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Football : ce mystérieux financier qui investit sur le RC Lens


À 51 ans, Joseph Oughourlian va-t-il sortir de l’ombre ? Ce financier français d’origine libano-arménienne, fondateur du fond Amber Capital est devenu le propriétaire des « Sang et Or » un club mythique qui jouera la ligue des champions. Il a beau vivre à Londres depuis une dizaine d’années, ce fils d’une...

Entreprendre - Football : ce mystérieux financier qui investit sur le RC Lens

À 51 ans, Joseph Oughourlian va-t-il sortir de l’ombre ? Ce financier français d’origine libano-arménienne, fondateur du fond Amber Capital est devenu le propriétaire des « Sang et Or » un club mythique qui jouera la ligue des champions.

Il a beau vivre à Londres depuis une dizaine d’années, ce fils d’une Anglaise qui a épousé un neuropsychiatre connu, a fait toute sa carrière en France. Son grand-père était premier vice-gouverneur de la Banque du Liban, le jeune Joseph reçoit une éducation de bonne famille et répond aux attentes parentales en étant à la fois diplômé de HEC et de Sciences Po Paris. Si l’on ajoute à cela une maîtrise d’économie à la Sorbonne, l’avenir s’annonçait sous les meilleurs auspices pour cet étudiant doué.

UN FINANCIER DE CONVICTIONS ET D’ACTION

La finance lui ouvre les bras, il y débute en 1994 chez la Société Générale au titre de la coopération d’abord avant d’être nommé à New York deux ans plus tard. C’est là qu’il se familiarise avec la gestion de fonds et fonde cinq ans plus tard, en 2001, le premier fonds Amber, grâce à l’aide de la banque en phase d’amorçage. Il a ensuite créé le fonds Amber Capital en 2005 et s’est fait connaître comme un responsable de fonds « activiste ».

Son combat avec Arnaud Lagardère dans une série de négociations a fait la une de la presse financière. Bien que n’ayant lui-même pas à se plaindre de sa situation familiale, l’homme avoue ne pas avoir une affection particulière pour les héri-tiers, surtout s’il considère qu’ils ne sont pas à la hauteur. Il lui est d’ailleurs arrivé de citer avec le sourire cette expression américaine du « Lucky Sperm Club » pour faire allusion à ceux qui se retrouvent dans une position qu’ils n’auraient sans doute pas pu atteindre par eux-mêmes.

La guerre des deux hommes a largement été évoquée sans que cela n’émeuve Joseph Oughourlian, connu pour savoir garder son calme. Dans la finance, mieux vaut avoir des nerfs solides, et cet homme prudent aux convictions tranchées sait garder les pieds sur terre. Connu pour faire valser les dirigeants qu’il estime incompétents, il cherche à établir la parité dans les affaires dans lesquelles il est majoritaire, hors football… Le patron d’Amber Capital aurait-il tendance à jouer les gentils tandis que son associé, Olivier Fortesa, jouerait le méchant ? Pourquoi pas, la tactique a fait ses preuves dans bien d’autres secteurs. Elle a en tous les cas été gagnante dans ce cas.

Cette affaire aura en tous les cas prouvé que la discrétion de l’homme n’est aucunement un obstacle dans la poursuite de ses objectifs.

JOUER LE LONG TERME

La philosophie du fonds créé en 2005 est de s’engager sur le long terme dans les entreprises dont il devient actionnaire. Peut-être est-ce dû à ses origines méditerranéennes, le fait est que Joseph Oughourlian a une prédilection pour l’Europe du Sud pour ses affaires, il dispose de nombreuses participations en Italie et dans une moindre mesure en Espagne. Il a investi notamment dans le groupe espagnol de presse Prisa, en pleine déconfiture, qui est revenu à l’équilibre financier depuis l’année dernière. Le quotidien amiral du groupe, El Pais, ne comptait plus qu’une diffusion à 10 000 exemplaires en 2019, il est à présent revenu à 265 000, dont les ¾ en digital.

LE FOOTBALL, SON AUTRE PASSION

Tout est affaire de famille, le football aussi. C’est ainsi que Joseph Oughourlian met quelques billes il y a huit ans dans un club colombien renommé historiquement, le Millonarios de Bogota, pays d’origine de sa grand-mère. Le virus le gagne, il devient aussi actionnaire du Calcio Padoue en Italie et du Real Saragosse en Espagne. Mais sa passion est surtout publique depuis son rachat du Racing club de Lens en mai 2016, alors en Ligue 2.

Si les finances des clubs ne sont pas toujours au beau fixe, le savoir-faire du dirigeant de Amber Capital va faire merveille à Lens. Le club qui encaissait parfois des buts, mais surtout de lourdes pertes, revient dans un bilan plus raisonnable tout en gardant une politique de prix plutôt bas afin de préserver les forces vives du club, c’est-à-dire son public. D’autant que le mécène n’hésite pas à sortir le carnet de chèques en période de mercato. Et bien lui en a pris, voici le RC Lens qualifié pour la Ligue des Champions la saison prochaine. Le président a déclaré dans la Voix du Nord qu’il était agréablement surpris que cet événement arrive aussi vite, même si le club « peut et doit jouer en Europe ».

Son caractère réaliste reprend rapidement le dessus lorsqu’il déclare dans la foulée qu’il ne faut pas non plus « se voir plus beau ou plus grand que l’on est ». Les revenus augmentent, à la reprise du club, ils s’élevaient à 17 millions d’euros, mais grâce à ce futur challenge, Joseph Oughourlian évoque la possibilité d’attendre les 120 millions. Une performance appréciée surtout lorsque l’on considère que le budget de Lens est dix fois inférieur à celui du PSG.

UN ENTREPRENEUR QUI CROIT AU FOOT

Le football est une passion, parfois, plus souvent que l’on ne croit, il est une façon de se faire plaisir, d’investir dans un domaine qui plaît, sans pour autant que les retours soient intéressants d’un point de vue financier. L’intérêt peut aussi résider dans la croissance du réseau, le plaisir, voire retrouver ses racines via un rêve d’enfant…

Joseph Oughourlian n’est pas de cet avis, pour lui, le football, même passion, peut aussi être une bonne affaire financière. Il avouait dans l’Équipe il y a quelques années qu’il tentait de gérer ce secteur comme ses autres activités, c’est-à-dire en séparant les émotions du professionnel, bien que ce soit « difficile à Lens ». Économiquement, l’homme a déjà démontré son efficacité avec le club Millonarios, revenu aux bénéfices en 2022 après avoir perdu des fortunes.

LE FOOTBALL FRANÇAIS ATTIRE

Les fonds d’investissement s’intéressent depuis quelques années au football français, pays dans lequel le ticket d’entrée reste raisonnable contrairement à des pays comme l’Angleterre.

La place de ces fonds grandit en France, car les moyens requis pour gérer et parfois relancer les clubs sont plus élevés que par le passé, ce qui explique que moins d’entrepreneurs se lancent seuls dans l’aventure, bien que l’envie soit toujours présente. On retrouve quelques grands noms tels que François Pinault, qui fait figure d’exception avec le stade Rennais, ainsi que le stade Brestois des frères Le Saint,  le FC Nantes du clan Kita, Montpellier avec la famille Nicollin ou le stade de Reims avec l’entrepreneur de transports Jean-Pierre Caillot.

En 2023, c’est la moitié de la ligue 1 qui est passée sous pavillon étranger, principalement américain. C’est le cas pour Toulouse FC, l’OM ou l’OL racheté à Jean-Michel Aulas par John Textor. Récemment, c’est le RC Strabourg qui vient de se vendre à BlueCo, le propriétaire américain du club de Chelsea. On se souvient aussi du rachat de l’OGC Nice par le milliardaire anglais Jim Ratcliffe, Pdg du groupe Ineos.

Si le football continue à attirer les financiers internationaux, de plus en plus de footballeurs et de sportifs investissent à leur tour dans des startups, tels que Gérard Piqué, Antoine Griezmann, Raphaël Varane ou Mathieu Flamini. Même N’Golo Kanté s’y met. À 32 ans, l’ex-milieu des Bleus champions du monde rachète le Royal Excelsior Virton, club Belge de troisième division. Même le club de Versailles vient d’être racheté par Alexandre Mulliez.


Anne Florin

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