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Jean-Pierre Bansard, itinéraire d’un entrepreneur de génie

Les incroyables conseils de Jean-Pierre Bansard, le petit gars d’Oran devenu 150e fortune de France.

Jean-Pierre Bansard et Évelyne Renaud-Garabedian

Il s’est lancé de zéro. Avec la Foncière Mozart, son patrimoine est estimé aujourd’hui à 900 millions d’euros.

Si les conseilleurs ne sont pas les payeurs, Jean-Pierre Bansard est tout sauf un inconséquent. Ses conseils simples et directs valent toutes les recommandations du monde. Et puis, quel parcours d’exception pour ce créateur accompli, même si à l’occasion de sa disparition, intervenue le 16 août dernier, on ne peut que regretter que les médias n’évoquent principalement que sa carrière politique effectuée sur le tard en tant que sénateur des Français de l’étranger, alors qu’il est d’abord et avant tout un homme d’affaires d’exception.

Si l’enthousiasme fait bien partie de la panoplie de l’entrepreneur à succès, alors Jean-Pierre doit être placé au premier rang. Disparu à l’âge de 84 ans le 16 août 2024, deux jours avant Alain Delon, ce boulimique de la vie avait la passion des projets bien chevillée au corps. Je le revois encore dans ses bureaux près des Champs-Élysées, il y a à peine trois ans, nous interroger, Georges Ghosn et moi, sur notre relance du magazine VSD. Il n’était pas loin d’être convaincu. C’était sa spécialité, l’art de s’engager et d’entreprendre. Oui, mais toujours en équipe et en ayant pris grand soin de consulter certains amis. « Le réseau, c’est fondamental ! » avait-il martelé dans l’une des dernières vidéos diffusées sur EntreprendreTV. Poursuivant : « Les chefs d’entreprises qui ont réussi ont le défaut ensuite de trop vouloir s’isoler ou se protéger. Il faut toujours continuer d’entretenir ses relations même quand on est arrivé », avait-il conclu.

Le conseil valait aussi pour lui. Je me souviens avoir voulu lui présenter un jour le fantastique PDG de Thomson Computing (Metavisio), Stéphan Français, associé de Teddy Riner, l’homme qui a relancé le PC made in France. La première chose qu’il a faite est d’appeler devant moi un ami, l’ancien patron de Hewlett-Packard, pour savoir ce qu’il en pensait.

Self-made man authentique, issu d’une famille de pieds-noirs débarquée en France en 1962 à l’âge de 22 ans, très vite, il comprend que la seule manière de s’en sortir est de se lancer dans les affaires. C’est ce qu’il fera avec une première société de transit international, installée opportunément à côté de l’aéroport d’Orly qui vient de s’ouvrir. Ensuite, Jean-Pierre Bansard eut la bonne idée, dans les années 80, de s’associer avec Christian Liagre, un surdiplômé avec qui il formera l’un des rares duos réussis du monde des affaires et présenté comme tel par de nombreux médias. Leur groupe, Cible, au nom prémonitoire, grossit à vue d’œil à coups de multiples rachats d’entreprises en difficulté, un peu comme le faisait à l’époque aussi Bernard Tapie. Après le rachat de chaînes de magasins et d’entrepôts, Bansard reprend en 1986 le fameux restaurant Drouant du prix Goncourt et l’immeuble qui l’abrite. En 1989, il s’offre une partie du marché aux Puces de Saint-Ouen avec le marché Paul-Bert et aussi le marché Serpette, surfaces qu’il revendra en 2000. Ce qui lui permettra de réinvestir dans l’hôtellerie avec l’InterContinental, construit avenue Marceau à Paris à la place de la célèbre salle Empire, avant d’ouvrir Le Placide à Saint-Germain-des-Prés ou Le Colette à Cannes.

Enthousiasme permanent, cet homme affable et généreux était curieux de tout. L’une des dernières fois que je l’ai vu, c’était au Georges V, il y a 4 ans. Il avait beau faire partie des plus grandes fortunes de France, il continuait, inlassable tel un débutant en mal de réussite, à se passionner pour tous les projets. Revenant de Corse (Calvi) et de Saint-Tropez, il me raconte s’intéresser au lancement d’une chaîne de foodtrucks de poulets-frites de qualité pour tout le pays. Pourquoi pas d’ailleurs ? Il n’y a pas que KFC dans la vie ! Qu’attend le groupe Doux (Le Gaulois) pour reprendre l’idée ?

Un jour, bloqué dans un embouteillage sur les Champs-Élysées avec sa fidèle bras droit, Évelyne Renaud, il voit un Solex se faufiler au travers des voitures. Coup de foudre : « Évelyne, notez, Solex reste une marque française mythique et il est absolument anormal qu’elle ait disparu. Je veux savoir qui la détient… »

Un peu plus tard, en 2004, il rachetait la marque qui dormait dans les tiroirs d’un grand groupe italien, Magnetti Marelli (FIAT), qui la laissait croupir, quel gâchis, malgré son succès passé. Bansard mit le pied à cette occasion à un jeune entrepreneur, un certain Gregory Trebaol, que les lecteurs d’Entreprendre connaissent bien, et qui vole aujourd’hui de ses propres ailes avec son groupe Rebirth (Matra, Solex, Lejeune…).

Dans les années 90, Bansard fut également le premier à se lancer dans la grande distribution de produits démarqués ou de déstockage avec sa fameuse enseigne Usine Center ; l’ancêtre des magasins d’usine, succès d’aujourd’hui devenus Gifi, Noz ou Centrakor. On lui doit aussi « Vitrine de France ». Une formidable idée qui visait à faire de l’aéroport de Roissy le plus beau centre d’exposition permanent du made in France pour les visiteurs étrangers. Une idée prémonitoire lancée sans doute trop tôt et pas assez soutenue par les pouvoirs publics de l’époque. Un concept d’avant-garde qu’il présentera en avant-première en couverture du magazine Entreprendre, et qui devrait être repris aujourd’hui par les équipes de Business France et de son dynamique président Laurent Saint-Martin.

Comme beaucoup d’autodidactes, Jean-Pierre était sensible à la reconnaissance médiatique. Il investit même dans des journaux tels Dépêche Mode ou le journal Le Sport, dans sa version quotidienne créée par Xavier Couture et René Tézé, avant d’être relancée par votre serviteur en magazine.

Peu de projets ne le laissaient indifférent. Avant de recruter un cadre, il me racontait l’inviter à passer un week-end avec son épouse dans son manoir normand près de Deauville sur la côte fleurie : « En deux jours, tu vois tout, et surtout tu sais à qui tu as affaire ! » Encore l’importance donnée à l’humain chez cet homme volubile et sensible qui, dans les années 2000, avait fait du Palace du Crillon, place de la Concorde, sa cantine quotidienne. Chaque matin, il y recevait dans ce cadre fastueux tout ce que Paris comptait de personnalités politiques ou utiles au business. Un véritable défilé : « Le réseau, Robert, il faut toujours échanger et confronter. »

Ses conseils valaient d’or. Pas de verbiage et de grandes théories, mais du bon sens. Et s’il n’y croyait pas, il ne se privait pas de vous le dire. C’est ce qu’on attend d’un ami. Quand j’ai voulu lancer Le Quotidien des Entreprises pour concurrencer Les Échos sur les PME, il m’a averti que ce serait très coûteux. Avec le recul, c’est lui qui avait raison. Sur la relance de VSD, il était assez sceptique compte tenu des charges rédactionnelles et surtout du montant du passif à rembourser. Il voulait en parler à son ami Thierry Dassault, voisin au Pays d’Auge, mais j’étais encore en bisbille avec Le Figaro à propos de Journal de France. On est vite passé à autre chose. On devait se revoir.

Et puis il y eut ces ennuis de santé. Même si jamais il n’en parlait ou ne s’en plaignait. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas non plus beaucoup dû endurer. Jean-Pierre sait d’où il vient. Tous ceux qui l’ont côtoyé ne peuvent pas l’oublier.

« Rien de grand ne se fait sans enthousiasme ! » Jean-Jacques Rousseau

Robert Lafont


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