, nous serions de loin le principal fournisseur d’électricité décarbonée de l’Europe. Nous pourrions tout simplement inonder l’Europe de l’électricité nucléaire française. Dans ce scénario, un tarif abordable s’appliquerait dans un franc moins cher que l’euro, en réalisant une dévaluation compétitive. Mais si nous n’avons pas su maintenir cet atout industriel indéniable, doit-on entièrement blâmer l’euro ?

Arnaud Ramponneau

(1) Radio France – Le Frexit du Front national: un retour à la souveraineté monétaire?
(2) Vie Publique – Qu’est-ce qu’un retrait volontaire de l’Union européenne (article 50 TUE) ?
(3) Le Monde – Vingt-trois ans après sa naissance, l’euro peine toujours à rivaliser avec le dollar
(4) Les Échos – La France essuie le pire déficit commercial de son histoire en 2022
(5) INA – 1974 : Pierre Messmer lance le premier grand plan nucléaire civil français
(6) INA – EDF : L’énergie de France

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