Il a travaillé au Ministère de l’Économie et dans une multinationale, le groupe Louis-Dreyfus, mais c’est en tant qu’entrepreneur que Jacques Veyrat est vraiment sorti de l’ombre. Fondateur d’Impala, l’homme d’affaires de 58 ans multiplie les opérations réussies (Neuf Cegetel, Direct Energie, Neoen, Lierac…). Quel est le secret du milliardaire français ?
C’est l’une des plus belles réussites entrepreneuriales de ces dix dernières années. Le parcours hors du commun d’un entrepreneur-investisseur aussi efficace que discret. Il n’est pas de ceux qui se pavanent en Une des magazines ou sur les réseaux sociaux. Jacques Veyrat avance ses pions méthodiquement et il peut aujourd’hui s’enorgueillir d’être à la tête d’un groupe puissant, le fonds d’investissement Impala (2 milliards d’euros de fonds propres) et diversifié, qui fait des envieux. En 10 ans, sa fortune a été multipliée par 10, passant de 200 millions d’euros à plus de 2,6 milliards, ce qui en fait aujourd’hui le 47ème homme le plus riche de France.
Au service de l’Etat
La réussite du milliardaire savoyard a d’abord été scolaire. Né à Chambéry, il est diplômé de Polytechnique en 1983 (il était dans la même promotion que Patrick Drahi) et de l’École des Ponts et Chaussées en 1988. Avant d’être un investisseur hors pair, Veyrat fut dans une autre vie un serviteur de l’État. Sa carrière dans la fonction publique a débuté en 1989. Le Savoyard intègre le Comité interministériel de restructuration industrielle, dépendant de Bercy. Deux ans plus tard, en pleine Guerre du Golfe, l’ingénieur X-Ponts devient secrétaire général adjoint chargé de l’Afrique, du Moyen-Orient, de l’Asie. Au début des années 90, il occupe même le poste de conseiller technique chargé des finances auprès du ministre de l’Équipement, des Transports et du Tourisme du gouvernement Balladur.
En 1995, il file dans le privé. Repéré par le groupe familial Louis-Dreyfus, spécialisé dans le négoce des matières premières et le transport, Veyrat monte les échelons. C’est au sein de cette entreprise tentaculaire que Jacques Veyrat va faire ses armes et se construire. Il fut tour à tour le bras droit de Robert Louis-Dreyfus, président et héritier de l’empire “LD” (33 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2021) fondé en 1851, durant plus de 15 ans, et directeur général. Le décès de Robert Louis-Dreyfus en 2009 change la donne. Deux ans plus tard, Veyrat quitte l’entreprise familiale sur fonds de désaccords avec Margarita Louis-Dreyfus, héritière de l’empire et veuve de Robert Louis-Dreyfus, pour voguer de ses propres ailes.
Veyrat a pris tout le monde de vitesse
Dirigeant de haut vol, Jacques Veyrat devient un entrepreneur et un investisseur. Il lance son holding d’investissement baptisée Impala, du nom de cette animal vivant en Afrique réputé pour ses bonds et sa pointe de vitesse. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Jacques Veyrat n’a pas traîné en route. L’homme d’affaires, qui voulait « devenir l’actionnaire de référence de plusieurs entreprises à forte croissance valant plus d’un milliard », a même pris tout le monde de vitesse. Son flair, son intuition, ses choix audacieux ont fait d’Impala une société d’investissement incontournable, possédant 2 milliards d’actifs nets.
C’est en se diversifiant qu’Impala a changé de dimension. Le fonds possède des participations dans de multiples secteurs : industrie (Technoplus Industries, SDMS), énergie (Neoen Castleton), identité et sécurité (Impala Technologies), gestion d’actifs (Eiffel Investment Group, Capital Development), marques (Augustinus Bader, Pull-in, Roger & Gallet). Cette diversification ne doit pas faire oublier que le cœur de cible d’Impala reste l’énergie et notamment le renouvelable.
Direct énergie et Neonen, deux coups de maître
L’un des secrets de Jacques Veyrat est sa capacité à miser sur des entreprises en devenir qui sont encore sous les radars. L’un de ses « coups » de maître est sans nul doute la revente des parts de Direct Energie à Total en 2018. Le milliardaire empoche 630 millions d’euros sur cette opération, soit plus de dix fois ce que son entrée au capital de l’énergéticien lui avait coûté (50 millions en 2011). Une culbute saluée par les milieux d’affaires et qui ont achevé de positionner Jacques Veyrat comme l’un des investisseurs les plus inspirés de la place parisienne. Ce statut sera confirmé par la brillante introduction en bourse du producteur d’énergies renouvelables Neoen, fondé au sein de Direct Energie.
Le pari Neoen, dans lequel Impala a investi 600 millions d’euros et que Veyrat a réorienté vers le solaire, fait d’ailleurs figure d’immense réussite. Le tycoon savoyard s’est même offert le luxe de refuser l’offre de 2 milliards proposée par Engie ! Résultat : le premier producteur indépendant français d’énergies renouvelables n’a cessé de grandir et a même officialisé en avril dernier une augmentation de capital de 600 millions d’euros. L’énergéticien, détenu à 47% par Impala, vaut actuellement autour de 4 milliards d’euros, mais la barrière des 10 milliards de valorisation devrait rapidement être atteinte. Il faut dire que Neoen fait les choses en grand : fin novembre, on apprenait que le producteur d’électricité s’alliait avec Tesla pour construire une batterie géante en Australie d’une capacité de 300 mégawatts. Impala rime milliards d’euros.
À la fin des années 90, Veyrat a eu l’intuition que le secteur des télécoms, sous monopole public, allait vivre une révolution. Il a donc décidé de créer au sein du groupe Louis-Dreyfus un concurrent à France Télécom. Un choix visionnaire. Impala a également investi dans les cosmétiques (Augustinus Bader, Pharma et Beauty, Roger & Gallet, Lierac, Phyto, Jowaé) et l’industrie (TechnoPlus Industries).
Une approche atypique et efficace
Celui qui préside le conseil d’administration de Fnac-Darty conseille également le fonds américain KKR, au sein duquel Xavier Niel a également ses entrées. Bref, Veyrat est un touche-à-tout qui multiplie les casquettes : entrepreneur, investisseur, président de conseil d’administration, conseiller… Mais loin de ralentir la marche en avant de ce stakhanoviste, cette diversité de tâches lui permet de dégoter des opportunités d’investissement pour Impala. Au début de son aventure entrepreneuriale, Veyrat ne pouvait compter que sur son flair.
Il a quitté le groupe Louis-Dreyfus avec des participations dans différentes sociétés, dont Direct Energie et Neoen, et 50 millions d’euros en poche. De quoi envisager la vie sereinement, mais insuffisant toutefois pour lutter à armes égales avec les fonds de private equity. Veyrat s’est donc adapté et a opté pour une stratégie astucieuse : délaisser la tech – un secteur vampirisé par les gros fonds et les family office -, miser sur des projets industriels ou des marques ayant une vision long terme, ne pas se focaliser sur les dividendes. Inutile de préciser que cette approche s’est révélée payante. Qui vivra verra…
Thibaut Veysset