Votre formation littéraire ne prédestine pas spontanément au domaine de la santé. Comment en êtes-vous venu à travailler dans ce secteur ?
Gérard Helle : J’ai débuté ma carrière très jeune en tant qu’enseignant. Rapidement désenchanté par la paupérisation croissante du monde de l’éducation nationale, j’ai quitté l’enseignement pour rejoindre le secteur de la santé en intégrant le groupe pharmaceutique Bristol Myers. Certains de mes amis, délégués médicaux, m’ont permis de découvrir cet univers fascinant, qui a rapidement éveillé ma curiosité. J’ai eu la chance alors de bénéficier d’une confiance pleine et sincère de mes supérieurs hiérarchiques à l’occasion de cette première expérience dans le secteur de la santé. Ensuite, ce modèle vertueux basé sur la confiance m’a inspiré tout au long de mon parcours.
J’ai saisi l’opportunité que l’on m’a offerte de « faire » l’INSEAD, avant de prendre la direction du département hôpital chez Bristol-Myers juste après leur acquisition des Laboratoires Squibb. J’ai ensuite été « courtisé » par AstraZeneca, que j’ai rejoint en tant que directeur des ventes. Cinq ans se sont écoulés avant que je ne prenne la direction de Preciphar en 2009 pour vivre une nouvelle aventure ô combien palpitante.
Quel est votre référentiel de valeurs ?
La vocation d’aider et de donner du sens a toujours été inscrite dans mon ADN. J’aime donner, partager et contribuer à l’épanouissement des personnes qui m’entourent. Les rencontres représentent l’essence même de ma vie.
Quelle importance accordez-vous à la notion de confiance ?
La confiance est l’une des choses les plus exigeantes et les plus difficiles à obtenir et à maintenir. Après 35 ans d’expérience dans le domaine de la santé, que ce soit au sein de laboratoires ou de sociétés de services, je pense jouir aujourd’hui d’une crédibilité construite au fil des années. Mon réseau composé de clients pionniers me soutient et me fait pleinement confiance.
J’ai eu le privilège de travailler avec et/ou de diriger de nombreuses personnes occupant aujourd’hui des postes de décideurs au sein de nombreuses structures. Je pense que la confiance qu’ils nous manifestent fait qu’ils n’hésitent pas à nous consulter si besoin. L’industrie du médicament souffre d’une perception sulfureuse auprès du grand public.
Comment expliquez-vous cette appréhension du secteur ?
Nous évoluons dans un domaine extrêmement sensible, car la santé est intrinsèquement liée à la vie. L’affaire sanitaire du Mediator a eu de funestes répercussions et a entaché l’image du secteur du médicament, nous plongeant aujourd’hui dans une situation exigeant de nous une perfection constante et indéfectible. Il me semble légitime de reconnaitre cette vertu d’excellence aux acteurs qui parlent du médicament et de son environnement, lesquels sont placés par et avec notre « juge de paix », la Haute Autorité de Santé (HAS).
La pandémie du Covid-19 a-t-elle participé à redorer l’image du médicament ?
L’arrivée subite des vaccins à ARN messager a joué un rôle essentiel dans la réhabilitation de l’image des médicaments. Les laboratoires pharmaceutiques ont certes réalisé des bénéfices substantiels avec ces vaccins, mais il est indéniable qu’ils ont contribué à sauver de nombreuses vies. Nous venons de traverser un véritable tsunami sanitaire à l’aune de la pandémie de Covid-19. Sans les vaccins d’AstraZeneca, Pfizer, Moderna, Sanofi et autres, on peut imaginer que le nombre de décès aurait pu être deux, trois, cinq, voire dix fois plus élevé.
En France, comment la recherche médicale contribue-t-elle à l’avancement des traitements et à l’augmentation des chances de survie ?
Nous sommes le pays de Pasteur, et nos chercheurs continuent de marcher sur la même voie de dévouement, à l’image hier du professeur Luc Montagnier dans le domaine du VIH. Sa vie entière a été consacrée à la recherche et au décryptage des molécules et des ARN. Ces chercheurs sont des hommes passionnés et captivants.
Nous travaillons actuellement sur le lancement de molécules anticancéreuses destinées au traitement de différents cancers, ovaire, sein, bronchique, notamment en collaboration avec différentes firmes. Ces produits exceptionnels portent en eux un espoir considérable, car ils ont la capacité d’augmenter l’espérance de vie en bonne santé des patients de plusieurs années, période pendant laquelle d’autres stratégies thérapeutiques auront été mises à disposition desdits Professionnels de Santé. On sait que les cytotoxiques par exemple, utilisés notamment dans certains protocoles de chimiothérapie, ont pour but de ralentir la croissance des cellules tumorales et bien sûr de les détruire.
Elles peuvent, corollaire de leur efficacité, endommager des cellules saines. La notion de bénéfice/risque, pour le patient, est évidemment prise en compte ainsi que le maintien de sa qualité de vie. Un exemple concret : dans les années 70-80, le taux de survie des enfants souffrant de leucémie (toutes formes) était de l’ordre de 15 %. Aujourd’hui, cette tendance s’est inversée, 85 % de ces jeunes patients sont en rémission complète et donc guéris. Cette évolution est fabuleuse et pourvoyeuse d’espoir pour de nombreuses maladies difficilement curables aujourd’hui.
Quel est le périmètre d’intervention et l’expertise de la société Preciphar ?
Notre mission consiste à imaginer des stratégies visant à répondre aux défis de nos clients, qui opèrent majoritairement dans le secteur pharmaceutique. Nous sommes également présents dans le domaine de la dermo-cosmétique, par des partenariats avec des marques de tout premier plan, dans le secteur de l’agroalimentaire, là encore avec des entreprises leaders. Dans ce dernier domaine, nous accompagnons notamment nos partenaires dans le comment mieux appréhender la dénutrition ou malnutrition des enfants et/ou des personnes âgées. Autre exemple très concret, les effets délétères parfois graves sur la peau des patient(e)s ayant suivi des traitements itératifs et répétitifs de radiothérapie, chimiothérapie voire ayant subi une chirurgie.
Pour y pallier, vient de naître une collaboration étroite entre les Laboratoires dermocosmétiques précités et les oncologues, laquelle nous a permis de définir des protocoles de soins de suite, par une prise en charge des soins de la peau avec l’utilisation de produits « réparateurs cutanés ». Ces soins permettent de mieux appréhender les cures en atténuant significativement les effets secondaires. Nous sommes fermement convaincus de l’importance d’intégrer l’aspect psychologique dans les traitements chimiques, cela favorise indéniablement ce cercle vertueux par un impact positif sur le parcours thérapeutique des patients.
L’hôpital représente environ un tiers de notre domaine d’activité, les deux autres tiers constituant la médecine libérale et l’officine. Les médecins généralistes jouent un rôle essentiel, ils sont les praticiens polyvalents de la médecine, j’oserais dire « les couteaux suisses indispensables ».
Quels critères conditionneront la réussite de Preciphar ?
Le succès réside dans notre capacité à éduquer l’ensemble de la communauté médicale. Notre objectif est d’élargir la compréhension des options thérapeutiques disponibles afin de permettre aux médecins de prendre des décisions éclairées pour leurs patients.
Quelle valeur ajoutée apportez-vous à l’industrie pharmaceutique ?
Nous avons pour noble mission de servir les professionnels de la santé en leur offrant la possibilité de choisir la meilleure thérapie à destination de leurs patients. Notre rôle consiste à créer des emplois afin de permettre aux professionnels de disposer d’au moins deux ou trois options thérapeutiques, tout en apportant une information médicale exhaustive sur les avantages et les contre-indications de chaque traitement. Je ne suis pas un extraterrestre : mon discours reflète la vision partagée par de nombreux acteurs opérant dans le domaine du médicament. Il est fondamental de rétablir un sens à notre démarche. Je suis fermement convaincu que la différence est inductrice de préférence. Cette différence se traduisant par des soins de qualité adaptés à chaque situation du patient.
Pourriez-vous donner un exemple de réflexions conduites pour le compte d’un de vos clients ?
Nous travaillons actuellement sur un appel d’offres pour le compte d’un acteur majeur de la santé. Notre objectif est de définir l’organisation idoine à mettre en place pour gérer un portefeuille de nouvelles molécules, notamment en cancérologie, et à présenter et mettre à disposition des thérapeutes concernés. Notre but est de contribuer au « business plan » le plus pertinent et le plus efficace, afin d’informer rapidement le corps médical sur le bien-fondé et le bénéfice thérapeutique, pour que les patients puissent bénéficier de ces avancées de manière précoce et éclairée.
Notre valeur ajoutée réside peut-être aussi dans l’expertise qui est la nôtre de coordonner l’ensemble d’un dispositif, mariant des rencontres face/face, des webinaires, de visites médicales à distance voire des formations ou des colloques médicaux avec intervention d’experts par exemple. À ce titre, nous avons toute latitude pour évaluer les ressources humaines requises, définir les programmes de formation, concevoir les actions marketing à entreprendre, etc. Nous travaillons activement pour élaborer la meilleure stratégie structurelle et opérationnelle possible pour notre client en apportant une vision précise du coût de l’opération.
Comment les laboratoires pilotent-ils leurs investissements ?
Nous constatons qu’aujourd’hui, les investissements des laboratoires sont parfois confiés à d’excellents collaborateurs juniors, issus de prestigieuses écoles, mais dont l’expérience n’est peut-être pas encore avérée. L’expérience jouant indéniablement un rôle essentiel dans le succès de ces investissements, nous partageons avec eux nos réflexions. Actuellement, la visite d’un médecin par un délégué médical représente en moyenne un coût de 200 à 250 euros pour le laboratoire. Il est donc impératif d’obtenir un retour sur investissement satisfaisant pour ces visites.
La dimension budgétaire revêt une importance significative. Chez Preciphar, nous réalisons une évaluation fine et détaillée pour chaque projet, discutons de ces estimations chiffrées avec nos partenaires et apportons les ajustements lorsque cela est nécessaire en termes de périmètre et de ressources.
Quel est le principal poste de dépenses de votre secteur ?
Le coût le plus significatif est celui de la promotion qui représente environ 75 % des dépenses de l’entreprise pour les personnes travaillant au service des industries de santé.
Quels outils utilisez-vous pour éclairer le professionnel de santé sur les thérapeutiques ?
Dans le domaine de la dermatite atopique ou de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) modérée à sévère, pour lesquelles nous lançons plusieurs produits, nous utilisons des outils tels que les avis des patients avant et après un traitement, ainsi que leurs témoignages. Les médecins ont accès à distance à ces informations précieuses. Avant de passer à un traitement continu à l’oxygène H 24, il peut y avoir des mesures préalables à prendre (EFR par exemple). Cela démontre l’importance de prendre en compte l’ensemble des besoins du patient dans le processus de traitement.
Comment éduquer et former les relais auprès du personnel de santé ?
Nous avons développé des moyens et insufflé du sens dans la formation des différents acteurs de l’écosystème de la santé. Nous organisons un nombre important de réunions d’information médicale au cours desquelles nous (ou le board experts) échangeons sur la/les stratégies pour relever les défis rencontrés au quotidien, en médecine libérale notamment.
Nous sommes à l’initiative d’un grand nombre de réunions impliquant les professionnels de la santé entre eux, réunissant le spécialiste (libéral ou hospitalier) d’une aire thérapeutique donnée et ses correspondants médicaux. Lors de ces rencontres, nous abordons des sujets spécifiques par différents cas patients, souffrant de pathologies légères, légères à modérées, modérées à sévères, etc. Ces échanges, souvent très riches, sont là pour optimiser les démarches thérapeutiques.
Comment le métier de visiteur médical a-t-il évolué ?
Il est désormais très structuré. La période où l’on offrait des échantillons aux médecins, des post-it, des stylos marqués au nom du Laboratoire, est révolue. La HAS considère désormais que de telles pratiques sont des moyens d’influencer les prescriptions médicales. Le nombre de délégués médicaux a connu une baisse drastique, passant de 25 000 il y a 15-20 ans à seulement 8 000 aujourd’hui. Nous devons garder à l’esprit que le médecin est avant tout un diagnosticien et un thérapeute.
Il est essentiel de reconnaître que le délégué médical est le spécialiste de son médicament et de son environnement. Dans le même temps et le même esprit, nous observons une augmentation significative du recours à des « Medical Science Liaison » dont le rôle principal et unique est d’informer et de former les spécialistes rencontrés. Cet acteur supplémentaire, non commercial, est indispensable au bon usage du médicament.
N’est-il pas délicat de travailler avec des laboratoires concurrents entre eux, sur des marchés « fermés » des maladies rares ?
Tous les laboratoires ont des produits concurrents entre eux, c’est pourquoi nous gardons confidentielles, et c’est contractuel, les stratégies que nous élaborons pour chacun d’eux. Notre métier repose avant tout sur une confiance individuelle et collective. Nous avons récemment créé une entité sœur de Preciphar, qui offrira, le cas échéant, une alternative afin d’éviter tout conflit d’intérêts.
Vous avez été précurseur en impulsant une digitalisation complète de vos moyens de communication. Comment cette initiative at- elle été accueillie ?
Depuis 2015, notre plate-forme d’edetailing offre un accès à des formations ou des rencontres à distance aux professionnels de la santé. Ce dispositif distanciel nous a permis de maintenir notre engagement vis-à-vis de la communauté médicale, notamment pendant la pandémie de Covid-19. Initialement, l’adhésion à ce projet était limitée, mais avec la crise sanitaire, cette initiative a pris tout son sens. Aujourd’hui, 80 % des professionnels de santé expriment le souhait de bénéficier de nos formations.
Quelle est votre mission en tant qu’incubateur ?
De nos jours, tous les produits disponibles sur le marché sont soumis à des normes strictes, même si certaines thérapies s’avèrent être à la fois lourdes et onéreuses. Ces thérapies ont une importance cruciale dans le traitement des maladies rares et orphelines sur lesquelles nous concentrons une grande partie de nos efforts. En tant qu’incubateur, notre mission consiste également à apporter une véritable valeur ajoutée.
Comment imaginez-vous l’avenir ? Quels seront les principaux défis à relever pour Preciphar ?
L’avenir réside dans l’importance de donner du sens et de la valeur à la formation du personnel soignant. Il est crucial de ne pas se cantonner à un rôle purement commercial. Autour de chaque molécule correspondant à une thérapeutique, nous devons conseiller et orienter. Il n’est pas question de choisir la première option disponible, mais de choisir celle qui convient le mieux dans un contexte particulier. Cette démarche doit être éthique et centrée sur l’intérêt médical du patient. Donnons les moyens aux professionnels qui travaillent dans le domaine du médicament et des thérapeutiques ad hoc de bénéficier de formations efficaces. C’est le nerf de la guerre.
Propos recueillis par Isabelle Jouanneau