Par Michel Kessler, cofondateur de Paris Seine Immobilier, délégué fédéral FNAIM Grand Paris, expert Immobilier et membre de la commission de conciliation des baux commerciaux
Tribune. A la veille d’une possible levée totale des restrictions sanitaires, dans quel état se trouve l’immobilier commercial et quelles sont ses perspectives ? L’investissement dans les murs commerciaux faisait partie des investissements favoris des français pour le couplage Rendement x Risque (R²) portant sur des actifs réels, faits de Pierres et, sur lesquels, les contours du risque semblaient bien identifiés.
Pourtant, celles et ceux qui avaient misé sur l’immobilier commercial (boutiques, bureaux et Airbnb), et non sur l’immobilier d’habitation, se retrouvent dès le 17 mars 2020, date du premier confinement, frontalement impactés par la fermeture des commerces, par l’explosion du télétravail et par l’arrêt du flux touristique.
Cet arrêt partiel ou total d’activité a généré une incapacité des locataires de baux commerciaux à acquitter normalement leur loyer. Pour les plus solides, le Prêt Garantie par l’État (PGE) a mis sous perfusion leur trésorerie. Pour les plus fragiles, et ils sont très nombreux, c’est l’incapacité de régler un loyer et un arrêt de leur activité. Pour bon nombre d’investisseurs indépendants ayant emprunté pour acquérir des murs de boutique ou pour ceux dont cette rente constitue l’essentiel de leur retraite (beaucoup d’anciens commerçants), c’est la douche froide !
Il ne s’agit plus seulement d’une baisse de rendement mais bien d’une remise en cause d’un modèle d’investissements. L’immobilier d’habitation, autrefois moins privilégié du fait de rendements moins attractifs pour un risque plus élevé d’impayé, devrait à nouveau susciter l’intérêt des investisseurs tant que les perspectives de reprises économiques ne seront pas clairement identifiées. Pour les mêmes raisons, une part importante des Airbnb ont su trouver dans la location traditionnelle en meublée un plan B inexistant pour les bailleurs de locaux commerciaux. Par voie de conséquence, le prix des murs commerciaux, par la hausse des rendements demandés pour compenser le risque, ont déjà amorcé une baisse.
L’autre conséquence directe de la crise sanitaire concerne bien évidement la baisse des valeurs locatives. Difficile à identifier tant nous restons encore, à ce jour, dans l’œil du cyclone, il est probable que la variation de ces valeurs soit de l’ordre de -15% à -30% en moyenne. En parallèle, nous assistons à la quasi disparition du droit au bail (demandé par le locataire sortant, ou « pas-de-porte » lorsque ce montant est demandé par le bailleur). La montée en puissance de l’offre de locaux vides partout en France explique, pour l’essentiel, l’arrêt de cette pratique pour laquelle la France faisait figure d’exception.
C’est paradoxalement sur les axes numéros 1 que s’opèrent aujourd’hui les plus fortes variations à la baisse, révélant des axes secondaires davantage résistants face à l’effondrement des loyers des axes commerçants. Ce paradoxe n’est qu’apparent et il révèle le seul point positif de toute cette crise pour les commerces. Durant la décennie passée, l’ingénierie de l’investissement commercial a largement privilégié un tropisme sur le taux de rentabilité de l’actif en oubliant trop souvent la rentabilité de l‘exploitation.
Le « taux d’effort » demandé aux commerçants, c’est-à-dire la part du loyer dans le chiffre d’affaires, devrait s’établir, suivant les activités, entre 6% et 10%. Or, force est de constater qu’une part croissante des loyers a déplafonné ce taux jusqu’à atteindre parfois des taux de 15% et parfois 20% du chiffre d’affaires! C’est ce qui expliquait hier la forte rotation des commerces en créant une fragilité financière trop forte dès le début du bail, et c’est ce qui explique aujourd’hui, pour l’essentiel, les fermetures en cascade de commerces que le PGE n’a pas pu sauver.
Cette prise de conscience aujourd’hui, par les bailleurs, de la nécessaire baisse des loyers causée par l’effondrement de la demande de locaux, redistribue les cartes en rappelant qu’un bon rendement ce n’est pas juste un bon loyer mais aussi un bon locataire… Concernant le bail commercial à usage de bureaux, nous assistons à la transition entre une évolution du tertiaire et une « Révolution du Tertiaire », la crise sanitaire ayant joué le rôle d’accélérateur de particules déjà en mouvement bien avant 2020. Cette révolution portée par le télétravail entraine avec elle un profond changement sociétal, dont on ne sait pas encore s’il appartient à un cycle court (10 ans/Juglar) ou long (50 ans/Kondratieff).
Selon une étude récente réalisée par XERFI, la population éligible au télétravail devrait tripler en deux ans pour passer de 9% à 31%. Les grands acteurs du tertiaire organisent d’ores et déjà les constructions en cours de bureaux avec des taux de flexibilité (Flex Office) proche de 50%. Ce changement impacte naturellement à la baisse la demande de bureaux entrainant une baisse des valeurs locatives.
Cependant, par effet miroir, d’autres usages apparaissent et avec eux un foisonnement de néologismes (Flagship Office, Tiers Lieux, Corpo Working, Meeting office etc…) qui traduisent une redéfinition de l’usage du bureau qui tend à ne plus être le lieu de concentration de tous les salariés mais un lieu d’échange, un lieu convivial formant la vitrine de l’entreprise.
Au-delà des nombreuses aides mises en place pour soutenir les commerces, une évolution de la doctrine régissant les déplafonnements de loyer dans le bail commercial (décret de 1953 !) semble nécessaire pour assainir la relation bailleur/locataire et éviter ainsi les effets pervers découlant des écarts entre les loyers de marché et les loyers contractuels.