Selon la Banque de France et pour la période des derniers 12 mois, 56 grandes entreprises et entreprises de taille intermédiaire par rapport à 53 en 2019, 364 moyennes entreprises contre 238 en 2019, 1147 PME par rapport à 651 en 2019, et 2443 TPE contre 1527 ont déposé leur bilan, avec en tête les secteurs de la mode et de l’habillement (Pimkie, Camaïeux, San Marina, Kaporal, Kookaï, Minelli, Naf Naf, etc.), de la distribution (Habitat, Casino), de l’hébergement et de la restauration, mais comprenant également une forte progression dans l’industrie.
Dégradation du contexte économique
Et contribuant ainsi à une légère remontée du chômage au 3ème trimestre 2023 et au risque de ne pas atteindre un objectif de plein emploi fixé par le Président Macron pour la fin du deuxième quinquennat.
Surtout, suite à la dégradation du contexte économique et des conditions financières, impactées par l’inflation, mais également l’incapacité des entreprises à renouveler leur offre et leur fonctionnement opérationnel. Et incapables de s’adapter aux changements des marchés, des circuits de distribution et des comportements d’achat, là où la période du COVID s’est avérée un facteur important de modification, voire un accélérateur redoutable de tendances déjà existantes.
Déclenchement d’une spirale infernale
Pire pour les start-ups : A un moment où les valorisations des entreprises appartenant au secteur des nouvelles technologies ont considérablement baissé, les financements des start-ups, surtout par des investisseurs professionnels, sont devenus nettement plus difficiles, et les levées de fonds, en 2023, ont pratiquement baissé de moitié. Et les banques, malgré des liquidités abondantes, ont plutôt resserré les conditions de crédit.
Mais de toutes les façons, dans une vie plus longue, toute entreprise, petite ou grande, industrielle ou de services, familiale ou à actionnariat diversifié, cotée ou non cotée, rencontre tôt ou tard, de façon prévisible ou accidentellement, une période plus compliquée. Souvent conséquence d’un retournement brusque des marchés, d’une évolution technologique, d’une modification des réglementations, d’un changement des habitudes d’achat ou de consommation du grand public ou d’autres discontinuités, temporaires ou définitives.
Avec, pour les entreprises touchées, le déclenchement d’une spirale infernale : baisse importante, voire disparition, de la demande et donc du chiffre d’affaires pour des produits ou des activités majeures, problèmes liés à l’approvisionnement, sous-utilisation des capacités de production ou de prestation, variation importante des coûts et des prix… tout ceci conduisant à une détérioration du résultat d’exploitation, du cash-flow et à l’assèchement de la trésorerie. Et, dès que les difficultés deviennent visibles, l’inquiétude des clients, des fournisseurs, nervosité du personnel et des syndicats, inquiétude des acteurs politiques et alarme dans les médias…
Une situation éventuellement aggravée par une lettre d’alerte obligatoire du commissaire aux comptes ou de l’expert-comptable, une possible déclaration de cessation de paiements auprès du Tribunal de Commerce et, surtout, pour le cas d’un dépôt de bilan, des conséquences désastreuses pour l’entreprise, les employés et le tissu économique local et régional – surtout s’il s’agit d’un employeur majeur ou d’une des dernières entreprises de la ville ou du village.
Dès lors, le patron ainsi que les cadres dirigeants, poussés par les actionnaires, soit se montrent à la hauteur et mettent en place un programme de crise et de restructuration, souvent déjà défini et dans les tiroirs – car gérer, c’est prévoir, c’est anticiper…
Soit, le nez dans le guidon du quotidien ou tétanisés par la crainte de réactions virulentes, ils ignorent, pour l’essentiel, les difficultés à venir et continuent à ne rien changer de significatif ou, pire, prennent des mesures palliatives, inappropriées, inquiétantes ou inefficaces.
Ou, comme ce fut généralement le cas de mes clients, certaines entreprises, souvent après avoir essayé plusieurs solutions internes, préfèrent carrément changer de dirigeant et faire appel, au moins temporairement, à un patron de transition, spécialisé dans le « turnaround » management, le redressement d’entreprises en difficulté. C’est le métier que j’ai exercé pendant plus de 25 ans, surtout en France, mais également en Hollande et en Allemagne et pour des entreprises présentes souvent partout dans le monde. Et, avec pour client, le PDG du Groupe, le patron propriétaire, le Conseil d’Administration ou, depuis leur prolifération encore récente, des fonds de private equity.
En n’étant pas, du moins au départ de chaque mission, un expert de l’industrie dont faisait partie l’entreprise en difficulté. Mais en m’appuyant très vite sur les meilleurs collaborateurs experts, et en sollicitant et en évaluant leurs propositions de solutions les plus pertinentes (plutôt que d’écouter la litanie infinie de leurs problèmes rencontrés…).
Et en profitant, bien entendu, de mes dix années d’expérience de consultant en stratégie et organisation au sein de McKinsey Paris… Et d’une méthodologie, démarrant sur la base d’hypothèses, à conforter par des analyses rigoureuses, beaucoup d’entretiens et le « benchmarking », c.à.d. la comparaison directe avec des concurrents comparables.
Avec, au fur et à mesure de mon évolution dans le conseil, des missions de plus en plus opérationnelles et pour des entreprises connaissant de sérieux problèmes d’exploitation et de résultats. Avec un goût de plus en plus prononcé et une impatience palpable et à peine contenue pour, au-delà des diagnostics et des recommandations, l’assurance d’une mise en œuvre effective, hélas souvent totalement absente ou, au mieux, très partielle des mesures préconisées.
Dans ma nouvelle vie de patron redresseur, la réussite des missions était souvent au rendez-vous – pas forcément avec un déroulement des opérations comme initialement prévu, mais adapté à l’évolution réelle de la situation. Presque toujours en renversant la tendance et en déclenchant une « spirale vertueuse » après seulement quelques semaines d’intervention.
Mais 100% de réussites dans les redressements n’existent pas, et les échecs, heureusement rares, font partie de la vie et de la crédibilité de l’intervenant. Et, côté positif, ils sont riches en expériences et leçons (sans oublier que dans les start-ups, les échecs sont bien plus fréquents que les réussites).
En créant, en 1974, mon cabinet Management Partenaires, spécialisé dans le redressement d’entreprises en difficulté, et en recrutant, compte tenu de ma visibilité médiatique pendant ma première mission, Chapelle Darblay, une équipe d’une petite dizaine de « Dirigeants très expérimentés trop jeunes d’esprit, pour prendre congé » (titre de mon annonce de recrutement dans les pages économiques du journal Le Monde), nous étions, avec la société Dirigeants Conseils, parmi les premiers à proposer en France une prestation de management de transition. A l’époque assez rare, mais aujourd’hui très courante, la prospection de clients, susceptibles de faire appel à ce type de service, était forcément laborieuse, et ne pouvait se baser que sur les résultats possibles et annoncés ou, après quelques expériences réussies, obtenus ailleurs. Je m’en considère donc comme étant un des précurseurs !
Ce livre est ainsi un recueil d’expériences réelles – le vécu de son auteur au travers de nombreuses missions de « turnaround » conduites personnellement, avec une approche qui ne pouvait nier ses origines allemandes : rigoureuse, pragmatique, plein de bon sens et un brin autoritaire…mais une créativité digne d’un Français et souvent des mesures tout à fait « out of the box ».
Mais également au travers des très nombreuses missions exécutées par mes collaborateurs au sein de mon cabinet Management Partenaires, des gestionnaires expérimentés et souvent, compte tenu de leurs responsabilités antérieures, volontairement « surdimensionnés » par rapport à leur mission et l’entreprise ou l’unité cliente. Et avec qui, je m’en rappelle comme si c’était hier, je faisais tous les lundi un point de l’ensemble des missions en cours, avec discussion générale et repas convivial à suivre.
Le seul côté un peu compliqué : autant mes collègues étaient d’excellents gestionnaires, leur faire faire de la prospection commerciale était bien plus difficile, en partie parce que les prospects voulaient avoir à faire directement au patron du cabinet et pas à un autre « collègue », issu à l’origine de la même « grande école » qu’eux-mêmes et dont ils ne voulaient pas admettre, comment ce dernier pourrait gérer les problèmes qu’ils n’arrivaient pas à surmonter.
Ce livre n’est pas un recueil de recettes passe-partout, car chaque entreprise et chaque situation sont forcément différentes. Même si, comme je l’admets, les particularités de chaque industrie existent, comme le prétendent pratiquement tous mes interlocuteurs (« notre industrie est très spéciale « ) …mon expérience m’a montré qu’elles sont moins « spéciales » que la similitude des situations et des problèmes entre des entreprises en difficulté.
Chaque dirigeant à la tête d’une entreprise en difficulté et quelque soit son secteur d’activité se reconnaîtra dans ce livre et y trouvera, je l’espère, outre une source de réconfort, un grand nombre de conseils et d’outils pour sa propre gestion. Car rien de pire que, dans une situation déjà très compliquée, d’être tout seul, de ne pas savoir quoi faire, de déprimer, voire pire…
Et pas sûr que sans beaucoup de présentiel, à un moment où le télétravail devient de plus en plus fréquent, et sans interaction quotidienne directe avec mes collaborateurs, un redressement comme je l’ai toujours pratiqué soit toujours possible.
Bien sûr, les 11 exemples de redressements d’entreprises vécus par l’auteur (Chapelle Darblay, Boussac Lin, Société des Vins de France, Bull Europe, Overseas et la Division Cartes à Puces, Générale de Biscuit Belge, BSN verre, Bertrand Faure Allemagne, Philips mobile, Getronics, debitel et Cycles Mercier) concernent des périodes déjà assez éloignées. Mais ils sont basés sur l’utilisation efficace d’outils toujours pleinement valables. Et j’espère que tous les spécialistes du management de transition, du redressement d’entreprises et des faillites ainsi que les journalistes des revues et des émissions économiques spécialisées s’en inspireront.
Une chose me parait certaine : si des entreprises comme Alcatel, AREVA, les sidérurgistes Usinor et Sacilor et même Alsthom, au moment de leurs difficultés, avaient été gérées selon mes méthodes, elles ne seraient pas devenues des catastrophes nationales. Et, peut-être, que si la France comptait davantage de vrais industriels, plus proches du terrain plutôt que du microcosme parisien , financier et des confréries des grandes écoles…des champions nationaux comme Pechiney, Lafarge et d’autres seraient restés français et auraient plutôt absorbé d’autres confrères que de se laisser avaler par des groupes étrangers…comme le montrent les réussites des Schneider, Orange, Peugeot, Pernod-Ricard, Danone, l’Oréal et de nos champions du luxe LVMH, Kering, Hermès et Chanel.
Et le drame actuel chez ATOS, qui se joue au moment où j’écris ces lignes, aurait toujours une (petite) chance de se terminer par autre chose qu’un autre échec industriel retentissant. En évitant de scinder pour des raisons purement financières, l’entreprise en deux unités, une avec les meilleures activités et une avec les « perdants », de la garder entière avec 5 ou 6 divisions distinctes, un siège allégé, des partenariats variables mais minoritaires dans chaque activité et une ouverture du capital dans des conditions préférentielles à l’ensemble des plus de 100 000 membres du personnel.
Axel Rückert
Expert des relations franco-allemandes, Axel Rückert est un chef d’entreprise allemand et ancien consultant au sein du cabinet de conseil McKinsey & Company.
Il est l’auteur de Sauve qui peut sait
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