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Jean-Philippe Delsol (IREF) : « Les brevets ne sont pas des biens publics »


Remettre en question la propriété sur quelques biens qu'il s'agisse est généralement le meilleur moyen d’en créer la pénurie. Le communisme l’a démontré partout et encore aujourd’hui à Cuba comme en Corée du Nord.

Par Jean-Philippe Delsol, président de l’institut de recherches économiques et fiscales (IREF)

Tribune. Remettre en question la propriété sur quelques biens qu’il s’agisse est généralement le meilleur moyen d’en créer la pénurie. Le communisme l’a démontré partout et encore aujourd’hui à Cuba comme en Corée du Nord.

Dans un ouvrage fort bien documenté et argumenté (Analyse Economique du droit, aux éditions Dalloz, avril 2021), Ejan Mackaay et trois de ses collègues universitaires canadiens, recensent de nombreuse études réalisées sur les effets de la protection de la propriété intellectuelle. L’institution ou la généralisation des brevets n’a peut-être pas été un facteur déterminant de la révolution industrielle, mais elles y ont sans doute contribué. Il y a une certaine « concurrence innovatrice provoquée par l’appât du brevet à obtenir ».

De l’utilité de la propriété intellectuelle

Le rôle stimulateur du brevet paraît particulièrement important dans les industrie pharmaceutiques et chimiques. Mais la protection peut favoriser la créativité dans tous les domaines. Au début du XIXème siècle « dans les Etats ayant accordé le droit d’auteur (Venise et Lombardie), 2,2 fois plus d’opéras furent créés par an que dans les Etats sans droit d’auteur ». Au demeurant, dans certains cas le brevet peut bloquer la chaine de création et le développement technologique : James Watt, l’inventeur du moteur à vapeur a utilisé son brevet pour empêcher le développement de moteurs plus performants raconte Ejan Mackaay. Il en fut de même d’Alexander Graham Bell au début de la téléphonie. Mais à défaut de protection de la propriété intellectuelle, l’innovateur peut garder secrète sa découverte, ce qui peut être plus dommageable encore.

Il faut donc parvenir à instaurer un juste équilibre, sans cesse améliorable, entre trop et trop peu de protection. C’est l’objet de la limitation de la protection dans le temps : 20 ans pour les brevets, 18 ans pour les obtentions végétales, généralement 70 ans après la n de vie de l’auteur pour les droits d’auteur, souvent limitée à 10 ans renouvelable pour les marques. En outre, traditionnellement sont exclus de la brevetabilité les découvertes, les théories scientifiques et les méthodes mathématiques de même que les plans, principes et méthodes dans certains domaines (jeux, informatiques…). Des exclusions sont autorisée pour protéger l’ordre public, la moralité, la santé ou la vie ou même pour éviter de graves atteintes à l’environnement.

Faut-il aller plus loin ?

L’Accord ADPIC conclu à Marrakech en 1994 prévoit des “autres utilisations sans autorisation du détenteur du droit”. Il s’agit de la possibilité, pour chaque pays, notamment dans les “situations d’urgence nationale”, d’instituer des licences obligatoires ou de permettre l’utilisation d’un brevet par les pouvoirs publics sans l’autorisation de son titulaire moyennant un certain nombre de conditions. En particulier, la personne ou la société qui demande une licence doit avoir au préalable tenté sans succès d’obtenir du détenteur du droit une licence volontaire à des conditions commerciales raisonnables. Ces dispositions ont alimenté la revendication tendant à qualifier les brevets sur les vaccins de bien publics.

Pourtant, ils ne répondent pas aux critères habituels des biens publics, comme la défense nationale par exemple, selon lesquels les biens publics sont les biens qui peuvent bénéficier à tous sans conditions et sans que le bénéfice qu’en tire l’un puisse nuire à celui qu’en reçoivent les autres. Mais par idéologie ou par habitude certains services sont classés comme biens publics alors qu’ils pourraient être rendus par des entreprises privées et généralement dans un meilleur rapport qualité/prix : la poste, les assurances sociales… Pourquoi ne pas s’assurer pour la maladie ou la vieillesse comme on le fait pour sa voiture ? D’ailleurs, heureusement qu’il y a eu des laboratoires privés pour relever le dé de la création de vaccins, de leur production et leur distribution dans des temps records.

La propriété intellectuelle n’est qu’un variant de la propriété

Une licence obligatoire de ces vaccins n’en favoriserait sans doute pas la production qui exige une chaine d’approvisionnement complexe et des conditions de fabrication et de distribution qui le sont tout autant. Au contraire, la remise en cause de la propriété des brevets risquerait de détourner de la recherche des entreprises inquiètent de ne plus pouvoir bénéficier des fruits de leurs efforts. La propriété intellectuelle n’est qu’un variant de la propriété. La remettre en cause, c’est ouvrir la voie à une contestation de toute propriété privée car là où il n’y plus de bornes, il n’y a plus de limites. La propriété n’est pas efficace par hasard ou par intérêt, elle l’est parce qu’elle est naturelle à l’homme et lui permet son accomplissement.

La propriété intellectuelle est d’autant moins contestable qu’elle n’est pas obligatoire. Chaque auteur peut librement mettre sa création dans le domaine public. Laissons donc à chacun le soin de décider s’il souhaite ou non protéger sa propriété et comment. Cette liberté contribuera également à dynamiser la recherche et à favoriser la santé publique et le développement humain et économique.

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