L’accès aux escales parisiennes de plus en plus demandé
Sur ce marché, qui draine plusieurs centaines de milliers de clients par an, un nom sort du lot : la Compagnie des Batobus, filiale du mastodonte des services aux entreprises Sodexo. Le groupe bénéficie aujourd’hui de l’exclusivité pour l’accès aux précieuses escales de la Seine, permettant de faire monter ou descendre les voyageurs. D’autres compagnies, comme les Bateaux-Mouches, les Bateaux Parisiens, Yacht de Paris, Vedettes de Paris ou encore la Compagnie des bateaux à roue, bénéficient quant à elles de conventions de longue durée.
Les nouveaux entrants qui souhaitent avoir accès aux escales doivent obtenir une autorisation auprès d’Haropa Port, l’entité administrative dépendante du ministère des Transports et de la Transition écologique, dont le président du directoire, Stéphane Raison, est nommé par le gouvernement. Une convention lie d’ailleurs Haropa Port à la compagnie des Batobus et lui confère une exclusivité de 21 ans sur le marché. Elle prévoit également que Batobus puisse donner son accord pour tout nouvel entrant. Autrement dit, le parcours administratif est complexe pour les rares candidats qui osent s’aventurer sur le marché.
Haropa Port critiqué
Certains y voient même une « chasse gardée » des transporteurs historiques pour se prémunir de toute concurrence nouvelle. Dans le passé, Haropa Port avait en effet fait l’objet de critiques, notamment de la Cour des Comptes, qui affirmait en 2016 « que sa gouvernance, caractérisée par un conseil d’administration nombreux et des risques de conflits d’intérêts, doit être réformée ». En cause ? Plusieurs cadres dirigeants du secteur des transports fluviaux parisiens sont également actifs au sein d’Haropa Port, notamment auprès du Conseil de développement territorial de l’entité, « chargé, auprès des directeurs généraux délégués des directions territoriales du Grand port fluvio-maritime de l’axe Seine, de représenter les intérêts locaux et de les porter auprès des conseils de surveillance et d’orientation ».
Parmi eux, Arnaud Daniel, directeur général de la compagnie des Batobus, aussi à la tête de Yacht de Paris et Bateaux Parisiens et trésorier d’Entreprises fluviales de France. D’autres personnalités sont actives au sein du Conseil d’orientation d’Haropa Port, comme Olivier Jamey, président de la communauté portuaire de Paris, à la tête d’entreprises de transport fluvial et de construction de bateaux. Ce dernier est par ailleurs le co-fondateur d’InfluenSeine, à l’origine d’une croisière entre happy few du secteur qui devrait recevoir à la fin du mois de novembre la visite de la maire de Paris, Anne Hidalgo, et de l’ancien Premier ministre et maire du Havre, Edouard Philippe. L’occasion, pour cet homme influent, de séduire mais aussi de livrer ses « conseils et recommandations » à l’usage des décideurs présents. On trouve également, dans le Conseil d’orientation d’Haropa Port, des représentants de l’État, dont le préfet de Région, Marc Guillaume, des représentants du monde économique et des élus, comme Pierre Radaban, adjoint à la maire de Paris, en charge du Sport, des Jeux Olympiques et Paralympiques et de la Seine.
Paris a déjà fait l’expérience avortée d’une tentative d’entrée sur le marché du transport fluvial de particuliers. En 2011, Voguéo prévoyait des navettes pour voyageurs. À l’époque, trois compétiteurs avaient répondu à l’appel d’offres de l’ancêtre d’Île-de-France Mobilités (IDFM) : Véolia transport avec Vedette de Paris, la Compagnie des Bateaux-Mouches et Batobus. Dans la dernière ligne droite, les deux premiers avaient retiré leur candidature, laissant Batobus seul en lice, dont l’offre était pourtant trois fois supérieure au prix fixé par IDFM. Les élus avaient alors préféré rendre la consultation infructueuse.
Un nouvel entrant a saisi le tribunal administratif
Parmi les nouveaux venus, RiverCat souhaite lancer un service de transport fluvial de voyageurs pour les Jeux Olympiques qui aspire à relier, dès le mois d’avril, Issy-les-Moulineaux dans les Hauts-de-Seine, à Alfortville, dans le Val-de-Marne, avec des arrêts à Beaugrenelle, aux Invalides, au Louvre et à la Bibliothèque nationale de France. Lui manquent encore les autorisations d’accoster aux précieuses escales, contre paiement de redevance. La société, qui revendique l’appui du Conseil régional d’Ile-de-France, d’Ile-de-France Mobilités et de la Métropole de Paris, avait remporté un appel à projets, en décembre 2022, organisé par l’Agence de l’innovation pour les transports et Voies navigables de France dans la catégorie « démonstrateurs de bateaux autonomes décarbonés ». Mais, faute d’accord avec Haropa Port pour faire accoster ses navettes à des pontons, le projet est actuellement au point mort, et risque de ne pas voir le jour avant les Jeux Olympiques.
La start-up a saisi le tribunal administratif. Suffisant pour offrir de nouvelles navettes fluviales aux Parisiens et aux touristes avant l’été ? Dans le bras de fer qui l’oppose à l’établissement public, RiverCat peut en tout cas se targuer de l’appui du président de la Métropole Patrick Ollier et d’une quarantaine d’élus franciliens de tous bords politiques, qui ont apporté leur soutien à ce projet de navette fluviale en interpellant le ministre des Transports, Clément Beaune. Le ministre, qui a des ambitions pour les prochaines municipales à Paris, va-t-il revêtir les habits d’arbitre et imposer son autorité pour une indispensable impartialité d’Haropa Port dont il a la tutelle ?