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Innovation : le retour en avant ? 


Tribune de Bertrand Launay, Executive Vice President de Prodware À une époque où le progrès semble perpétuel, l’innovation prend une telle dimension que le terme « innovant » devient presque galvaudé. Dans ce cadre, discerner ce qui constitue réellement une innovation devient un exercice autant ardu que stimulant.  Généralement assimilée à une avancée...

Bertrand Launay

Tribune de Bertrand Launay, Executive Vice President de Prodware

À une époque où le progrès semble perpétuel, l’innovation prend une telle dimension que le terme « innovant » devient presque galvaudé. Dans ce cadre, discerner ce qui constitue réellement une innovation devient un exercice autant ardu que stimulant. 

Généralement assimilée à une avancée technologique, l’innovation transcende toutefois cette définition bien trop étroite. Elle découle plus globalement d’un processus créatif où l’introduction d’une nouveauté, l’amélioration d’un domaine vise à résoudre des problèmes ou à proposer de nouveaux usages. Tout au long de l’histoire humaine, l’innovation a été le moteur qui a donné corps aux aspirations changeantes de la société.

Dans de nombreux esprits, innovation et technologie vont de pair. Elles sont placées sur une même échelle de mesure dont les graduations vont de la « no » à la « high » en passant par la « low » tech. Pourtant, une conception de l’innovation porteuse du maximum de technologie possible n’a plus grand sens aujourd’hui. On sait en effet que la high-tech repose en partie sur une consommation très importante de ressources non renouvelables. Ainsi, les schémas porteurs de la modernité, aujourd’hui dépassés ou désormais inapplicables, doivent être augmentés ou transformés, voire pour une partie d’entre eux réformés. Dès lors, pourquoi s’évertuer à mesurer les nouvelles propositions via un prisme uniquement numérique ou électronique ?  

Par ailleurs, l’innovation répond à un besoin à un instant précis. Elle évolue ainsi au rythme de l’Histoire. La quantifier selon une échelle uniquement technologique revient à ignorer de nombreux paramètres qui influencent pourtant de manière décisive nos façons de communiquer, travailler, consommer ou habiter.

Comparer les notions d’innovation et de progrès de l’année 1925 et de l’année 2023 n’a plus de sens. Ressources, usages, besoins, contextes, habitudes, populations, etc. tout, ou presque, a changé. Tandis que l’innovation des Trente Glorieuses se caractérisait par un accroissement de la consommation et l’accélération de la production, celle de 2023 est dans l’obligation de considérer la limite des ressources disponibles. Ainsi, le calcul de sa performance intègre nécessairement ses impacts (ses “externalités négatives” : économiques, sociétaux, écologiques…) et s’accompagne alors d’une prise de conscience. 

Afin de rompre avec l’amalgame entre « technologies » et « innovation », il est crucial de proposer d’autres lectures de l’innovation. Elles permettent notamment de mieux la percevoir et d’investir les moyens nécessaires pour qu’elle puisse déployer sa finalité civilisatrice.

High-tech et low-tech: match nul

Jauger l’innovation dans un autre spectre que celui de la technologie ouvre la voie à de nouvelles frontières où peut se repenser notre perception du progrès et, par ricochet, nos comportements. 

Le tout premier de ces recalibrages est de renoncer à la stérile opposition entre « high » et « low » tech. Chacune répond en effet à un besoin spécifique. Elles n’entrent donc en conflit que dans nos discours, pas dans notre quotidien. Lorsque la low tech s’intéresse à d’autres manières de combler un besoin essentiel (nourriture, logement, hygiène), la high-tech se développe plus particulièrement dans des sphères secondaires (loisirs, productivité, consommation…). Bien sûr, l’une et l’autre peuvent naître pour répondre à tous les besoins parfaitement résumés par Maslow. Et dans bien des cas, elles sont même complémentaires : un panneau solaire alimentant en énergie un bâtiment équipé de domotique, par exemple. 

Opposer high et low-tech est également sans fondement puisque les deux formes se développent majoritairement dans des territoires distincts et peu communicants où les besoins divergent. Chacune à leur manière, elles répondent à la définition de l’innovation : combler un manque local, immédiat et utile. 

Dérives de la technolâtrie

À l’instar de tout concept populaire, l’innovation connaît logiquement quelques mésusages. L’innovation portée par la high-tech peut notamment générer des comportements de surconsommation (changement de smartphone tous les 18 mois) ou engendrer des dérives à tendance écocidaire (surexploitation des minerais). Confortablement installée dans notre quotidien, la high-tech est soutenue par la publicité qui encourage une course permanente à la nouveauté, quitte à appauvrir nos ressources. 

De l’autre côté du spectre, la low-tech se trouve parfois entraînée dans des courants qui la desserve : le « low washing » notamment où des organisations appliquent une couche superficielle de low-tech sur un produit ou des services diamétralement opposés à ses principes fondateurs. 

Placés dans un marché sans régulation où l’innovation est posée comme un étendard à suivre sans le moindre recul, consommateurs et citoyens sont désemparés et souvent contraints de faire des choix sans disposer des critères qui les fondent. Sans l’existence d’une norme, difficile en effet de savoir vers quelle innovation se tourner, notamment parce qu’un choix conscient implique de nombreux questionnements : répondre à un besoin versus limiter l’impact écologique, réduire le coût, maximiser l’utilisation, trouver un point de vente à proximité, etc. L’État est intervenu dans nos choix d’alimentation avec le Nutri-Score, pourquoi ne pas imaginer un modèle semblable pour les objets ou les services issus de l’innovation ? L’indice de réparabilité est un premier pas vers ce type de démarche.

Territoires de l’innovation

Par abus (ou imitation ?) de langage, on a longtemps mesuré l’innovation à travers des critères de performance et d’efficacité. Ceci est sans doute dû au fait qu’elle a longtemps été regardée à travers l’unique prisme du capitalisme. Dans ce cadre régi par une implacable exigence de rentabilité, l’innovation reste unidimensionnelle et technologique, ce qui ne permet pas de répondre de façon suffisamment créative aux problèmes rencontrés. Cette perspective a jusqu’alors empêché d’envisager une version élargie de la notion de rentabilité qui ne se résumerait pas à d’uniques critères financiers. Au point de se demander si l’on n’est pas longtemps passé à côté d’une vision claire de ce qu’est réellement l’innovation. 

Grâce aux ambitions de quelques acteurs, les citoyens réalisent qu’il est possible de prendre ses distances avec cette lecture de l’innovation, notamment en explorant de nouveaux critères : son impact social, son empreinte environnementale, sa durabilité, son éthique ou encore sa mission d’inclusion. 

Collectivement, nous sortirons de l’impasse créée par le couple innovation-technologie pour proposer une autre manière de vivre. À condition que chacun s’investisse dans cette nouvelle frontière : collectifs, États, consommateurs, élus, etc. Les innovations moins spectaculaires qui sont proposées par la low-tech, entre autres, n’effaceront ni les envies de consommer ni le désir de dépasser l’existant. En revanche, nos questionnements sur les besoins s’en verront changés, comme ils le sont aujourd’hui pour une partie d’entre nous. Dans cette optique, la low-tech pourrait bien devenir le triomphal symbole d’un « retour en avant ».  

Bertrand Launay

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