par Loïk Le Floch-Prigent
Tribune. Comme je l’écris désormais de manière régulière après en avoir averti les autorités administratives, je considère que les études d’impact concernant la défense de l’environnement et la biodiversité n’ont pas été réalisées convenablement en ce qui concerne les 62 engins envisagés au large du Cap Fréhel et du Cap d’Erquy.
C’est loin d’être le seul problème soulevé par ce projet, mais les refus systématiques des autorités sur ce point sont de plus en plus irritants d’autant qu’ils disent s’appuyer sur des avis définitifs positifs du monde de la science.
Les investissements envisagés sont trop près du littoral, sont trop chers et donc non rentables, obèrent un paysage aussi prestigieux que le Mont Saint-Michel pour les Bretons, et n’ont qu’un impact modéré sur une production électrique pour la Région, quelques pour cents de la consommation et de façon intermittente.
L’installation des 62 mats s’accompagne d’un raccordement dont la responsabilité incombe à RTE. Une station en mer concentrant l’électricité des éoliennes est ainsi reliée à un transformateur à terre, lui-même intégrant la production électrique pour pouvoir la faire entrer dans le réseau.
Il y a donc, du point de vue de la biodiversité, deux sujets, celui des éoliennes et celui du raccordement, et deux périodes celle de la construction et celle de l’exploitation. Les écosystèmes sont donc à étudier dans plusieurs dimensions d’impacts, chaque action a fait déjà l’objet de tests techniques et les opérateurs se disent prêts à commencer les travaux au printemps et même avant pour RTE qui a effectué des premières tranchées à terre.
Si l’on regarde de près ce projet qui a désormais près de 10 ans, il a fortement évolué, les études d’impact ont été, à l’époque, très sommaires, (réalisées par le promoteur, juge et partie, et largement bibliographiques) et le programme proposé ne répond plus à l’Etat des connaissances d’aujourd’hui : la rationalité la plus élémentaire conduirait à un moratoire et à une redéfinition du projet. En bonne logique il faudrait abandonner ces 75 km2 (la concession est de 103km2 !) trop près du littoral coincé entre une zone Natura 2000 et le premier gisement européen de coquilles Saint-Jacques en pleine zone de pêche artisanale. Ce sont d’ailleurs les pêcheurs qui tirent la sonnette d’alarme et il a fallu faire voter des lois supprimant les instances nationales de recours pour conserver encore la vie de ce projet !
Deux constats permettent de surseoir aux décisions politiques actuelles :
Le premier constat, c’est que tous les tests effectués montrent l’impact immédiat sur la biodiversité du secteur. Ces constats sont partagés par toutes les zones où les installations sont réalisées, et les nouveaux projets, dans le monde entier, se mettent au moins à 30 kms des cotes, et même plutôt à 50 kms comme le débat public l’a démontré en Normandie l’année dernière. L’influence en bruit, turbidité et disparition d’espèces modifiant les écosystèmes dans des zones à marée importante et à courants marins est évidente. La baie de Saint-Brieuc est la 5ème baie du monde pour l’amplitude de ses marées).
Tout cela a été constaté par les pêcheurs qui ne se sentent pas écoutés alors qu’ils ont effectué des efforts considérables sur la gestion des ressources ces dernières années. Les avis positifs ne tiennent pas compte des réalités et les promoteurs comme la puissance publique se sont bien gardés de faire réaliser des études complémentaires de terrain puisque les équipes de 70 chercheurs sur ce sujet, installées à Dinard, le CRESCO avec le Museum National de de l’histoire naturelle, l’Ifremer et l’EPHE n’ont jamais été sollicitées pour étudier dans tous ses détails la baie de Saint-Brieuc et tous les travaux qu’elles ont envisagés ont toujours été retardés pour des raisons diverses depuis des années .(seules des études ponctuelles ont été demandées, comme sur les champs électromagnétiques).
Cette zone à la biodiversité exceptionnelle est ainsi la moins connue de la cote Bretonne, et, par exemple, les pêcheurs ramassent souvent dans leurs filets des coraux (gorgones ou roses des mers) mais aucune carte des récifs de mer froide n’a jamais été réalisée …ni demandée !
Deuxième constat, le programme envisagé aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui du début de la demande il y a dix ans. En première analyse le site a été décidé par des Ministres s’appuyant sur des technocrates qui n’avaient pas envie de se « frotter » au Mont Saint-Michel ou à Saint Malo. Tous ignoraient l’existence d’un plateau armoricain où le granite n’est jamais loin. La première idée était donc d’ancrer dans le sol 100 éoliennes AREVA 5 MW hauteur en bout de pale 175m puis 62 ADWEN 8MW hauteur 215m et enfin 62 Siemens hauteur 207m, avec 4 trous effectués, compte tenu de la hauteur du mat et de réaliser un raccordement avec une tranchée à 2 ou 3 mètres pour ensouiller le câble et permettre les passages de chalut. Le travail qui a suivi a enregistré la présence de granite partout sous le sable ou sous le grès, or, tous les foreurs savent que forer dans le granite c’est le début d’ennuis à la fois techniques et financiers.
Il fallait donc changer le fusil d’épaule, d’abord passer de 4 à 3 ancrages par éolienne, puis trouver une autre solution. Les promoteurs ont donc exposé oralement aux Maires du littoral que l’on allait faire 195 ancrages (3 par engin) en retirant des cercles d’un diamètre de 3 mètres de 10 à 20 mètres de matériaux pour ensuite couler le béton afin de « tenir » sur le granite. On a effectivement monté aussi un peu plus le mat d’origine pour aller chercher plus de vent, et maintenant on va mettre des cierges dans toutes les églises des Cotes d’Armor pour espérer que cela tienne par courant fort, par vent fort et mer démontée…je ne sais pas si cela va suffire !
En ce qui concerne le raccordement , plutôt, sur le trajet, que de réaliser des tranchées dans le granite, on va aussi faire des petits monticules en béton dans le même esprit ! qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre, la turbidité pendant la phase de construction ira jusqu’à l’ile de Bréhat et jusqu’à Cancale, et comme on a évité de faire les études de la Baie de Saint-Brieuc , personne, et surtout pas Iberdrola, n’est capable de dire quand les crustacés, les poissons et la biodiversité actuelle reviendront un jour sans parler du nombre d’années … Il est clair que les scientifiques doivent venir (et non revenir car ils n’ont jamais été présents à l’enquête publique) avant de faire quoi que ce soit dans la baie de Saint-Brieuc.
Je souhaite que l’Office Français de la Biodiversité demande au CRESCO et aux autres centres du Museum, de l’Ifremer et des Universités Bretonnes de se pencher sur ces sujets avant toute mise en Œuvre, que ce soit de Iberdrola ou de RTE, c’est-à-dire que tous les travaux soient arrêtés jusqu’à ce que l’on sache réellement les conséquences à court, moyen et long terme sur la biodiversité du programme que l’on engage.
On voit donc qu’il ne s’agit pas de trouver des compromis, des compensations, des trocs financiers avec les municipalités ou les associations qui défendent l’environnement, il faut savoir ce que l’on fait compte tenu de la présence sur le terrain de scientifiques chevronnés connaisseurs de la biodiversité. Les atteintes à la faune et la flore peuvent être irréversibles et c’est alors au peuple et à ses représentants de décider si le projet est suffisamment vital pour la Bretagne pour justifier de clore un chapitre de la vie marine millénaire dans la baie de Saint-Brieuc. C’est de cela dont on parle et non d’une aumône annuelle dérisoire pour faire taire tel ou tel.
Loïk Le Floch-Prigent a notamment été PDG de l’entreprise pétrolière Elf entre juillet 1989 et 1993, puis président de la SNCF de décembre 1995 à juillet 1996. Il fut également directeur de cabinet du ministre de l’Industrie Pierre Dreyfus en 1981 et 1982.