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La boîte à lettres française, la nouvelle frontière de Jeff Bezos ?


La « boîte » qui permet de recevoir du courrier ou des colis chez soi serait-elle anecdotique ? Avec l’avènement des mails, des réseaux sociaux, elle finirait par gêner. Si nos besoins ont changé, n’est-elle pourtant pas à l’instar de la fibre dans nos habitations, un accès magique reliant le digital et un monde bien tangible ? N’est-elle pas stratégique pour tous les acteurs du commerce ?

Entreprendre - La boîte à lettres française, la nouvelle frontière de Jeff Bezos ?

Par Adrien OKSMAN, cofondateur de BOKS

Les premières boîtes étaient publiques et seraient apparues dans les républiques italiennes du 14ème siècle pour y glisser des lettres de dénonciation. Un moyen permettant d’envoyer des missives aux particuliers serait né au 17ème siècle à Paris. Il passera plus tard sous l’autorité du roi, faisant de la France le premier pays au monde avec un vrai système postal. Au 19ème siècle, les boîtes aux lettres privées deviennent partie-intégrante des habitations. Les bureaux de poste se densifient et permettent aux citoyens de recevoir et d’envoyer des produits de consommation. Dans les années 50, les supérettes et supermarchés se multiplient pour mettre chaque Français à quelques kilomètres de leurs produits. Avec l’essort du e-commerce, nous cessons de nous déplacer, privilégiant leur livraison jusqu’à nous.

Au 21ème siècle, le colis Amazon est l’un des objets les plus reconnaissables sur la planète. L’entreprise de Jeff Bezos les dépose au domicile, dans des points relais ou dans des Amazon Lockers, jouant le rôle de points relais automatisés. Pourtant, c’est la livraison à domicile et la remise en main propre qui restent le service plébiscité par les e-acheteurs. Quoi de mieux qu’une livraison à domicile, lorsqu’elle fonctionne bien ? Mais comment se faire livrer chez soi à moins d’être sur place ?

La Poste, qui traite 1,8 million de colis quotidiens (plus de 3 millions lors du pic des Fêtes de fin d’année), se pose la même question, et poursuit le graal de l’expérience de livraison parfaite, dans le sillage d’Amazon, de Shein, Temu et bien d’autres… Les conséquences sur la métamorphose de la logistique du dernier kilomètre, la plus difficile à gérer et la plus dispendieuse sur le plan environnemental, en sont colossales. D’autant que cette dernière suit le rythme effréné de croissance de l’e-commerce. 

Data.ai, leader mondial de l’analyse et de la valorisation des données d’applis mobiles, dit que le nombre de téléchargements d’applis Shopping ne cesse d’augmenter. La France est le 7ème acteur mondial du e-shopping, avec un chiffre d’affaires de 39,3 milliards d’euros et 571 millions de transactions au 2ème trimestre 2023. L’e-commerce ne cesse de s’y développer. Récemment, la Fevad constatait un bond de 8,3% en valeur des échanges en ligne au 3ème trimestre.

Tout n’est pas idéal dans le monde de la consommation magnifiée. Indépendamment des enjeux liés aux ressources et au gaspillage, l’essor de l’e-commerce entraîne son lot de problèmes concrets pour les consommateurs. Une étude de Shipup portant sur une phase méconnue du cycle d’achat, celle du « post-achat », montre que les e-commerçants ignorent les griefs des acheteurs en ligne. Le fossé grandit entre les attentes des consommateurs et la façon dont les marques les accompagnent après l’acte d’achat.
Les livraisons sont un point de friction majeur lié à la difficulté de convenir de créneaux de passage, aggravé en cas de retards ou de dates de livraisons non tenues. Sans parler de la mauvaise communication entre vendeurs et acheteurs en cas de problème. D’autant que souvent, c’est avec le livreur qu’il faut traiter. Dans le monde réel, la dématérialisation déroute les consommateurs qui attendent toujours des solutions ergonomiques et marquées au coin du bon sens. 

Livraisons retardées ou manquées ; dépôts d’avis de passage obligeant à reprendre rendez-vous ; difficultés à trouver des points de livraison hors des grandes villes, tout en restant tributaire de leurs horaires d’ouverture où que l’on soit, et obligé dans tous les cas de s’y rendre… Pour une bonne affaire, le parcours est souvent semé d’embûches. La solution tient en un moyen de livraison fiable, sécurisé, de proximité, qui respecte l’emploi du temps du consommateur. 

Or cette révolution est en marche : celle d’une boîte aux lettres devenue point de retrait personnel qui nous relie au monde. Pour ce faire, la boîte aux lettres privée se transforme. Tout comme elle s’était généralisée dans les murs, les portes et les entrées des habitations, la voilà qui devient boîte à colis afin de s’adapter à nos nouveaux modes de vie. La boîte aux lettres s’adapte à cette époque numérique. Connectée, elle doit permettre de recevoir non plus seulement du courrier, mais aussi et surtout désormais les objets bien réels qui nous rattachent au monde.

Singulièrement, la France est encore le berceau de cette nouvelle révolution postale . C’est en effet une entreprise française qui a inventé cette boîte aux lettres nouvelle : plus grande, plus sécurisée pour protéger les marchandises qui y sont déposées, et plus intelligente pour en piloter l’accès. Seuls les propriétaires de la boîte et les livreurs y ont accès, grâce à un code unique qui dit qui ouvre la boîte et quand. En usage partagé (dans le cas de l’habitat collectif), elle va même jusqu’à reconnaître le poids des marchandises, reprenant à son compte une fonction que l’on trouve aux caisses automatiques des grandes surfaces ou le long de la chaîne logistique. Le poids dit que c’est ce qu’on attendait, au gramme près. Impossible de remplacer l’objet livré par autre chose.

Son intérêt dépasse celui des particuliers. Elle est l’amie de tous ceux qui doivent livrer, car elle permet de s’assurer que la marchandise sera bien distribuée. À moindre coût, car elle rend la livraison plus rapide et efficace. Elle aide aussi les petits commerces à concurrencer les géants de l’e-commerce alors qu’ils ne bénéficient ni des mêmes moyens, ni de leurs réseaux de points de retrait. La boîte à colis privée leur évite de recourir aux services de coursier express, leur seule alternative parfois. Ils peuvent alors offrir des produits à meilleur prix, avec moins de nuisances pour l’environnement. Enfin, cette boîte sécurisée permet de s’affranchir des problèmes de marchandises subtilisées, ou des particuliers indélicats qui diraient ne pas avoir été livrés.

Surtout, elle permet des livraisons sans avis de passage, évitant bien sûr les trop fréquents tracas du destinataire, mais aussi des aller-retours inutiles du colis, coûteux en émissions carbone, mais aussi en efficacité opérationnelle pour les transporteurs. Elle s’ouvre via une appli mobile (par un protocole Bluetooth sécurisé breveté) et des codes à usage unique ou permanent (au choix) à destination du livreur ; ces derniers sont générés par le destinataire depuis son application mobile, et renseignés dans l’adresse au moment de la commande, ou communiqués de vive voix au livreur par téléphone lors de la livraison.

Dernier maillon de l’infrastructure du dernier kilomètre, cette boîte à colis nouvelle apporte des réponses à bien des enjeux logistiques et environnementaux. Elle crée un réseau stratégique pour les e-commerçants, leur permettant de passer de l’univers digital à un monde physique de proximité. La Poste, héritière des messageries royales et napoléoniennes, dont le propre système Colissimo assure les livraisons partout en France, ne s’y est pas trompé : elle a investi dans l’entreprise qui a conçu cette boîte appelée Boks en devenant son actionnaire de référence. 

Adrien OKSMAN
Co-founder de BOKS

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