La guerre en Ukraine et les sanctions prises par l’Union européenne « auront un impact économique à court, moyen et long terme », indique le ministre délégué chargé du Commerce extérieur, qui détaille, dans cet entretien, les mesures prises par le gouvernement pour soutenir les secteurs les plus touchés.
Pour faire face à la guerre en Ukraine, quelles mesures avez-vous prises ?
Franck Riester : Face à l’agression militaire déclenchée par la Russie le 24 février dernier, qui remet en question la sécurité de notre continent, nous avons réagi avec fermeté. En concertation avec ses partenaires internationaux, l’Union européenne a adopté des sanctions massives, visant à appliquer une pression maximale sur la Russie et la Biélorussie et à affaiblir leur économie pour faire cesser les hostilités en Ukraine.
L’agression russe et les sanctions inédites prises par l’Union européenne et ses partenaires auront un impact économique à court, moyen et long terme. On observe déjà les premières conséquences de cette guerre avec la hausse des prix de l’énergie et de certains intrants, ainsi que les perturbations des flux commerciaux qui touchent notamment les matières premières agricoles.
À la demande du président de la République et en lien avec l’ensemble des acteurs économiques concernés, le gouvernement a donc préparé un plan de résilience destiné à soutenir les ménages et les entreprises face aux conséquences de la guerre en Ukraine. Les mesures mises en place à ce stade – n’oublions pas que la crise évolue rapidement – sont ciblées car l’impact sur l’économie française est inégalement réparti : si la hausse des prix de l’énergie aura un effet direct et global, certains acteurs y sont plus particulièrement exposés – professionnels gros rouleurs, industries énergo-intensives, agriculteurs et pêcheurs. Certaines filières dépendent également plus fortement de la Russie et de l’Ukraine pour une partie de leurs approvisionnements.
Outre le bouclier tarifaire pour les ménages et les petites entreprises, nous avons réactivé en les recalibrant certaines mesures transversales utilisées lors de la crise sanitaire, pour accompagner au mieux nos entreprises et protéger leurs salariés : le prêt garanti par l’Etat (PGE), le prêt croissance industrie, les prêts bonifiés de l’État, l’activité partielle de longue durée et les flexibilités sur le paiement des charges fiscales et sociales.
Quel sera l’impact de la guerre en Ukraine et des sanctions économiques sur la balance commerciale française ?
Même si nos échanges commerciaux avec l’Ukraine, la Russie et la Biélorussie sont modestes, certaines filières et certains secteurs sont plus exposés, tant à la restriction des débouchés à l’export qu’aux tensions d’approvisionnement résultant de la guerre, notamment en matières premières agricoles, métaux critiques et intrants chimiques. Il est encore trop tôt pour fournir une évaluation. Nous savons cependant que la hausse des prix de l’énergie aura un impact sensible. Je rappelle qu’en 2021, l’alourdissement de la facture énergétique, dû à la hausse des cours mondiaux, expliquait en grande partie la dégradation de notre balance commerciale. C’est pourquoi nous agissons avec détermination.
Avec le plan de résilience, nous consolidons le bouclier tarifaire déployé dès fin 2021, pour protéger la compétitivité de nos entreprises et le pouvoir d’achat de nos concitoyens : blocage des tarifs du gaz pour les ménages étendu jusqu’à fin 2022, plafonnement à 4% de la hausse des tarifs de l’électricité pour 2022, chèque énergie et indemnité inflation pour soutenir 38 millions de ménages, revalorisation du barème kilométrique de 10 % en 2021 et remise carburant de 15 centimes par litre jusqu’au 31 juillet.
Les entreprises dont les dépenses de gaz et d’électricité représentent au moins 3 % du chiffre d’affaires, qui deviendraient déficitaires en 2022 si nous ne faisions rien, auront accès à une nouvelle aide qui prendra en charge jusqu’à la moitié du surplus de dépenses énergétiques. Au total, le bouclier tarifaire représente un effort financier exceptionnel de l’État de plus de 22 milliards d’euros.
Allez-vous prévu de soutenir spécifiquement les entreprises françaises implantées en Russie ?
Oui. Le réseau diplomatique, et notamment nos ambassades en Ukraine et en Russie, est pleinement mobilisé pour aider nos entreprises à gérer la situation. Je me suis entretenu récemment avec notre ambassadeur à Moscou. Ses services, les équipes des CCEF et les partenaires de la Team France Export sont en contact quasi permanent avec les entreprises françaises présentes en Russie pour les accompagner en temps réel. Les équipes du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ainsi que du Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance sont également mobilisées aux côtés de nos entreprises pour les aider à appliquer les règles, qu’il s’agisse des sanctions ou de la législation russe.
En matière d’exportations, certains secteurs sont plus exposés (aéronautique, chimie, industrie pharmaceutique). Avez-vous prévu de soutenir spécifiquement ces secteurs ?
Le nombre d’entreprises fortement exposées à l’export vers la zone est relativement limité. Celles pour qui les marchés russe, ukrainien et biélorusse sont des débouchés déterminants feront bien sûr l’objet d’un accompagnement particulier. L’enjeu porte aussi sur l’approvisionnement en intrants critiques des secteurs industriels évoqués, avec des risques de tensions fortes sur les prix, voire de ruptures d’approvisionnement. Cette situation rappelle une nouvelle fois l’urgence de renforcer l’autonomie stratégique européenne.
Au-delà de la question énergétique, dont les premiers effets négatifs se font sentir, les sanctions prises à l’encontre de la Russie vont-elles, selon vous, avoir d’autres conséquences sur les entreprises françaises ?
Je pense d’abord à notre agriculture, exposée à la hausse du prix du gaz, des intrants et des matières premières, avec un impact sensible sur les prix de l’alimentation animale et donc sur nos éleveurs. Je pense aussi aux tensions sur l’approvisionnement en engrais, où le risque de rupture existe et aura des conséquences sur notre production. La Russie et l’Ukraine représentant près du tiers des exportations mondiales de céréales, il y a un fort risque de déstabilisation des marchés mondiaux et d’insécurité alimentaire dans certains pays fortement dépendants des céréales de la mer Noire.
Je pense bien sûr à notre industrie, où les risques sur les fournitures d’intrants essentiels, tels que certains métaux critiques, sont élevés. C’est pourquoi le plan de résilience comporte un important volet de sécurisation des intrants essentiels, secteur par secteur.
En quoi ce plan de résilience peut-il permettre de rendre l’économie française moins dépendante de la Russie ?
Il ne faut pas considérer le plan de résilience isolément : notre action face à la crise s’inscrit dans la continuité des efforts que nous menons en France et en Europe pour bâtir une véritable autonomie stratégique dans tous les domaines, notamment en matière de souveraineté économique. C’est une priorité de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, réaffirmée avec force par le président de la République lors du sommet de Versailles. Avec le plan de résilience, notre ambition est de capitaliser sur les transformations engagées au titre de « France Relance » et de « France 2030 », pour redresser notre industrie et rendre notre pays plus indépendant.
Cela passe bien évidemment par une priorité donnée à l’indépendance énergétique, fondée sur l’accélération de la décarbonation de notre industrie et de nos transports, sur des investissements massifs dans la filière nucléaire et sur la promotion d’une forme de sobriété énergétique, notamment via la rénovation énergétique des bâtiments.
Vous avez affirmé que les entreprises françaises sont libres de maintenir ou pas leur activité en Russie. La position du gouvernement sur ce sujet peut-elle être amenée à évoluer dans les semaines à venir en fonction de l’évolution de la situation en Ukraine ?
Nous devons nous adapter en temps réel à une situation très évolutive. J’appelle en tout état de cause les entreprises présentes en Russie à suivre les consignes du gouvernement et à appliquer le droit, c’est-à-dire les sanctions européennes, mais aussi la loi russe.
Quel bilan faites-vous du Plan de relance export ?
Le bilan est positif et les résultats en témoignent : avec la Team France Export, nous sommes parvenus à créer une culture de l’international qui irrigue aujourd’hui l’ensemble de notre tissu économique. En 2021, nous comptions 136 000 entreprises exportatrices. Du jamais-vu en 20 ans. Les mesures du volet export de France Relance ont par ailleurs permis d’accélérer le rebond de nos exportations enclenché dès le deuxième semestre 2020. Nos exportations ont ainsi retrouvé 99 % de leur niveau d’avant crise dès 2021, en croissance historique de près de 17 % par rapport à 2020. Les performances de la plupart des secteurs ont même été supérieures !
Suite à la guerre en Ukraine, allez-vous renforcer le Plan de relance ?
Avec la Team France Export, nous avons décidé d’apporter un accompagnement renforcé et personnalisé à l’ensemble des entreprises exposées. Nous renforçons nos outils de financement export, afin de sécuriser les démarches de nos entreprises et de faciliter la recherche de nouveaux débouchés. En ce sens, nous avons également décidé de prolonger les principaux dispositifs de soutien déjà déployés pour accélérer la relance et d’en assouplir la mise en œuvre.
Cela concerne le dispositif Cap Francexport prolongé au-delà du 31 mars 2022, le chèque relance export, qui couvre jusqu’à 50 % des coûts de projection de nos entreprises, le chèque VIE de 5 000 euros, les FASEP avec un nouvel appel à projets sur l’indépendance énergétique, et l’assurance-prospection, que nous mobilisons pour soutenir les projets des entreprises et leur recherche de débouchés alternatifs sur de nouveaux marchés.