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Frédéric Sanchez (Fives) : un industriel français en reconquête


Cet industriel est un phénix. En transformant le groupe ancestral fondé en 1812 en une entreprise technologique réalisant deux milliards d’euros de chiffre d’affaires, il atteste que la reconquête industrielle n’est pas un vain mot. De ses débuts chez Renault à la présidence de Fives, enquête chez le nouveau corsaire de l’industrie française.

Frédéric Sanchez

Aux racines de la révolution industrielle française, il y a des entreprises pionnières qui ont marqué l’Histoire. Parmi elles figure Fives. Fondée en 1812, cette entreprise bicentenaire a traversé les siècles en participant à la construction du monde moderne : des premières lignes de chemins de fer aux viaducs, de la combustion à l’aéronautique, en passant par les ascenseurs hydrauliques de la Tour Eiffel (toujours en fonctionnement !) et les ponts prestigieux (Alexandre III, Tancarville…) jusqu’à la toiture de la gare d’Orsay.

Conglomérat emblématique de l’industrie française, Fives s’est également fait connaître pour une innovation industrielle légendaire : en plein blocus britannique (1806-1814), l’entreprise a construit un système permettant de produire du sucre à partir de betteraves, ce qui a permis à la France de se passer de la canne à sucre des Antilles.

Un peu plus tard, en 1836, l’ingénieur, chaudronnier et mécanicien français Jean-François Cail (1804-1871), pionnier de la révolution industrielle française, lance lui aussi son entreprise, Cail, qui deviendra leader des technologies de production du sucre. Dans les années suivantes, les deux groupes, en grande difficulté financière, décident de s’associer en 1958. Fives-Lille-Cail était né.

Il a hypothéqué sa maison pour rentrer au capital de Fives

C’est dans ce contexte historique riche que Frédéric Sanchez, né en 1960 dans le Tarn, a tracé son chemin pour devenir le visage contemporain de cette firme légendaire. Sa trajectoire est celle d’un self-made man élevé dans une famille modeste à deux pas de la petite usine familiale créée par son père ouvrier. Brillant étudiant, il se distingue rapidement par son parcours académique exemplaire : HEC (1983), Paris Dauphine (1984), Sciences Po Paris (1985).

Son horizon professionnel s’est d’abord dessiné sur la côte ouest américaine où il effectua un premier stage, avant de rejoindre, en 1985, la direction financière de Renault au Mexique, puis aux États-Unis, où il devient directeur de mission chez Ernst & Young. En 1987, il revient en France pour intégrer Peat Marwick. Trois ans plus tard, en 1990, il rejoint le groupe Fives-Lille comme contrôleur de gestion et, en seulement sept ans, gravit les échelons (directeur financier en 1994 et chef de l’exploitation en 1997) pour devenir Président du directoire en 2002.

Au bord de la faillite dans les années 90

Lorsque Frédéric Sanchez prend les rênes de l’entreprise, cette dernière est au bord du gouffre. Elle a déjà frôlé la faillite dans les années 90 et a vu son principal actionnaire, Paribas, se retirer au tout début des années 2000. Mais Frédéric Sanchez, animé par une foi inébranlable dans le potentiel du groupe, entame la métamorphose du groupe industriel.

Il hypothèque sa maison, contracte des emprunts et entre au capital de l’entreprise. Visionnaire, il parvient à redresser la barre : « C’est grâce à un effort d’investissement mené dans les années 2000, porté notamment vers l’automatisation, que nous avons pu moderniser nos usines. » Fives conçoit et réalise des machines, des équipements et des lignes de production pour les plus grands industriels internationaux. En deux décennies, Frédéric Sanchez a réussi à transformer Fives pour en faire une entreprise d’ingénierie pour l’industrie et la logistique. Sa recette ? L’investissement, la recherche, l’innovation et l’international.

« En politique, comme en affaires, c’est souvent au moment de l’exécution que les choses se compliquent, expliquait-il aux Echos en mai 2022. Quand au début des années 2000, j’ai fixé comme priorité au groupe Fives de mettre l’accent sur la R&D et en particulier sur les innovations permettant de décarboner les solutions que nous proposons à nos clients entreprises, je ne pouvais pas avoir l’assurance que cela porterait ses fruits. Il faut une part d’intuition ou même de chance. » Fives a dépensé des millions d’euros en recherche et développement depuis 20 ans. L’entreprise possèderait plus de 2000 brevets !

200ème fortune française

Sous la houlette de Sanchez, le groupe d’ingénierie industrielle, présent sur de nombreux secteurs (aéronautique, automobile, ferroviaire, naval, logistique…), a lancé des opérations de croissance externe et ouvert des bureaux en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient. Aujourd’hui, Fives est un mastodonte de l’ingénierie industrielle avec plus de 8 500 salariés, un chiffre d’affaires annuel dépassant 2 milliards d’euros (764,5 millions en 1999) et une présence sur tous les continents (100 implantations dans 25 pays).

En dehors de Fives, Frédéric Sanchez joue un rôle actif dans la sphère patronale. Président de Medef International depuis 2016 et co-président de l’Alliance Industrie du Futur (AIF), il siège au conseil de surveillance de ST Microelectronics. Il est également administrateur de plusieurs entreprises tricolores (Thea, Primagaz, Bureau Veritas). Selon Challenges, il serait le 200ème homme le plus riche de France avec une fortune personnelle estimée à 650 millions d’euros (300 M€ en 2016).

Décarbonation et baisse des impôts de production

Chantre de la décarbonation, des innovations de rupture et de la baisse des impôts de production, Frédéric Sanchez défend depuis vingt ans le tissu industriel français. Il promeut désormais une industrie plus respectueuse de l’environnement. Sa solution ? L’innovation ouverte, le financement des deeptechs, des partenariats entre start-up et recherche publique…

Une méthode qu’il applique à son groupe. Dernier exemple en date avec le rachat de Dizisoft (1,6 M€ de CA), pépite française du logiciel industriel. En 1812 comme en 2023, Fives a su s’adapter à toutes les révolutions industrielles. Relancée par Frédéric Sanchez, l’entreprise bicentenaire semble repartie pour un siècle !

Victor Cazale

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