Comment Safilin investit sur une nouvelle filature à Béthune, dans le Pas-de-Calais. Un espoir pour l’industrie textile française.
BÉTHUNE, LIEU DE RÉVOLUTION
La ville du Pas-de-Calais (45.000 habitants) est connue pour son bourreau, totalement sorti de l’imagination fertile d’Alexandre Dumas quoique le nom ait été repris bien après par un célèbre catcheur devenu pour l’anecdote garde du corps de Jean-Marie Le Pen. Mais c’est un sujet autrement sérieux qui occupe les esprits, celui d’une naissance, une (re)naissance industrielle.
Depuis quelques mois, un fil de lin 100% français est effectivement fabriqué dans une toute nouvelle filature située dans cette commune. Un retour à la vocation textile qui a fait les heurs et les malheurs de la région Hauts-de-France.
La production de bobines de fil de lin de Safilin a été transférée en Pologne il y a près d’un quart de siècle suite à la crise textile. La production a été transférée dans deux usines polonaises. Olivier Guillaume, le dirigeant, a décidé de répondre à une demande de la part de certains de ses clients, eux-mêmes industriels, qui souhaitaient produire à partir d’un fil 100% français, tout en sachant que cela allait forcément s’accompagner d’une hausse des coûts. Si le dirigeant a décidé de mettre en place toutes les conditions pour répondre à cette demande de la clientèle, il n’a cependant pas raisonné en termes de relocalisation.
Il est hors de question de déshabiller Pierre pour habiller Jacques. En d’autres mots, les usines et les 500 salariés polonais de Safilin ont su être au rendez-vous pendant des années pour permettre à l’entreprise de survivre, il n’est donc pas question de fer-mer cette activité qui permet de proposer un produit 100% européen.
Mais, au lieu de réinvestir là-bas pour augmenter les capacités de production, la vision stratégique a été modifiée et la décision prise, investir ici même en France et aller de l’avant. Un ancien entrepôt logistique a été réaménagé, le financement mis en place par le groupe, des machines en provenance de Pologne ont été acheminées sur le sol français et une trentaine de salariés français ont été recrutés, formés cette fois par des ouvriers polonais.
PAS UNE USINE, UNE FILIÈRE
Les Hauts-de-France sont une terre productrice de lin, il n’a donc pas fallu aller chercher bien loin la matière première. Le cardage, le peignage, le lavage, étapes nécessaires préalables à la filature sont toutes réalisées par des partenaires implantés dans le nord de la France. L’activité est en B2B, les clients sont principalement des entreprises de tissage et textiles. La filière est ainsi recréée, de la production au produit fini, sans avoir à obligatoirement passer par l’étranger pour la fabrication du fil.
UNE ENTREPRISE ENRACINÉE
1778, voici la date de création des filatures Salmon, une époque où le fil de lin était encore filé à la main dans les fermes. Au début du XXe siècle, le groupe A. Salmon était le plus grand groupe linier européen avec plus de 1 000 employés. L’entreprise dont le siège est à Sailly-sur-la-Lys, près de Béthune, a connu les vicissitudes liées à son marché. Dans les années 70, la société se recentre sur le lin avec la création de Safilin (Salmon Filature de Lin).
Il a fallu rapidement trouver des solutions face à la mondialisation et l’emprise chinoise sur le marché du textile. C’est d’ailleurs la suppression des quotas sur les importations chinoises en 2005 qui provoque l’arrêt de la filature française de Safilin la même année. Cela avait bien entendu été anticipé, les dirigeants ayant d’ores et déjà racheté deux usines en Pologne quelques années plus tôt.
Ce mouvement va sauver l’entreprise face à l’Asie grâce à une production de 4 500 tonnes de fil par an. Olivier Guillaume a intégré Safilin en 1997 et la préside depuis 2015 l’entreprise ayant auparavant exercé des responsabilités commerciales à l’export et en France.
L’entreprise est toujours aux mains de la famille Salmon, depuis huit générations, Olivier Guillaume est le principal protagoniste du retour d’un savoir-faire disparu en France. L’activité française va représenter environ 10% de l’activité globale de l’entreprise. Un marché plus que prometteur.
L’ESSOR DU LIN
L’initiative d’Olivier Guillaume n’est pas isolée en France. En matière de lin, diverses régions se lancent dans la fabrication. La Normandie, l’Alsace ou la Bretagne, toutes trois régions de productions, ont toutes déjà avancé sur ce sujet. La coopérative NatUp dans l’Eure, Emmanuel Lang en Alsace, Linfini en Bretagne sont tous les futurs acteurs d’une filière qui a sa logique. Le lin est en effet une production agricole intéressante pour les agriculteurs qui en vivent et écologique de par son besoin réduit en eau.
Anne Florin