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Jean-Claude Lavorel, challenger de l’hôtellerie de prestige


À 75 ans, l’entrepreneur lyonnais de LVL a réussi sa deuxième vie dans le monde de l’hôtellerie haut de gamme. Avec ses 13 hôtels 4 et 5 étoiles et sa marque Kopster, Lavorel Hôtels devrait dépasser les 80 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023. Vous avez démarré de zéro...

Entreprendre - Jean-Claude Lavorel, challenger de l’hôtellerie de prestige

À 75 ans, l’entrepreneur lyonnais de LVL a réussi sa deuxième vie dans le monde de l’hôtellerie haut de gamme. Avec ses 13 hôtels 4 et 5 étoiles et sa marque Kopster, Lavorel Hôtels devrait dépasser les 80 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023.

Vous avez démarré de zéro ?

Jean-Claude Lavorel : Oui. À 22 ans, je me suis lancé sans argent, sans expérience, en écoutant les autres, avec l’envie d’être indépendant, de montrer ce dont j’étais capable par rapport au peu de connaissance que j’avais de l’entreprise. J’avais la volonté de me débrouiller seul, mais je n’avais pas de fonds propres, cela a duré deux ans dans le domaine du prêt à porter, cela fonctionnait bien, mais un problème d’impayé fut fatal. Je suis donc devenu salarié et j’ai occupé des tas de postes, jusqu’à ce que j’atterrisse dans le secteur de la santé.

À la quarantaine, vous devenez à nouveau entrepreneur. Était-ce le bon moment ? Et pourquoi le secteur médical ?

L’idée de monter une structure d’assistance à domicile avait commencé à germer. Depuis des années, j’acquérais des connaissances, je cherchais un créneau attrayant, novateur. J’étais plus mature, avec suffisamment d’expérience pour me dire que c’était maintenant ou jamais. À vrai dire, j’avais déjà fait une tentative six ans auparavant, mais cela s’était soldé par un échec relationnel pourrait-on dire, car je me suis fait « piquer » mon idée.

À partir de là, j’ai voulu me lancer en solo. Plusieurs paramètres m’ont conduit à choisir le médical. En premier lieu, les prestations allaient être autorisées et tarifées pour le privé, il n’y avait plus d’exclusivité pour le public et l’associatif. En second lieu, j’ai subi un grave accident de voiture à 18 ans qui a conduit à des opérations chirurgicales et plusieurs semaines en milieu hospitalier. Lorsque je suis rentré chez mes parents, je me suis senti mieux, j’étais dans mon ambiance, ma mère me faisait des petits plats, des amis venaient me voir… Chez moi, je suis sorti de la peau du malade. Je savais donc qu’il y avait beaucoup à faire pour les traitements à domicile.

Ce sont les deux raisons essentielles avec la troisième, l’envie de me lancer. Dans les années 90, des opportunités sont apparues pour LVL Médical que j’avais créé en région dans un premier temps, comme la possibilité de pratiquer des perfusions, de nouvelles activités se sont ouvertes permettant la prise en charge de plus de patients avec des interventions plus pointues, plus techniques et un personnel plus compétent. LVL Médical s’est développé sur ce créneau en connaissant quelques aléas bien entendu.

Et la croissance externe ?

Il y a eu le rachat d’une société en Allemagne, qui a connu une forte croissance, avec quelques 5000 salariés. En France, nous avions 1000 personnes, mais pas exactement sur le même métier. Le fait d’entrer en bourse en 1996 nous a poussé à aller de l’avant, à faire de la croissance externe. Nous avons racheté une structure en Grande Bretagne. Évidemment, tout s’est peu à peu complexifié. Le début des années 2000 a été difficile, avec 47 agences en France dans un secteur qui n’est pas exempt de risque. Le groupe Air Liquide nous courtisait, j’ai finalement cédé à leurs avances en 2012 en gardant l’Allemagne jusqu’en 2015 avant de partir définitivement. À ce moment-là j’avais déjà fait l’acquisition des établissements de Courchevel et de Bagnols, je me suis dit que j’allais m’en occuper, mais finalement j’ai continué à travailler et à construire un nouveau pôle.

Quel type de dirigeant êtes-vous ?

Un manager doit aimer ses équipes, c’est impératif. Avoir de l’empathie et du respect. Je suis plutôt dans l’accompagnement. En avançant en âge, on cherche à faire en sorte que les plus jeunes trouvent les bonnes clés. Je n’hésite pas à féliciter lorsque cela est nécessaire. Quand j’étais salarié, j’ai vu certains dirigeants démolir les équipes, les démoraliser alors qu’elles devaient repartir sur le terrain. Chacun a besoin de reconnaissance à un moment donné.

Il est important d’encourager régulièrement, si ce n’est en permanence. Il y a un an, nous avons fourni un questionnaire au personnel des hôtels afin qu’ils s’expriment sur ce qui pouvait leur poser problème, par ordre d’importance. Nous avons vu que le premier critère restait la volonté d’avoir plus de salaire. Ensuite, le problème du travail le samedi et dimanche était évoqué, ainsi que les coupures entre deux services pendant lesquelles ils n’avaient pas le temps de rentrer chez eux. J’ai donc pris la décision de mettre en place des primes de samedi, de dimanche et de coupure. Nos salariés sont mieux rémunérés que la moyenne du secteur. Autre élément qui est apparu : le besoin de temps de pause. Nous avons mis en place dans les hôtels qui travaillent à l’année des massages, de la réflexologie plantaire, sur le temps de travail. Enfin, pour répondre au besoin de se retrouver qui était exprimé, nous avons prévu un budget pour le team building et pour deux grosses fêtes annuelles par région, très conviviales auxquelles je participe.

Comment en êtes-vous venu à l’hôtellerie ?

Pour le premier hôtel, j’avais acheté un chalet à Courchevel dans lequel j’avais fait de gros travaux. L’année suivante, un agent immobilier est venu me demander de le vendre à un de ses clients en affirmant que je ne pouvais refuser au prix proposé. Ce qui était vrai. J’ai accepté à condition qu’il me trouve quelque chose de mieux. Il m’a trouvé un hôtel! Je n’étais pas intéressé, mais finalement je suis tombé sous le charme. Ce n’était donc pas du tout stratégique, un coup de cœur, sans vision sur d’autres rachats. Mais finalement, je me suis rendu compte que le métier de l’hôtellerie n’était pas si éloigné de mon activité, le service à la personne. Le grand principe est identique : au lieu de se mettre à la place du patient, il faut ici se mettre à la place du client. Car c’est bien grâce à eux que nous gagnons tous notre vie.

Lavorel Hôtels est présent sur les segments luxe-loisir et business. Pourquoi avoir créé cette marque Kopster?

Kopster est une marque créée de toutes pièces, pour des hôtels un peu décalés, à la décoration chaleureuse, avec un papier peint reconnaissable par son animal, la girafe ou le zèbre… Ce sera le singe pour le prochain établissement. Nous sommes entrés dans une époque où chacun veut se sentir dans un environnement chaleureux et décontracté, pas trop guindé, sans rien d’ostentatoire et à des prix raisonnables. Il y a de la convivialité dans la décoration comme dans l’attitude des salariés chez Kopster. Nous allons de record en record sur l’établissement parisien. Les gens apprécient le cadre, le bar et le restaurant en rooftop. Colombes n’est pas très loin de la Défense, d’Arena, du stade de France, même pour visiter Paris, les touristes y viennent. Sur ce pôle business, nous avions déjà le Marriott, dont nous n’avons pas pu changer le nom.

Nous avons aussi des hôtels mixtes, comme à Chantilly, où nous organisons d’énormes événements, de très gros séminaires, de grandes maisons la semaine.Et le week-end, l’aspect loisirs prend le dessus. Grâce à plusieurs bâtiments répartis dans le parc, nous permettons aux Parisiens de se mettre au vert en se promenant, en faisant du VTT, en allant à l’hippodrome. Cette double activité fait que nous l’avons appelé le Grand Pavillon Chantilly, et non pas Kopster.

L’avenir n’est plus dans le luxe à tout prix ?

Il y a toujours des étrangers au pouvoir d’achat élevé qui sont prêts à payer très cher pour avoir un service total, c’est le créneau de Courchevel, avec plus de 90% de clientèle étrangère. Dans le pôle business, l’hôtellerie devient moins traditionnelle, les clients préfèrent se mettre dans un lounge, parler avec d’autres personnes. Je crois beaucoup au contact humain, la présence de salariés reste donc indispensable. Évidemment, on peut robotiser, automatiser, c’est facile et moins onéreux, mais ce n’est pas notre créneau. Où que j’aille, j’aime voir les personnes sympathiques de l’accueil et non pas des robots qui me donnent un badge. Ma vie, c’est être avec des gens, plaisanter, et m’amuser tout en travaillant.

Pourquoi avoir investi dans la navigation fluviale à Lyon ?

À vrai dire, nous étions leur principal client, car ces bateaux proposent des activités en soirée après les séminaires pour se distraire. C’est une activité complémentaire, qui reste dans le métier, avec des cuisines à bord pour les banquets, séminaires, des promenades individuelles avec de très bons repas préparés sur place, et des soirées pour les plus jeunes. Nous avons 2 Hermès, 1 Saint Exupéry (sans cuisine, mais avec chambres froides pour une activité traiteur), 2 bateaux de promenade à propulsion électriques (pour des balades, avec guides, des sorties scolaires) qui naviguent plutôt sur la Saône. C’est une activité assez lucrative.

L’acquisition du Château des Ravatys, en Beaujolais, présage-t-elle d’autres investissements viticoles ?

Pas forcément, cela faisait une bonne dizaine d’années que je visitais de nombreux domaines partout en France, une bonne quinzaine, sans avoir le déclic. Et là, le coup de foudre ! Pour ce beau château des Ravatys, l’orangerie magnifique, les séquoias et cèdres du parc, les vignes. J’ai dégusté le vin, et j’ai voulu ce domaine, pas un autre. Je suis très heureux de cette acquisition, le vin est très apprécié (16/20 chez Nicolas, présent chez Bocuse, Lavorel évidemment, dans les brasseries de Gérard Bertrand, un peu à l’étranger). Cela se passe très bien, avec une trentaine de mariages annuels, des séminaires, etc. Mais il ne s’agit pas du début de quelque chose, plutôt d’un aboutissement. J’ai toujours fantasmé sur le fait de faire son vin à partir de la terre, les raisins, les bouteilles, le vin, c’est magique. C’est ce que doivent ressentir les agriculteurs, je suppose. J’adore aller voir ces vignes. Il s’agit d’un bien patrimonial, dont les finances sont à l’équilibre, ce n’est pas là que l’on peut gagner beaucoup d’argent.

Les projets du groupe pour les prochaines années ?

Nous ouvrons un Kopster en octobre porte de Versailles, à Paris. Étant donné le succès du concept, l’idée est de dupliquer le concept en louant les murs au lieu de les acheter, ou/et en affiliation. Mon ambition par rapport à la stratégie est d’avoir un hôtel dans le sud qui fonctionne bien toute l’année, comme à Cannes par exemple pour allier tourisme et business.

La retraite n’est décidément pas pour vous ?

Ma forme est bonne, et l’on ne peut pas être entrepreneur si l’on n’est pas passionné par ce que l’on fait. Ce n’est pas pour manger, pour amasser plus d’argent, ma passion est le travail. Sans oublier que je ne suis pas sur la route ou les chantiers, mon travail n’est pas éprouvant physiquement, je peux donc poursuivre.

Quel est votre établissement préféré ?

J’en ai deux, le château de Bagnols (dans la région des Pierres Dorées, en Beaujolais), car ce bâtiment du XIIIe siècle en pierre dorée est magnifique, par son environnement, sa vue, l’expérience à y vivre, et le Chabichou, car il est l’établissement mythique de Courchevel. Ce n’est pas un hôtel parmi d’autres, avec son blanc immaculé, il est très beau et il a une âme. C’est ce que je préfère. n

Propos recueillis par Anne Florin

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