À 38 ans, Frédéric Mazzella, ex-chercheur en physique doublé d’un MBA de l’INSEAD a fait de BlaBlaCar le site leader du covoiturage en Europe. Pionnier de l’économie du partage, cet entrepreneur modèle pousse ses salariés à tirer vers le haut. En 2014, il a levé plus de 100 millions d’euros pour pouvoir conquérir la planète.
Manage-t-on une entreprise dans le secteur numérique (ou une start-up devenue PME) comme une autre ? Existe-t-il des spécificités ?
Je ne sais pas si c’est une spécificité liée au secteur du numérique ou tout simplement la caractéristique d’une entreprise en très forte croissance et qui se positionne sur une activité parfaitement nouvelle, mais il existe probablement une différence nette entre le management d’une entreprise innovante par nature et celui d’une entreprise déjà établie, plus classique.
Les entreprises du numérique sont souvent assimilées à des entreprises jeunes, dynamiques et en pleine croissance, mais la différence de management avec une boîte classique en vitesse de croisière, se fait plus au niveau de la dynamique de croissance et de la nouveauté de l’activité.
Je distingue deux différences majeures. La première est le fait d’un changement permanent dont il faut que tout le monde soit conscient. On dit en effet que le changement est la seule constante dans notre secteur d’activité. Il faut que tout le monde soit prêt à se remettre en question à chaque instant, mais aussi à faire évoluer son poste. Ces derniers varient en raison de la croissance mais aussi des nouvelles personnes intégrant l’entreprise lesquels prennent différentes responsabilités.
Si les gens s’attendent à un environnement stable où rien ne bouge, arriver dans une société comme la nôtre peut-être très perturbant. Chez nous, les choses changent et ce changement permanent est souhaité et entretenu. Il existe forcément plus de changements du fait que la société soit en pleine croissance. C’est imposant de poser les choses et de le dire afin de ne pas être surpris lorsque le changement intervient.
La seconde différence notable est fortement liée au fait que la société soit en pleine phase de croissance. Il faut qu’il y ait des équipes qui, elles-mêmes, soient focalisées sur l’accompagnement de la croissance et l’anticipation de cette croissance. Il est indispensable d’anticiper le recrutement de nouveaux profils, de construire de nouvelles équipes et de transmettre les connaissances de manière à capitaliser sur l’existant et sur le retour d’expérience.
La connaissance est un paradigme essentiel mais il faut également de la souplesse, de l’adaptabilité et une communication permanente entre les équipes, de manière à s’assurer que l’on ne reproduit pas les mêmes erreurs que celles commises par le passé et que notre efficacité progresse au fil du temps.
Peut-on concilier « le fun » et le « sérieux » dans l’entreprise ?
Le concept de « fun and serious » mixe ces deux aspects : c’est un peu le yin et le yang de la motivation et de l’efficacité en entreprise. En effet, on considère que le « sérieux individuel » est ce qui permet le fun collectif, car sans « sérieux individuel », le travail produit ne sera pas d’aussi bonne qualité, ce qui créera des tensions professionnelles.
Cela peut sembler antinomique mais c’est parce qu’on est sérieux individuellement et qu’il n’y a pas de tensions professionnelles que l’on peut ensuite avoir du fun tous ensemble. Ces moments de fun sont excellents pour la communication et pour le moral des collaborateurs. Le fun et le sérieux sont très complémentaires pour favoriser la motivation et doper l’efficacité des équipes.
Vous avez mis en place un outil de communication interne : le BlaBlaTalk. Pouvez-vous nous expliquer le concept, ses fonctionnalités et sa finalité ?
Le BlaBlaTalk est une réunion hebdomadaire durant laquelle un département présente ce qu’il a fait lors des dernières semaines et ce qu’il compte faire dans les semaines à venir à l’ensemble de la société. On retire trois avantages majeurs de ces réunions. Le premier étant tout simplement l’identification de qui fait quoi.
Plus la société grandit, plus il est facile de ne plus savoir exactement qui fait quoi. Le deuxième est la responsabilisation des départements eux-mêmes par rapport à leurs missions et à leur valorisation. Il est question de responsabilisation car lorsque l’on parle de ce que l’on va faire, on s’engage vis-à-vis du reste de la société à les réaliser.
On parle de valorisation car lorsque l’on explique ce que l’on fait, il est nécessaire de faire la synthèse. La personne qui présente doit prendre de la hauteur par rapport à son activité et être capable de l’expliquer à des gens dont ce n’est pas le métier.
Le troisième avantage, probablement le plus important, est tout simplement le respect des équipes les unes envers les autres à travers la communication et la connaissance. Ainsi, chacun des départements apprécie à sa juste valeur le travail et l’utilité de l’autre, ce qui est un gage précieux de respect. De même, lorsqu’on a conscience que nos collègues travaillent vraiment bien, cela nous incite à faire au moins aussi bien. C’est un peu une spirale vertueuse qui tire tout le monde vers le haut.
Quelle place accordez-vous à la formation et au management des compétences dans le dispositif des ressources humaines ?
De par nos métiers innovants, on apprend beaucoup dans le temps. Les réunions internes qui peuvent porter sur des thèmes comme « Comment bien recruter », « Comment bien manager » ou « Comment bien parler en public » ou les conférences traitant des dernières tendances de nos métiers jouent un rôle essentiel.
On dispose également du Blablalearn, qui est un outil vidéo interne où les chefs de département expliquent leur métier et celui de leur équipe, aux nouveaux arrivants notamment.
Étant une société innovante, beaucoup de formations dispensées par des organismes ne sont malheureusement pas adaptées, car nos métiers évoluent tout les jours et sont très récents dans le concept.
Nous prônons également une valeur affichée sur nos murs : « Share more, learn more ». Ce slogan incite tout le monde à partager. Vous pouvez aller voir n’importe qui dans la société et lui poser une question, il fera tout ce qu’il peut pour vous aider et vous apprendre des choses. Nous sommes vraiment dans cet esprit-là. C’est une valeur que nous partageons et nous sommes convaincus que l’on apprend beaucoup en partageant ensemble.
Connaissez-vous chacun de vos salariés personnellement ? Ont-ils un accès direct à vous ?
Il est impossible de gérer 300 personnes en direct et je ne connais malheureusement pas les prénoms de tous les collaborateurs, surtout avec la vitesse de croissance qui est la nôtre. Cependant, la porte de mon bureau est toujours ouverte et tout le monde me tutoie dans l’entreprise. Je suis très accessible, tout comme mes associés, Francis et Nicolas.
Vous êtes l’un des entrepreneurs dont on parle le plus actuellement en France, un de ceux qui poussent la génération startupper à réussir et à afficher des ambitions mondiales. En êtes-vous fier? Quelles valeurs voulez-vous faire passer?
Deux choses me rendent très positif et heureux concernant la situation actuelle. Premièrement, nous montrons grâce à Blablacar qu’il est possible, souhaitable et même apprécié d’avoir un environnement de travail extrêmement motivant et innovant.
Créer un contexte favorable permet d’aimer ce que l’on fait et suscite l’envie de construire ensemble. Aujourd’hui, on a trop tendance à considérer et à réduire le travail à un salaire alors que cela peut surtout être un moyen de s’épanouir et de se réaliser. La finalité poursuivie est de travailler et de construire des projets ensemble.
D’autre part, je suis fier de me dire que toutes les personnes qui sont passées dans notre entreprise repartiront en ayant vu que c’était possible. Il s’agit d’une sorte d’école interne éduquant à la manière de travailler intelligemment ensemble et de manière positive. J’espère que lorsque les collaborateurs nous quitteront naturellement, ils essaieront de recréer et d’appliquer ces méthodes vertueuses dans d’autres structures.