The Exploration Company est une start-up franco-allemande comme il y en a peu. L’objectif est de combler un gap, construire des capsules spatiales réutilisables ici en Europe aptes à transporter du fret. Une initiative unique pour faire exister l’Union européenne sur ce créneau, d’autant plus important que la prévision de croissance sur ce marché est de l’ordre de 400 % d’ici la fin de la décennie
Pourquoi avoir créé The Exploration Space ?
Hélène Huby : J’ai travaillé plusieurs années chez Airbus, et j’ai fait deux constats. Le premier était l’incroyable puissance de la dynamique de l’exploration spatiale, le second que l’Europe n’avait aucune capacité d’accès à ce secteur, Orion étant aujourd’hui obsolète. J’avais déjà travaillé sur le sujet, j’ai décidé de quitter Airbus avec l’idée de construire une capsule avant que d’autres collègues ne me rejoignent sur ce projet. Créer une société privée n’était pas une option, il n’y avait pas d’autre choix, car aucun programme de création de capsule spatiale européen n’existait. Le pari était très risqué, nous avons commencé sans aucune garantie. Aujourd’hui, nous allons pourtant lancer la première capsule miniature en mars 2024, et prévoyons le vol de la capsule définitive dénommée Nyx en 2027.
Nous pouvons utiliser différents types de lanceurs, entre autres Ariane 6 ou SpaceX. Son carburant est vert, pour faire simple, il s’agit d’une eau oxygénée très concentrée en remplacement de l’hydrazine habituellement utilisée dans ce secteur, mais toxique. En septembre dernier, nous avons conclu un contrat avec l’Américain Axiom Space pour un achat de missions fin 2027 sous réserve que toutes les étapes techniques soient finalisées. Et le 8 novembre 2023, l’Agence Spatiale Européenne s’est engagée sur la voie de la capsule cargo réutilisable.
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Après une capsule spatiale cargo pour ravitailler les stations orbitales et la future base lunaire, une capsule habitée est-elle également envisagée ?
Hélène Huby : Nous avançons rapidement sur notre lancement cargo, grâce à l’aide de fonds d’investissements qui nous suivent, certains dans la deep ou space tech, d’autres généralistes, ainsi qu’avec le soutien du CNES, de l’Agence spatiale européenne et allemande.
Le vol habité est un objectif à plus long terme. Pour lancer une capsule de transport de fret, il faut compter environ 6 ans et 400 millions d’euros. Pour transporter des personnes, il faut dix ans et 3 milliards d’euros, le privé ne peut alors tout financer, il convient d’avoir le soutien de l’Europe.
Rêvez-vous personnellement de voyager dans l’espace ?
Hélène Huby : Je serai dans la première capsule habitée ! Il s’agit aussi d’une question de crédibilité pour les clients et prospects.
Quel est l’élément qui vous a le plus aidé dans les débuts de cette aventure entrepreneuriale ?
Hélène Huby : Il s’agit de la confiance que m’ont accordé les premières personnes qui ont rejoint l’équipe. Toutes sont très expérimentées, avaient d’excellentes situations bien rémunérées, et elles ont abandonné cette forme de sécurité. Cela a donné confiance aux investisseurs, puis à l’Europe. La clé est l’équipe, sa compétence et le fait que nous avions déjà collaboré.
Dites-nous quelques mots de Projet Karman ?
Hélène Huby : Il s’agit d’une fondation à but non lucratif qui travaille à la collaboration et au dialogue indépendant entre entrepreneurs façonnant le futur de l’espace. Nous évoluons dans un monde de plus en plus bipolaire, avec des dialogues impossibles entre certains États. Mon objectif était de créer un espace de confiance pour une quinzaine de personnes sélectionnées chaque année, des directeurs d’agence, des dirigeants d’entreprise, des artistes de différentes nationalités.
Nous les invitons pendant quelques jours pour penser l’espace de demain ensemble, avec l’ambition de créer des liens amicaux, et qu’ils s’engagent à titre personnel pour « make space a better space ». Il ne s’agit pas de parler business, ces discussions sont bien entendu tenues secrètes.
Votre planning est très serré, y a-t-il urgence en la matière ?
Hélène Huby : Oui, nous sommes totalement concentrés sur notre objectif de capsule cargo réutilisable. Dans un métier dans lequel les développements exigent énormément de temps, où il faut tout anticiper des années avant la concrétisation, l’Europe a déjà dix ans de retard sur SpaceX, nous devons démarrer immédiatement. Le succès est obligatoire, sinon ce sera terminé.
D’autant que nos ambitions, nos envies, sont de faire bien plus que des capsules. Nous venons de créer une filiale en Italie sur un projet de développement d’un moteur hors norme pour la phase post Ariane 6.
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L’argent est-il devenu un facteur clé pour la réussite ?
Hélène Huby : Parmi les facteurs clé de réussite, au-delà de l’argent et de l’équipe, il ne faut pas négliger le management du CEO. Chez SpaceX, Elon Musk était très présent au niveau de tous les détails de son projet, la qualité de son équipe découlait du fait que le projet ET son dirigeant étaient inspirants. Je reste très impressionnée par la vitesse de développement de SpaceX. Ici, nous n’avons pas la même culture en matière de ressources humaines, mais le niveau d’exigence doit être identique. Il n’y a pas de recette miracle pour aller vite, le dirigeant doit donner la cadence pour emmener l’équipe avec lui.
Le CEO est un chef d’orchestre, à lui d’impulser le bon rythme, ni trop lent, ni trop rapide. Aujourd’hui, certains Européens qui travaillent chez SpaceX ont envie de revenir en Europe, l’un d’entre eux va d’ailleurs nous rejoindre, à notre tour d’inspirer !
Bien entendu, l’argent reste un levier indispensable, nous allons continuer à lever des fonds pour tenir notre planning. Il y a les programmes avec l’Agence Spatiale Européenne, avec une partie d’aides à la clé ainsi qu’Axiom Space, soit environ 150 millions d’euros potentiels.
On a l’impression que vous êtes portée par un élan positif très enthousiasmant. Quel est votre secret ?
Hélène Huby : Il est essentiel de saluer le travail de l’équipe, soit 130 personnes qui prennent des risques pour un projet audacieux. Or, on manque souvent d’audace, alors que l’histoire démontre qu’elle conduit à la réussite. On assiste à un phénomène assez contradictoire, une grande partie de la population recherche le confort avant tout, pourtant dès qu’on lance un projet audacieux, cela inspire le plus grand nombre. Nous avons reçu des courriers formidables, comme celui d’un employé de La Poste qui nous exprime son admiration.
Nous avons été surpris par le métro de Munich qui a choisi de mettre notre capsule Nyx sur ses panneaux publicitaires après la signature avec Axiom Space, de sa propre initiative. Ce phénomène est très significatif sur notre conviction que si nous réussissons, nous pouvons aller vers des missions extraordinaires, porteuses de sens, inspirantes, car elles participent au futur de l’humanité.
Nous sommes tous des humains, avec un immense besoin d’espoir pour vivre, et nous voulons participer à créer un esprit positif. Il faut aussi comprendre que ce type de projet renforce l’esprit européen, redonne du sens à l’Union européenne, dont la base est une union des peuples pour préserver la paix.
Propos recueillis par Anne Florin