Le principal problème d’un patron d’entreprise et de la plupart des membres de son équipe de direction est qu’avec le temps et l’usure du quotidien, ils ont perdu la distance, la fraîcheur et la lucidité indispensables pour remettre fondamentalement en cause les stratégies et les pratiques opérationnelles existantes.
Et s’il s’y rajoute la pression des mauvais résultats et la question des responsabilités, la tendance défensive du « ce n’est pas de ma faute » ou du « j’ai toujours dit ce qu’il fallait faire, mais personne ne m’a écouté ou m’a suivi » prend vite le dessus. C’est ce que j’ai constaté régulièrement en arrivant dans une entreprise et en questionnant les cadres dirigeants sur les raisons des difficultés économiques rencontrées.
Dans les entités (divisions, filiales, etc.) des grands groupes, un autre problème s’y rajoute : les cadres faisant partie des « hauts potentiels » ou du premier cercle de direction, en plus d’un manque d’expérience évident du redressement, ne sont souvent pas très motivés et motivables pour prendre, sans contreparties et garanties, une mission « à se casser la figure » et à mettre en danger leur carrière, surtout si des tentatives précédentes ont déjà connu un échec.
D’où la tendance, même au sein de grandes entreprises, de faire appel à un intervenant extérieur et, comme c’était toujours mon cas, de le parachuter comme nouveau patron à la tête d’une entité en pleine tourmente pour une période de transition… Pourquoi ?
Tout d’abord, parce qu’il s’agit en grande partie d’un travail de spécialiste. Personne, pour un « grand corps gravement malade », ne confondrait le travail d’un médecin urgentiste ou d’un spécialiste pointu avec celui d’un médecin généraliste, même très compétent et expérimenté.
Ensuite, le gestionnaire de crise n’est pas susceptible de rester pour toujours. C’est un homme ou une femme de transition, comme je l’ai toujours admis et annoncé à mes collaborateurs dès mon arrivée. Pour combien de temps ? Pour une durée indéterminée et, à priori, jusqu’à la sortie de la période des difficultés.
Et comme le conçoivent aussi, à juste titre, les actionnaires commanditaires, qui vous « remercient » dès que l’urgence est passée et que la gestion de l’entreprise est revenue à la normale. A noter que la négociation de fin de mission et de séparation s’avère quelquefois un peu plus compliquée que la cérémonie d’accueil…
Une fois le choix du patron de transition fait, ce dernier ne peut réussir que s’il arrive à combiner autorité, indépendance par rapport à son donneur d’ordres (tout en lui rendant compte de façon régulière et transparente) et crédibilité auprès de ses collaborateurs, dont il doit réussir à « rebooster », de façon spectaculaire, leur motivation et leur engagement.
Mes arrivées parachutées et les annonces de ma nomination se ressemblaient dans toutes les sociétés que j’ai dirigées : 3 réunions avec l’encadrement, les représentants du personnel et l’ensemble des collaborateurs. Une petite introduction par un représentant des actionnaires, puis, de ma part, un discours de présentation et, immédiatement, l’affichage de mes convictions que « nous allions nous en sortir » et surtout pourquoi et comment… Par contre, avec l’apparition d’internet et des réseaux sociaux, plus de secret… chacune de mes interventions réalisées ailleurs serait aujourd’hui immédiatement scrutée et interprétée.
Généralement en remplacement du jour au lendemain de l’ancien patron, souvent déjà le deuxième ou troisième dirigeant en très peu de temps, il était impératif de convaincre mes nouveaux collaborateurs, souvent incrédules, dès la première minute et dès la première rencontre, que je comptais les associer à une réussite…possible essentiellement, grâce à leur savoir-faire et leur motivation que je comptais « débloquer » et piloter avec des orientations claires. Certes avec quelques changements, mais pas très nombreux, dans l’organigramme – car limités aux collaborateurs et cadres qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas comprendre les nouvelles règles du jeu et pour lesquels il valait mieux s’en séparer, de préférence rapidement, mais de façon tout à fait professionnelle. Mais en m’appuyant pour l’essentiel sur 98% et plus des collaborateurs déjà présents, et souvent depuis longtemps, dans l’entreprise.
Parfois, un exercice, pratiqué dans le cadre d’un séminaire de lancement, s’est avéré très utile : demandez à chaque participant lors d’un premier tour de l’exercice, qui sont les meilleurs cadres dirigeants et « talents » dans l’entreprise…chaque personne interrogée commençant alors par désigner des collaborateurs appartenant à son propre service. Publiez les résultats sur un tableau et partez pour un deuxième tour, invitant alors à désigner les meilleurs collègues tous services confondus. Et vous disposerez alors d’une première idée des « hauts potentiels » de l’entreprise que vous venez d’intégrer et sur lesquels vous allez vouloir vous appuyer.
Rapidement, je suis alors attendu pour des orientations claires sur les principales priorités du plan de redressement et les premières étapes, annoncées au travers d’une communication intensive, quotidienne et positive.
Puis s’enchaine le travail de la remobilisation totale des collaborateurs. Grâce à une délégation maximale et efficace des actions à mener, à chacun à son poste et dans son service. Avec les actions à lancer et les résultats attendus. Et l’invitation d’y aller sans attendre, mais de me signaler ouvertement les difficultés et blocages rencontrés…plutôt que de les cacher, par peur de critique ou de déresponsabilisation.
Ainsi, chemin faisant, mon rôle se transforme de plus en plus de celui d’un « Chief Executive Officer » en celui d’un « Chief Facilitator » auprès de mes principaux collègues tout en gardant le contrôle des opérations.
Pareil pour mes collègues de Management Partenaires, détachés comme moi dans des entreprises rencontrant difficultés économiques, désaccords entre actionnaires, tensions sociales, problèmes de trésorerie et de financement et, souvent, un peu de tout. Et nos réunions hebdomadaires au cabinet, où, en faisant le point de chaque mission, nous tentions d’apporter notre expérience collective à chacun de nos clients.
Comme je l’évoque déjà dans l’introduction : toutes ces mesures et techniques nécessitent une grande partie de « présentiel » de la Direction, de l’encadrement et même de l’ensemble du personnel… Et je ne suis pas sûr que les nouvelles tendances à la visio-conférence et au travail au domicile… et l’évolution des mentalités par rapport au travail, considéré plutôt comme une obligation et une charge qu’une source d’épanouissement et d’accomplissement personnel, – permettent de nos jours la même efficacité que dans la période de mes interventions.
Axel Rückert
Expert des relations franco-allemandes, Axel Rückert est un chef d’entreprise allemand et ancien consultant au sein du cabinet de conseil McKinsey & Company.
Il est l’auteur de Sauve qui peut sait
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