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25ème anniversaire d’un partenariat stratégique : l’Inde, pôle de la multipolarité


Par Patrick Pascal, ancien ambassadeur et président du Groupe ALSTOM à Moscou pour la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie. Il est fondateur et président de « Perspectives Europe-Monde ». L’heure est à la célébration du 25ème anniversaire du Partenariat stratégique entre le France et l’Inde et cet événement coïncide, les...

Entreprendre - 25ème anniversaire d’un partenariat stratégique : l’Inde, pôle de la multipolarité

Par Patrick Pascal, ancien ambassadeur et président du Groupe ALSTOM à Moscou pour la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie. Il est fondateur et président de « Perspectives Europe-Monde ».

L’heure est à la célébration du 25ème anniversaire du Partenariat stratégique entre le France et l’Inde et cet événement coïncide, les 2 et 3 mars, avec la réunion à New Delhi des Ministres des Affaires étrangères du G20 à laquelle participe Mme Colonna. Le contrat qui vient d’être conclu pour la fourniture à Air India – propriété depuis un an du Groupe Tata – de430 avions produits par Airbus et Boeing, dont 40 long courriers A350, confirme par ailleurs la place qu’occupe désormais l’Inde dans la politique internationale, au-delà même de l’économie.

« La plus grande démocratie du monde » par la taille est en effet en passe de dépasser la Chine sur le plan démographique; elle s’affirme aussi en tant que puissance économique majeure, y compris  dans le domaine des technologies de pointe. Elle ne se réduit plus à n’être sur le plan régional que le colosse du sub-continent, mais est susceptible de rayonner en tant que puissance globale, ancrée dans le non alignement depuis ses origines contemporaines de la fin de la partition en 1947.

L’état du monde ne se réduirait-il donc pas à une compétition tous azimuts entre la Chine et les Etats-Unis? Les relations internationales ne se limiteraient-elles pas à une simpliste opposition Orient-Occident, telle que décrite dans le narratif de la Russie de Poutine? Ce nouvel ordre en gestation – qui se caractériserait par une multiplication des pôles de puissance évoluant vers un véritable système multipolaire -, ne reproduirait-il dès lors finalement pas le seul affrontement de blocs, à l’instar de celui de la guerre froide? Dans ce nouveau contexte, où se situent les intérêts de la France et de l’Europe?

Le méga-contrat des avions

Arrêtons-nous un instant sur le contrat des avions. Le “deal” avec Airbus et Boeing est l’un des plus importants jamais conclus dans l’aviation civile. Il a été annoncé pour ce qui concerne le groupe européen lors d’une visioconférence réunissant le Premier ministre Modi, le Président de la République, le CEO d’Airbus et un représentant de la famille Tata qui possède Air India.

Guillaume Faury, le CEO d’Airbus, a estimé à  cette occasion que “le moment était approprié pour que lInde devienne un hub international”. Les partenaires au sein d’Airbus bénéficieront naturellement aussi du contrat. C’est en effet au Royaume-Uni que sont conçues et réalisées les ailes des Airbus; Rolls-Royce motorise les A350. Les 6 premiers A350 seront livrés au cours de l’année. L’Inde deviendra au cours de la décennie le 3ème marché du transport aérien, derrière les États-Unis et la Chine. Cette perspective confirme la place qu’occupe désormais l’Inde dans le domaine des hautes technologies ainsi que son rôle « d’atelier » du monde qui n’est plus dévolu exclusivement à la seule Chine. C’est ainsi par exemple qu’Apple est en train de délocaliser, à partir de la Chine, la fabrication en Inde des iPhone. Ce processus s’avère toutefois complexe.

L’Inde au coeur du système international

L’Inde est déjà depuis des décennies une puissance régionale jouant un rôle notable dans les instances multilatérales. Du fait de la qualité de ses ressortissants, de leurs capacités linguistiques, de l’implication des forces armées indiennes dans les opérations de maintien de la paix, l’on a assisté pendant longtemps à une sur-représentation indienne, par rapport aux contributions budgétaires, dans la fonction publique internationale. Ce constat est exactement l’inverse de la situation prévalant par exemple pour le Japon pourtant l’un des tout premiers contributeurs.

Les réflexions sur la réforme de l’ONU ont toujours intégré un « facteur » indien pour les raisons précédemment énoncées. Il a ainsi été envisagé depuis plus d’une vingtaine d’années d’élargir le Conseil de sécurité de l’ONU afin que ce dernier soit plus représentatif de l’état du monde. Si ce processus complexe s’est heurté à d’importants blocages d’ordre politique, la France pour sa part s’est, à plusieurs reprises, déclarée publiquement favorable à l’entrée de l’Inde, de l’Allemagne, du Japon et d’un grand pays d’Afrique. L’Inde et la France sont d’ailleurs liées par un partenariat stratégique depuis 1998. Mais si l’on prend en considération le seul cas de l’Inde, dont la candidature était incontestable en fonction de plusieurs critères (cf. poids démographique et économique, participation aux activités de l’ONU), il fut alors clair lorsque la question paraissait pourtant à maturité à la fin des années 90, qu’une telle candidature susciterait alors immanquablement une demande reconventionnelle du Pakistan. Ce dernier pays était également considérable mais présentait aussi l’inconvénient d’avoir procédé à des expérimentations nucléaires en 1998. Cela ne fut donc pas possible, outre les relations respectives des pays concernés avec les grandes puissances, alors même que la prolifération nucléaire était devenue une préoccupation majeure et qu’elle ne pouvait dès lors être en quelque sorte « récompensée ». Qu’en est-il aujourd’hui alors que l’Inde est en passe d’acquérir un statut de puissance mondiale? Et l’Inde a-t-elle jamais été une simple puissance régionale?

L’Inde, les blocs et les alliances

Les caractéristiques de la période actuelle, mises particulièrement en évidence par la guerre en Ukraine, sont la décomposition du système international – rendue particulièrement visible par la division et le blocage du Conseil de sécurité – et la tentation de reconstitution de blocs de puissances. Si ces tendances sont a priori défavorables à l’Inde traditionnellement non alignée et portée sur la coopération multilatérale, New Delhi peut paradoxalement tirer profit de la nouvelle donne.

La création en septembre 2021 de l’alliance AUKUS dans la zone Indo-Pacifique entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis a précédé la guerre en cours sur le continent européen. La France en a été écartée avec la rupture du contrat de fourniture de sous-marins à l’Australie et l’Inde n’en fait pas non plus partie. Mais cette dernière est en revanche membre du groupe des quatre pays fondateurs du Dialogue de sécurité quadrilatéral (Quad) qui réunit le Japon, les Etats-Unis, l’Australie et l’Inde à l’initiative de Washington. Pour le Japon, l’ancien Premier ministre Shinzo Abe s’était montré particulièrement actif pour promouvoir une plateforme rassemblant quatre démocraties mais une telle Association a eu du mal à trouver sa cohérence et sa personnalité. Préfiguration d’un « système anti-Pékin » comme l’AUKUS, il n’est pas certain que le Japon et l’Inde, les premiers exposés, aient souhaité se départir d’une certaine prudence et de leur politique d’équilibre vis-à-vis de la Chine.

L’Inde multiplie en fait sa présence dans les enceintes internationales. Elle est, à ce titre, membre de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) avec la Chine et la Russie et même le Pakistan désormais. Cette stratégie diplomatique lui permet de préserver son identité, dans la tradition du non alignement qui est son ADN. On se souvient que lors du Sommet de l’OCS à Samarcande, il y a quelques mois, le Premier ministre Modi avait même tancé le président russe en estimant que « l’heure n’était pas à la guerre ». On prête d’ailleurs au chef du gouvernement indien et au Président chinois d’avoir exprimé face à la Russie des mises en garde quant à l’utilisation possible d’armes non conventionnelles dans la guerre en Ukraine.

La relation entre l’Inde et la France s’est développée tout au long des années 80 dans les domaines stratégique, diplomatique et économique pour se conclure par le Partenariat stratégique de 1998 conclu par le Président Chirac. La France soutient depuis cette période la légitime candidature indienne à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité. En souhaitant promouvoir une voix différente au Conseil, Paris ne peut qu’y trouver l’avantage de voir augmenter sa propre marge de manoeuvre dans cette enceinte.La France a aussi encouragé au cours des années une plus grande présence de l’Inde dans des enceintes – ou au côtés de celles-ci – telles que le G8 devenu un G7 élargi, ou encore le G20 que New Delhi préside actuellement. La coopération franco-indienne englobe de très larges secteurs, qu’il s’agisse de la coopération nucléaire civile, de la défense (NB: l’Inde a acheté des avions Rafale, ders sous-marins Scorpene et a modernisé ses Mirage 2000. Elle est au coeur de la stratégie de la France dans la zone Indo-Pacifique.

Dans un monde en pleine ébullition, caractérisé par un système international fissuré pour le moins, le rôle que peut jouer l’Inde sur la scène internationale prend une importance accrue. Paris et New Delhi peuvent rapprocher encore leurs spécificités qui ne les séparent aucunement pour contribuer  à des entreprises visant au rétablissement d’un ordre international plus stable et orienté vers le développement et le progrès. L’Inde, aujourd’hui puissance de dimension mondiale, est d’ores et déjà un pôle de la nouvelle multipolarité. 

Patrick Pascal

Patrick PASCAL est publié aux Etats-Unis par la Revue INNER SANCTUM VECTOR N360 (Dr. Linda RESTREPO Editor/Publisher) qui vient de lui consacrer une Edition spéciale sur la Russie
→ https://issuu.com/progessionalglobaloutreach.com/docs/patrickspecialedition

Patrick Pascal est également l’auteur de Journal d’Ukraine et de Russie (VA Éditions)

Disponible auprès de VA-EDITIONS.FR

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