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Jacques Veyrat (Impala) : « J’aime oser des choses jugées trop ambitieuses »


Agé de 55 ans, ce génie des Télécoms, diplômé de l’École Polytechnique et membre du Corps des Ponts et Chaussées, témoigne d’une fougue entrepreneuriale insatiable. Discret, Jacques Veyrat est pourtant présent dans tous les grands deals de l’Hexagone. Ancien président du groupe Louis Dreyfus, il crée Impala en 2011. La structure contrôle aujourd’hui une vingtaine de sociétés, notamment dans le domaine de l’énergie, et emploie plus de 6 000 personnes pour un chiffre d’affaires de 800 M€.

Entreprendre - Jacques Veyrat (Impala) : « J’aime oser des choses jugées trop ambitieuses »

Agé de 55 ans, ce génie des Télécoms, diplômé de l’École Polytechnique et membre du Corps des Ponts et Chaussées, témoigne d’une fougue entrepreneuriale insatiable. Discret, Jacques Veyrat est pourtant présent dans tous les grands deals de l’Hexagone. Ancien président du groupe Louis Dreyfus, il crée Impala en 2011. La structure contrôle aujourd’hui une vingtaine de sociétés, notamment dans le domaine de l’énergie, et emploie plus de 6 000 personnes pour un chiffre d’affaires de 800 M€.

Qui êtes-vous ?

Je suis un entrepreneur. J’ai créé un certain nombre d’entreprises dans ma vie. Je rachète également de jeunes pousses afin de les développer et je reprends des sociétés dans une configuration un peu difficile lorsque je pense pouvoir leur être utile et leur apporter des solutions.

Après l’épisode Neuf Cegetel et Louis-Dreyfus, j’ai volontairement choisi de me positionner comme un président et non comme un directeur général. Chacune des entreprises que j’anime est dotée d’un patron opérationnel. Comme je fais beaucoup de choses en même temps, je ne suis pas sur leur dos à longueur de journée. Cette distanciation délibérée par rapport à l’opérationnel donne un espace d’expression aux patrons opérationnels et leur permet d’être autonomes dans leur stratégie de développement.

Quelle est votre philosophie entrepreneuriale ?

La vitesse, la flexibilité et l’agilité sont des paradigmes essentiels. J’essaye d’être toujours très réactif sur les demandes qui me sont formulées. J’insuffle un rythme qui autorise que l’on puisse se tromper de temps en temps. On peut agir vite, continuer à avancer et corriger lorsque cela est nécessaire. L’erreur est ni grave, ni paralysante. Nous sommes le contraire d’une bureaucratie et le contre-exemple d’une entreprise engluée dans des cycles de décisions lents et pesants.

La confiance est également une valeur essentielle. Les personnes qui travaillent avec nous sont investis d’une mission dont elles ont réellement la responsabilité. Nous travaillons dans un environnement où il n’existe aucune forme de politique. La seule finalité est de faire avancer les choses. On se fait confiance les uns aux autres en excluant tout comportement de justification. Cette logique ne nous intéresse pas car nous sommes dans le même bateau et nous poursuivons un objectif commun.

L’audace me plaît, j’aime oser des choses qui sont jugées trop ambitieuses par d’autres. La difficulté et le danger ne me dissuadent pas, j’y trouve une motivation supplémentaire. Nous empruntons souvent entre nous l’expression « même pas peur » pour signifier notre volonté d’y aller. Peu importe les avis négatifs des autres, nous nous engageons lorsque nous y croyons. En France, mais c’est peut-être vrai dans d’autres pays, la prise de risque est souvent récompensée. J’ai observé beaucoup plus de succès que d’échecs à travers mes différentes aventures entrepreneuriales. Je suis convaincu que l’audace paie pour peu que l’on travaille sérieusement.

Quel fut le moment le plus marquant dans votre carrière ?

En 1998, lorsque nous avons commencé à construire un réseau de télécoms en partant de rien, sans argent, sans clients…

Nous avions pour projet de refaire le réseau. France Télécom facturait alors les opérateurs très chers pour utiliser ses tuyaux. Nous souhaitions construire nos propres tuyaux qui sont devenus ensuite l’ossature des réseaux de SFR, de Bouygues, et de Free…

Tout le monde s’est appuyé sur nous. Au début des années 2000, nous avions une centaine de clients et il existait un nombre beaucoup plus conséquent d’opérateurs qu’aujourd’hui. Nous avons tout reconstruit de zéro, munis d’une pelle et d’une pioche! Nous avons creusé des trous sur des dizaines de milliers de kilomètres en France. Le projet était juste fou lorsque l’on y réfléchit. La start-up s’est montée sans un sou en 1998 et dès la première année, nous avons investi 500 millions d’euros.

Nous embauchions toutes les personnes que nous croisions. Nos représentants sillonnaient la France au volant de leur voiture pour négocier des passages avec les agriculteurs afin de pouvoir traverser leur champ. Nous leur faisions un chèque et lorsque nous nous heurtions à un refus, nous contournions la difficulté. Notre équipe avait une mentalité très conquérante. Il existait une telle euphorie autour d’Internet que tout le monde souhaitait disposer très rapidement de son réseau.

Nous devions être très réactifs.

Cette expérience hors du commun et un peu insensée ne m’a pas laissé indifférent. C’est à partir de ce moment que je suis devenu audacieux. Comme toujours dans la vie, c’est le mouvement qui vous fait, on n’est pas forcement conditionné pour tel ou tel destin mais lorsque vous vous retrouvez à commander des troupes qui partent à l’assaut, vous évoluez nécessairement.

Qu’avez-vous retenu de votre passage en politique dans les cabinets (poste à la Direction du Trésor au Ministère des Finances de 1989 à 1993, puis au cabinet du Ministre de l’Équipement de 1993 à 1995) ?

À la direction du Trésor, les acteurs se sentent investis d’une mission d’intérêt général et sont conscients de leur devoir. Commencer ce métier jeune permet de prendre tout de suite une bonne hauteur de vue. Celui qui est à la direction Logement réfléchit à la politique du logement de la France et ses implications financières. Pour ma part, j’étais en charge de la dette des pays pauvres. J’avais le sentiment d’être utile bien que je ne sois pas nostalgique de cette période.

Votre expérience au sein du groupe Louis Dreyfus durant 16 années (de 1995 à 2011) fut-elle décisive dans votre carrière ?

Louis-Dreyfus est un groupe français avec une dimension internationale très marquée. Seuls 1 à 2% des effectifs sont en France. Evoluer dans ce contexte m’a appris à regarder ailleurs et partout. C’est également une entreprise de commerce avec un sens aigu du timing et des ordres de grandeur.

Se tromper d’une semaine est impensable car l’erreur se paie immédiatement. J’y ai donc appris le sens du rythme et de la justesse. L’audace et la prise de risque font également partie de la culture du groupe. Son cadre moins structuré qu’une entreprise traditionnelle correspondait à mon tempérament.

Vous êtes à la tête d’Impala, mais aussi au conseil d’administration Fnac-Darty entre autres. Comment jonglez-vous entre vos différentes casquettes ?

Je suis président et je n’ai donc pas de rôle opérationnel. Je dois me concentrer sur les sujets importants pour chaque société sans être en première ligne pour affronter les difficultés du quotidien. Je me suis imposé ce recul qui n’est pas naturel chez moi. Cette distanciation me permet de ne pas être systématiquement présent sur le terrain et de pouvoir m’absenter pour des déplacements dans différents pays.

Quelles sont les implications du partenariat avec KKR, quatrième fonds d’investissement mondial ?

Nous nous sommes rencontrés sur le dossier Morpho, l’ancienne pépite de biométrie de Safran. Nous avons apprécié de travailler ensemble et nous avons donc continué à étudier plusieurs autres opportunités, avant de formaliser définitivement notre relation.

Ce rapprochement va-t-il faire évoluer la typologie de vos « cibles » potentielles ?

Pas nécessairement. Je continuerai à regarder des dossiers pour Impala et je m’intéresserai à des dossiers d’une autre envergure pour KKR. Cette association constitue une force de frappe financière supplémentaire afin d’investir en « private equity », en dette et dans la tech.

Neoen, Direct Energie : quelles sont les ambitions d’Impala dans l’énergie ?

L’énergie est en quelque sorte la colonne vertébrale d’Impala. J’ai privilégié ce secteur car les transformations en cours sont aussi importantes que celles que j’ai connues dans les télécoms avec l’ouverture à la concurrence et l’arrivée d’Internet. L’énergie connaît, elle aussi, une ouverture à la concurrence et un changement radical de ses moyens de production. La nouvelle ère sera sans nul doute beaucoup plus axée sur le renouvelable.

Les grands opérateurs, notamment européens, sont tous des opérateurs historiques, issus du monopole dans chaque pays. L’électricité est moins chère et donc plus facile à commercialiser, ce qui permet à des acteurs de se faire une place dans un marché gigantesque. Nous connaissons un changement de paradigme. Ce sera long mais cela m’a paru au moins aussi attractif que les télécoms en 1997.

Comment sélectionnez-vous les sociétés ?

Même si la colonne vertébrale reste l’énergie (80%, NDLR), je porte de nouveaux projets plus petits. Nous possédons une vingtaine d’entreprises contrôlées par Impala qui se développent à leur rythme. Elles n’ont pas encore la taille critique mais je suis confiant dans le fait que certaines d’entre elles émergeront d’ici 2-3 ans.

On vous décrit souvent comme un adepte des situations complexes, est-ce une réalité ?

Je ne me mets pas en concurrence avec des fonds d’investissement qui réfléchissent sur la base des cash-flow, KPI, avec une structuration de dettes. Je privilégie les entreprises qui perdent de l’argent et qui n’ont pas la taille critique. Je me positionne là où l’argent abondant ne va pas. J’aime être dans une logique un peu contrariante. C’est une attitude qui nécessite effectivement de s’intéresser à des situations un peu plus complexes.

[FIN][FIN][FIN]Impala en bref :

Effectif : environ

6 000

collaborateurs

CA 2017 :

800 M€

(hors Direct Energie non consolidé)

300 M€

 d’investissements par an

550 M€

de fonds propres

Présent dans

30

pays

Localisation :

Paris

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