Didier Pitelet, Président Fondateur de La Maison-Henoch Consulting.
Tribune. Le monde du travail et la société civile dans son ensemble ont en commun d’accepter le fatalisme de violences du quotidien ; des incivilités de la rue au burnout « feutré » du bureau, du SDF dont on détourne le regard au cadre placardisé qu’on finit par oublier, tout concourt à ce sentiment de défiance et de mal-être qui caractérise la France depuis plus de 25 ans.
Et pourtant, des associations et des femmes et hommes de bonne volonté œuvrent au quotidien pour lutter contre et leur travail doit bien évidemment être salué, tant il est utile. Mais force est de constater que l’on banalise cette déshumanisation avec fatalisme en acceptant les petits compromis qui donnent bonne conscience.
En parallèle de notions, toutes plus intéressantes les unes que les autres, comme « Raison d’être », « entreprise à mission », QVT (Qualité de vie au travail), RSE (Responsabilité sociale et environnementale), « Marque Employeur », ce sont développés des comportements nouveaux de rejet de l’entreprise classique sur fond de quête de sens.
Le repli sur soi, sur son identité, sur son petit bonheur sont autant de signaux de la déliquescence du lien social.
Au-delà du constat, il est important de souligner, à quel point, l’entreprise ne peut plus vivre en dehors de la vraie vie au moment où le monde du travail est secoué par un big bang sans précèdent. L’agressivité ambiante de la société civile pénètre progressivement le monde professionnel qui, jusque-là, se posait comme ultime rempart structuré et structurant de la société où les notions de transmission et de hiérarchie faisaient référence.
La suppression du temps long a débouché sur des comportement jusqu’au-boutistes souvent détestables : un manager qui hurle sur ses équipes, est-ce normal ? Un autre, par allégeance à la direction, se fourvoie dans la lâcheté, est-ce normal ? Un collaborateur victime d’harcèlement qui se soumet à ses agresseurs, est-ce normal ? Un autre qui arrive au bureau avec une boule au ventre, est-ce normal ? ou encore qui pleure en cachette, est-ce normal ?
Ces situations, qui relèvent toutes de l’accompagnement psychologique, sont devenues banales car fréquentes même si, tout est fait pour les occulter.
La dignité humaine, mise à mal par l’époque et les réseaux sociaux, l’est de plus en plus en entreprise ! Tous ces Talents qui marchent à côté de leur vie sont au bord de l’implosion.
L’entreprise ne doit pas oublier qu’elle n’est que locataire du talent de ses équipes et non propriétaire ; elle n’a aucun droit sur la vraie vie des personnes mais des devoirs.
Croire que l’entreprise idéale existe revient à se fourvoyer dans un déni condamnable et ce, même si on s’appuie sur une politique RSE/QVT solide.
Face à cette banalisation de la déshumanisation, ce qui est en jeu, c’est l’authenticité même des Dirigeants et des organisations.
La première forme de déshumanisation est directement liée à la couardise de certains dirigeants, drapés dans la vertu des bons sentiments que confèrerait leur statut ; la seconde est la désincarnation des organisations gérées en système : toute situation, tout humain, est une donnée qui est paramétrée selon des critères abscons qui déresponsabilisent l’ensemble des acteurs. La logique kafkaïenne est un « pousse au drame » ; la troisième est l’hyper-financiarisation qui relègue toujours l’ambition humaine au second plan au grand dam des DRH.
Les générations Z et Alpha sauront elles inventer de nouveaux modes de fonctionnement garants de l’intégrité physique et mentale des personnes ?
Sur le plan individuel, assurément, lorsque l’on constate le nombre d’auto-entrepreneur de moins de 30 ans ou encore « le phénomène d’entreprise buissonnière » détaillé dans « La Révolution du Non » (Eyrolles). Sur le plan collectif, rien n’est gagné.
Le travail n’étant plus une fin en soi mais un accessoire de vie dans la plupart des pays occidentaux, les petits compromis avec la morale risquent de se développer.
Dans un monde éclaté où la valeur travail se mesure de plus en plus en temps économisé/gagné pour vivre mieux, la vision collective de l’entreprise est à réenchanter pour la muer en communauté connectée, respectueuses non plus uniquement des personnes mais aussi des usages.
L’immense majorité des Dirigeants en poste n’est ni préparée, ni motivée pour assumer cette transformation de l’objet social de l’entreprise.
L’ego et le statut restent encore des piliers de l’état d’esprit des Dirigeants Salariés. Sans changement de paradigme, l’entreprise va dans le mur.
Mais l’espoir viendra pourtant de l’éveil des consciences, tant sur le plan environnemental que sociétale, au nom d’un Bon Sens qui se dressera en miroir de ces dérives.
Le Bon Sens humain est en marche en nous rappelant que ce n’est, ni la taille, ni la puissance qui font une bonne entreprise mais bien sa capacité à générer des vies pleines et utiles à leurs équipes.
L’Humain est la nouvelle conquête de l’entreprise ! Celles et ceux qui ne l’ont pas encore intégré sont voués à disparaître.
Didier Pitelet
Président Fondateur de La Maison-Henoch Consulting.