Effervescente et enjouée, Fatou Ndiaye est un véritable tourbillon qui insuffle une incroyable énergie. À peine arrivée sur le lieu de l’interview, elle extrait de sa valise des accessoires qui vont donner corps à son discours : une veste sponsorisée par Sézane qu’elle décrit comme une sorte de cape d’invincibilité décernée aux femmes inspirantes lors des Trophées Femmes d’Impact…
Élevée au sein d’une famille sénégalaise, Fatou Ndiaye a grandi dans le 18e arrondissement de Paris, où elle a découvert très tôt les valeurs d’entraide et de solidarité. Profondément attachée à la tolérance, elle affectionne le mot grec philoxenia, qui incarne l’amour pour autrui et la capacité à l’accueillir tout en respectant sa différence.
Fatou Ndiaye se décrit comme une « rêveuse et audacieuse » et s’amuse de sa sensibilité à fleur de peau : « Le moindre bruit me fait tressaillir, je suis prise de vertige dès que mes pieds ne touchent plus terre et je suis profondément intimidée à l’idée de me rendre dans des lieux inconnus ou d’engager la conversation avec des étrangers. » Malgré ses appréhensions, Fatou Ndiaye redouble d’audace face aux obstacles. « Je trouve en moi la force de surmonter mes craintes. Vaincre mes peurs sans me laisser paralyser par mes angoisses est une victoire personnelle. »
Depuis son plus jeune âge, Fatou Ndiaye laisse son esprit voguer vers des contrées lointaines au fil des livres qu’elle dévore. Des aventures épiques de L’Odyssée aux mystères des légendes arthuriennes en passant par les récits envoûtants de la Grèce antique, ces univers lui permettent de s’évader de la réalité quotidienne et de nourrir son imaginaire. Fatou Ndiaye a conservé cette part rêveuse qui la pousse à croire que tout est possible. « Il ne faut pas craindre de tomber. La vie est faite de chutes, qui nous permettent de nous relever avec plus de courage et d’audace pour continuer notre chemin. »
« Vaincre mes peurs est une victoire personnelle »
À l’âge de 13 ans, de graves problèmes de hanche la contraignent à passer un an dans un centre de rééducation, dont six mois alitée. Elle garde pourtant un merveilleux souvenir de cette période. « J’ai découvert un monde totalement différent de mon univers quotidien, raconte-t-elle. J’y ai rencontré des personnes aux parcours de vie très différents, chacune ayant réussi à transformer ses différences en forces. »
Ambitieuse et nourrie par les livres qui ont éveillé en elle l’envie de voyager, Fatou Ndiaye rêvait de parcourir le monde. Dans le cadre de l’échange étudiant du master International Sales & Business Development à KEDGE Business School, elle choisit instinctivement de partir à Jakarta, sans même « savoir positionner l’Indonésie sur une carte. »
Les quatre mois passés à Jakarta furent « les plus éprouvants » de son existence. Fatou Ndiaye garde à l’esprit l’image d’une ville insalubre, surpeuplée et marquée par un racisme ambiant. « Les gens riaient en me voyant. Je me sentais comme une curiosité, observée tel un animal dans un zoo. Ma couleur de peau me reléguait au bas de l’échelle sociale. Cette expérience fut d’une grande dureté. »
L’espace d’un week-end, Fatou Ndiaye part à Singapour. Elle tombe sous le charme de la ville. Six mois plus tard, après avoir terminé son cursus, elle s’y installe avec 3 000 euros en poche. Elle ment à ses parents en prétendant avoir trouvé un emploi. « Sinon, ils ne m’auraient jamais laissée partir », avoue-t-elle.
Pendant trois mois, elle cherche un travail en vain. Mais alors qu’elle s’apprête à rentrer en France, elle est contactée par une entreprise pharmaceutique dans laquelle elle avait postulé pour un poste de business developer. N’étant pas diplômée d’une grande école européenne, on lui propose un stage en événementiel. Elle accepte malgré tout cette proposition. Six mois plus tard, elle est promue business developer. « J’ai voyagé dans 40 pays et j’ai enfin réalisé mon rêve. La vie nous offre des opportunités qu’il appartient à chacun de saisir. Il faut parfois accepter des propositions peu attrayantes qui, en réalité, deviennent des tremplins nous permettant de réaliser nos rêves. »
Trois ans plus tard, elle prend une décision radicale. Sans trop réfléchir, elle démissionne pour réaliser un tour de l’Amérique du Sud. Trois mois plus tard, de retour à Singapour, elle rejoint le projet de création d’entreprise d’une amie. En 2016, elles lancent une start-up spécialisée dans l’événementiel pour enfants, Little Pixie Box. Le concept est simple : une boîte d’anniversaire regroupant une solution clé en main — décorations, déguisements, accessoires de table — pour simplifier l’organisation des fêtes.
Au terme de sa première année d’activité, la start-up rencontre des difficultés. Face aux contraintes financières, Fatou Ndiaye devient fille au pair. Un compromis qui lui permet de ne pas payer de loyer tout en continuant à développer le projet. « Cette expérience m’a fait prendre conscience que l’entrepreneuriat est fait de concessions et de sacrifices. Ce n’est pas un chemin facile ni sécurisé, mais un parcours où l’engagement et la persévérance sont constamment mis à l’épreuve. »
Quelques mois plus tard, alors qu’elle rentre d’un week-end en Malaisie, elle est expulsée du pays sans délai et sans raison légitime. « Ces allégations étaient nourries par des préjugés racistes, c’était un prétexte fallacieux pour me chasser », confie-t-elle. Plutôt que de rentrer en France, elle choisit de prolonger son aventure à l’international en s’envolant pour l’Australie. Munie d’un visa vacances-travail, elle décroche, trois mois plus tard, un emploi de consultante en export. Un an et demi après, elle rejoint le cabinet KPMG. En seulement six mois, elle est promue National Head of International Trade. Son rêve se concrétise : un bureau au 28e étage offrant une vue panoramique, une mission d’intrapreneuse où elle lance une plateforme digitale au sein de KPMG, un appartement de rêve surplombant le port de Sydney, le tout sous un climat ensoleillé.
Deux ans plus tard, son manager quitte l’entreprise : il est remplacé par une personne qui peine à saisir le sens de ce qu’elle fait. Face à un ultimatum incongru qui lui est donné, Fatou Ndiaye décide de rentrer à Paris. « Ma vie est jalonnée de tournants. Si certaines expériences n’ont pas toujours été positives sur le moment, les transformations qu’elles ont engendrées ont toujours fini par faire sens. La contrainte et les échecs créent des opportunités ! Encore faut-il avoir l’audace de les saisir. »
En 2020, elle se lance dans une nouvelle aventure entrepreneuriale aux côtés de son amie Maud Jégo : The Great Village. Ce projet se présente comme un tremplin pour les initiatives à impact positif…
« La résilience est un état d’esprit »
Fonctionnant comme un incubateur basé sur le principe du troc, ce projet accompagne les start-up à impact en les connectant à des réseaux de grandes entreprises et en développant des partenariats innovants.
« On passe parfois à côté de l’essentiel : lorsque j’achète du pain, je paie avec ma carte bancaire sans même saluer ou remercier le boulanger avant de m’éclipser. Mais dans le cadre du troc, ton rapport à l’autre est différent. Tu prends le temps d’expliquer au commerçant que tu as besoin d’une baguette et tu lui demandes ce que tu peux lui offrir en échange. Un lien se tisse, et une véritable relation humaine naît. »
En quatre ans, The Great Village a contribué à échanger l’équivalent de 5 millions d’euros en ressources et fédéré une communauté de 3 000 membres, incluant plus de 300 entreprises. Fatou Ndiaye a constaté que les femmes troquaient moins et demandaient souvent des ressources de moindre valeur. « Elles étaient plus en retrait et moins audacieuses que les hommes. J’ai alors ressenti le besoin de leur transmettre mon audace. »
Malheureusement, les fondatrices sont contraintes de liquider The Great Village, faute d’avoir trouvé un modèle économique stable et pérenne. Cependant, ce modèle de troc perdure à travers leur communauté.
En 2021, Fatou Ndiaye crée l’association The Wonders, dont l’objectif est d’encourager et de soutenir les femmes dans l’entrepreneuriat et la sororité, en favorisant une vision d’un monde plus égalitaire. « Nous souhaitions inspirer et challenger les femmes de tous horizons, leur transmettre un état d’esprit résilient et leur faciliter l’accès aux ressources nécessaires pour transformer leur projet en succès. »
The Wonders s’articule autour de trois projets essentiels : inspirer, encourager le passage à l’action et transformer la société. Fatou Ndiaye souligne l’importance de disposer de modèles pour s’inspirer et oser, tout en rappelant, selon la formule de Michelle Obama, que « l’on ne devient pas ce que l’on ne voit pas. »
« Les médias mettent majoritairement en avant des figures masculines, nous privant ainsi des modèles féminins essentiels dont nous avons besoin pour nous inspirer et nous identifier. »
C’est pourquoi elle lance Les Trophées Femmes d’Impact en 2022. Cet événement annuel met en lumière 77 femmes inspirantes, sélectionnées parmi 500 nominées par la communauté dans diverses catégories, grâce à l’initiative Balance ta Wonder.
« L’objectif est de célébrer leur impact positif dans divers domaines (artistes, entrepreneuses, employées…) et de lutter contre le syndrome de l’imposteur dont les femmes sont souvent habitées. »
L’association conçoit un programme de formation basé sur des défis pour développer l’audace chez les entrepreneuses à impact. Tous les six mois, un nouveau cycle démarre, et entre 10 et 30 femmes sont sélectionnées pour y participer.
« Notre méthodologie repose sur un passage à l’action hebdomadaire. Si une participante échoue à deux défis, elle est éliminée du programme, un peu comme dans Koh-Lanta. »
Dépasser les inégalités femmes-hommes
En 2023, afin d’avoir également un impact au sein des entreprises, Fatou Ndiaye lance La Fresque de l’Équité, un atelier participatif et intergénérationnel inspiré de La Fresque du Climat pour sensibiliser aux inégalités de genre en entreprise et inciter à l’action pour les combattre.
En créant cet atelier, Fatou Ndiaye s’est fixé pour objectif d’éveiller les consciences et de favoriser un changement profond des mentalités et des pratiques au sein des entreprises.
« La Fresque de l’Équité est devenue un outil essentiel pour déconstruire les stéréotypes de genre et promouvoir un environnement professionnel plus juste et équitable. »
Fatou Ndiaye identifie trois types de réactions de la part des hommes qui participent à ces ateliers : une peur de participer par crainte d’être jugés, un scepticisme face à la réalité des inégalités de genre, et un désir d’agir, souvent accompagné d’une incertitude quant à la manière de s’y prendre.
« Nous évoluons aujourd’hui dans un monde où les règles ont été construites par des hommes, pour les hommes, selon un paradigme centré sur eux. Le système actuel n’est pas conçu de manière équitable, car il ne prend pas en compte les besoins spécifiques des femmes. »
Fatou Ndiaye remet en question l’idée même d’un « entrepreneuriat au féminin », qu’elle considère comme un non-sens :
« Ce concept découle d’un paradigme erroné où les bonnes questions ne sont pas posées au bon moment. Ce modèle est biaisé dès le départ, car il ne cherche pas à construire un cadre véritablement inclusif et équitable, mais plutôt à adapter les femmes à des règles qui ne les prennent pas en considération dès l’origine. »
Son analyse met en lumière la nécessité de repenser profondément les structures et les modèles de l’entrepreneuriat, en s’assurant que les besoins spécifiques des femmes soient intégrés dès la conception des systèmes, afin d’éviter d’avoir à « ajuster » les femmes à des normes inadaptées.
Fatou Ndiaye insiste sur l’importance de remettre en question le paradigme actuel pour que les femmes se sentent légitimes et libérées dans leur manière d’entreprendre.
Elle souligne qu’en tant que femme, « on ressent souvent une pression à se conformer au “moule” pour espérer réussir ».
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : seulement 2 % des projets portés exclusivement par des femmes reçoivent des financements, tandis que 98 % des ressources sont allouées à des projets masculins.
« Il est essentiel de sensibiliser et d’éduquer les acteurs du financement afin de dépasser les stéréotypes et d’instaurer un modèle véritablement inclusif. Cela passe par un changement de mentalité, où les femmes ne devraient plus se sentir contraintes de s’adapter à un modèle masculin pour être reconnues et soutenues dans leur démarche entrepreneuriale. »