Par Arnaud Gilberton, co-fondateur du cabinet de conseil en ressources humaines Idoko
Depuis un an, les prix à la consommation ont bondi de 5,2% tandis que l’indice du salaire mensuel de base n’a progressé que de 2,3%. Quand les prix galopent deux fois plus vite que les salaires, le pouvoir d’achat régresse. C’est la difficile épreuve que les Français subissent aujourd’hui.
Une telle situation est d’autant plus inattendue que, depuis les années 1980, la stabilité des prix semblait immuable. Cette croyance a volé en éclat sous l’effet de la pandémie, qui a désorganisé les circuits d’approvisionnement mondiaux, et de la guerre en Ukraine, qui pèse sur les cours des matières premières. Les causes de cette explosion des prix sont aussi plus structurelles. Depuis la crise financière de 2008, les gouvernements et les banques centrales ont multiplié les plans de relance et maintenu les taux d’intérêt proches de zéro. Cette stratégie a permis de limiter les chocs immédiats mais a conduit à une abondance inédite d’argent « gratuit ». La bulle monétaire, qui était en germe depuis quinze ans, vient soudainement d’éclater générant l’inflation et son cortège d’inégalités.
Des tensions croissantes dans les entreprises
Dans les métiers en tension du tertiaire (Tech, conseil…), la guerre du recrutement des talents entraîne d’ores et déjà une forte augmentation des salaires qui compense l’inflation. Ces postes sont en outre souvent télétravaillables, ce qui neutralise également la hausse du coût de transport. En revanche, les PME-ETI, déjà fragilisées par la crise sanitaire, ne disposent pas toujours des mêmes marges de manœuvre alors que leurs salariés, en milieu périurbain ou rural, occupent souvent des fonctions qui ne sont pas télétravaillables et nécessitent des déplacements en voiture de plus en plus ruineux. La crise économique risque de se transformer en crise sociale : c’est ainsi, par exemple, que les ouvriers des usines Pommier à Bagnères-de-Bigorre, Arco à Châtellerault ou CDM à Montrichard, se sont récemment mis en grève pour obtenir des augmentations salariales.
Face à ces tensions croissantes, le gouvernement doit présenter à l’été un projet de loi de soutien au pouvoir d’achat, encourageant les mesures de partage de la valeur au sein des entreprises. Mais les entreprises subissent elles aussi l’augmentation des prix qui réduit leur possibilité de partager une « valeur » en contraction. De plus, une hausse massive des salaires pourrait alimenter l’inflation que l’on cherche à juguler.
Les solutions à la main des DRH
Alors que les marges financières de l’Etat et des entreprises sont réduites, les DRH se retrouvent en première ligne, comme au plus fort de la crise sanitaire. Ce sont eux qui doivent faire émerger des solutions pour répondre aux revendications salariales. Pour aider les salariés à traverser cette crise, les DRH peuvent s’appuyer sur des mesures qui vont bien au-delà des strictes augmentations salariales, malgré les attentes légitimes que la question soulève.
Ainsi, des DRH peuvent tout d’abord sécuriser la part variable des salaires en s’engageant par exemple sur une sécurisation des primes, ou une augmentation de la participation et de l’intéressement. Agir sur le variable plutôt que sur le fixe est moins engageant à long terme pour l’employeur tout en étant concret et tangible pour l’employé.
Ensuite, les entreprises peuvent agir sur les avantages liés au contrat de travail, par exemple en augmentant la prise en charge des tickets restaurants ou des complémentaires santé qui représentent un coût important pour les actifs (30 à 100 € par mois pour un ménage). Pour limiter le coût des déplacements entre le domicile et l’entreprise – qui peuvent aller jusqu’à 200 € par mois en zone rurale -, la facilitation du recours au télétravail ou la réorganisation du temps de travail permettant le passage à la semaine de 4 jours sont des solutions. De même, la part des frais engagés par le salarié en télétravail à la charge de l’entreprise doit être revue à la hausse. Enfin, afin de contenir la facture des déplacements pendulaires, certains DRH peuvent mettre en place des systèmes de co-voiturage entre salariés, ce qui est également salutaire pour la cohésion au sein de l’entreprise.
Promouvoir le dialogue social
À défaut de pouvoir augmenter massivement les salaires, il est primordial d’agir sur l’ensemble des autres leviers afin d’aider les travailleurs les plus précaires à boucler leurs fins de mois dans des conditions de travail décentes. Ces actions doivent faire l’objet d’un dialogue social constructif avec les représentants du personnel et les salariés.
Alors que la caricature réduit souvent la place du DRH à un rôle administratif, ces crises révèlent au contraire combien cette fonction, où le sentiment d’isolement domine souvent, a la lourde responsabilité d’assurer la pérennité du contrat social au sein des organisations. Il est temps de réévaluer le rôle de ces acteurs qui, dans l’ombre, mettent en œuvre des solutions pragmatiques pour répondre aux difficultés des salariés, et cultivent la résilience des entreprises dans des temps de crise.
Arnaud Gilberton