C’est fou le potentiel de nos bourgades et de nos villages : comme à Joigny ou Noyers-sur-Serein.
Au bord du paisible et plus large affluent de la Seine, Joigny mérite bien mieux que ce statut de belle endormie. Même si le départ de certains industriels a, semble-t-il, porté un coup fatal à cette belle sous-préfecture de l’Yonne. Malgré le lustre et les talents de Jean-Michel Lorrain et de son nouveau chef Alexandre Bondoux pour continuer de faire venir le gratin des touristes français et internationaux dans son splendide établissement gastronomique doublement étoilé de La Côte Saint-Jacques (table préférée d’un certain Alain Delon, châtelain local qui y vient régulièrement de Douchy en voisin).
L’ancienne ville des comtes de Joigny se cherche un avenir. Et pourtant quel potentiel intact à quelques encablures de l’autoroute A6 : maisons à colombages, ruelles étroites et pleines de charme, monuments ou édifices religieux sans pareil, site avec panorama sur le fleuve : la rue principale piétonne écume de ses commerces fermés. On se croirait dans un village hanté. Le transfert de magasins en zones commerciales périphériques a-t-il ici, comme ailleurs, sonné le glas des centres-villes ? Pas si sûr, il suffirait pourtant de « presque rien » (comme dirait le philosophe Jankelevitch) pour redonner un soupçon de vitalité et de convivialité avec des établissements dignes de ce nom. Quand on chemine ainsi au gré des territoires et des bourgades, on trouve encore pas mal de belles boulangeries. En revanche, le secteur des bistrots cafés semble lui vraiment être tombé en déshérence. Et ce n’est pas dû seulement à la baisse de consommation d’alcools. On pourrait très bien par exemple y servir des jus de fruits de première qualité. Il suffirait de pas grand-chose pour relancer une petite chaîne de cafés français bien de chez nous, tenus, ouverts, avenants, propres, bien éclairés, simples avec des services (presse, tabac, jeux, paris, télévision, plats du jour, produits de dépannage…). L’idée est lancée. Elle ne demande qu’à prospérer.
Pour revenir à Joigny, cette commune de l’Yonne d’à peine 10 000 habitants mérite vraiment mieux que son sort actuel et son taux record de chômage : 23 % de la population. Et ne dites pas que c’est une fatalité. Sur les quais, il n’y a même pas un point presse ouvert. Les cafés semblent tous sombres, mal rangés et sans attirance. On a parfois l’impression qu’ils font tout pour qu’on n’ait pas envie d’y rentrer. Bizarre comme impression. Et question restauration, on ne peut même pas déguster un simple jambon persillé arrosé de Chablis ou d’Irancy, voire une simple planche de charcuterie ou de fromages locaux. Cela ne doit pourtant pas être très compliqué à proposer…
Un peu plus loin, après la bonne ville d’Auxerre, en empruntant des départementales de traverse : on tombe à 40 kilomètres de là, après avoir parcouru des paysages vallonnés de toute beauté sans maison aucune pendant de nombreux kilomètres, sur un joyau patrimonial encore assez méconnu, celui de Noyers-sur-Serein. Ne cherchez pas, le nom du village de 900 âmes ne vous est sans doute pas étranger. Il fait partie de la liste enviée et reconnue des « plus beaux villages de France ».
Un vrai trésor à lui tout seul. En arrivant après avoir passé le splendide lavoir à l’ancienne, la porte horlogère vous fait pénétrer directement dans une atmosphère médiévale. Un bijou qui a séduit un temps le compositeur Claude Debussy. Même si le détail semble visiblement avoir échappé aux habitants. Le patron d’un café me disant : « Vous êtes sûrs, je n’étais pas au courant. Pourtant, mon grand-père s’est installé ici fin XIXe siècle et il a dû le connaître. Il a fréquenté Henri Cartier-Bresson, le grand photographe, mais apparemment, ce n’était pas au même moment! » À l’entrée du village, le patron du bazar multiservices droguerie-essence-presse n’était pas au courant non plus : « Debussy, je ne savais pas. En revanche, La Grande Vadrouille, c’est bien ici que cela a été tourné. » (Sic) Excusez du peu ! Au fait, Noyers ; prononcer Noyère au risque de passer pour un plouc quand vous irez acheter à la boulangerie du village les fameuses gougères jambon-fromage. La France est décidément un pays formidable. Visiblement, il y a que les Français qui ne le savent pas. Il n’y a qu’à regarder le nombre de touristes et d’immigrés qui ne demandent qu’à y venir. Même, si ce n’est pas tout à fait pour les mêmes raisons, comme on le sait.
Robert Lafont
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