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Gérard Bourgoin, grand entrepreneur en manque de reconnaissance


Gérard Bourgoin ne fait décidément rien comme les autres ! Décédé d’un accident de voiture sur une petite route de l’Yonne (comme Albert Camus), pris d’un malaise au volant à 85 ans, en revenant du match AJA-Strasbourg au stade de l’Abbé-Deschamps à Auxerre. Le Roi du Poulet, comme on l’appelait...

Gérard Bourgoin

Gérard Bourgoin ne fait décidément rien comme les autres ! Décédé d’un accident de voiture sur une petite route de l’Yonne (comme Albert Camus), pris d’un malaise au volant à 85 ans, en revenant du match AJA-Strasbourg au stade de l’Abbé-Deschamps à Auxerre. Le Roi du Poulet, comme on l’appelait du temps de sa gloire d’industriel, lorsqu’avec ses marques Duc de Bourgogne ou La Chaillotine, il tenait tête à la grande distribution et avait pris le leadership en Europe. Les prix cassés par les Brésiliens et une gestion hasardeuse en auront décidé autrement.

En 2000, après un dépôt de bilan, le groupe de cet ancien apprenti boucher, lancé au départ avec le pâté de lapin, qui valait 5 milliards de francs, aura été cédé au final pour 150 millions. Bourgoin en voulut à la grande distribution et à l’establishment. En 1996, il créa même un mouvement patronal, la FEEF, pour organiser la promotion des patrons de PME.

Anecdote : un jour, pour m’en parler, il m’invite au restaurant Petrus dans le XVIIᵉ. J’arrive vers 13 heures, et le chef de rang m’accueille, un peu gêné : « Monsieur Bourgoin sera en retard mais, ne vous inquiétez pas, il y a un Monsieur qui vous attend ! » J’avance et m’installe à table avec, en face, Gérard Depardieu, que je n’avais jamais rencontré. Nous déjeunâmes deux heures durant, Bourgoin ne vint pas, et nous passâmes un excellent moment. Le poids lourd du cinéma français, sympathique et ouvert, me raconta comment le président Mitterrand le faisait venir le dimanche soir à l’Élysée pour lui raconter les anecdotes salaces du Tout-Paris.

Autre temps, autres mœurs. Bourgoin était un homme en mouvement, comme avec son avion personnel, qu’il continuait de piloter lui-même (malgré l’accident en 1991 de son fils Patrick, l’héritier désigné). Trop différent de notre élite, ce touche-à-tout, un temps président de la Ligue nationale de football et même du parti CNIP d’Antoine Pinay, avait de quoi inquiéter. Il était même capable de se présenter aux présidentielles. Un effet Tapie ! Noëlle Bellone, fidèle bras droit de l’ex-ministre de la Ville, qui a travaillé avec les deux, m’a souvent dit que Bourgoin avait encore plus d’énergie que Tapie qui, on le sait, n’en était pas dépourvu.

Monsieur 100 000 volts finit même en 1996 par s’improviser exploitant de puits de pétrole à Cuba avec l’entremise de Fidel Castro ou de Depardieu. Notre confrère L’Yonne républicaine a décidément bien fait de le qualifier « d’homme aux mille vies. » Quand nous l’avions mis en une du magazine Entreprendre, nous nous étions bornés à « Roi du Poulet ». Avec le recul, il est dommage que notre système économique ne soit pas davantage apte à exploiter ce type de tempérament hors du commun : Tapie, Bourgoin, Sensemat, Jacques Borel… cela commence à faire beaucoup !

Robert Lafont
Fondateur d’Entreprendre

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