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La crise géopolitique doit être une opportunité pour Eutelsat et l’Europe


La tournure des évènements fait craindre à l’embrasement généralisé et mondialisé mais elle présente aussi plusieurs opportunités pour l’Europe. Signe visible, l’envolée du cours de l’action Eutelsat depuis lundi dernier avec +68% et +77% en séance. Le cours, qui s’était effondré à un niveau très bas, est ainsi passé en...

Eutelsat est le 3ème opérateur de satellites au monde

La tournure des évènements fait craindre à l’embrasement généralisé et mondialisé mais elle présente aussi plusieurs opportunités pour l’Europe.

Signe visible, l’envolée du cours de l’action Eutelsat depuis lundi dernier avec +68% et +77% en séance. Le cours, qui s’était effondré à un niveau très bas, est ainsi passé en une semaine de 1,3470€ à 6€ ce mercredi après-midi.

Eutelsat, qu’est-ce que c’est ? Le 3ème opérateur de satellites au monde et une entreprise européenne dont le siège est en France. Il s’agit donc à la fois d’une entreprise stratégique et d’un concurrent de Starlink ce qui, dans le contexte actuel, présente un certain intérêt.

En effet, si la crise perdure et si l’éloignement, sinon la rupture, entre Europe et Etats-Unis se confirme, il va être nécessaire de proposer une alternative à Starlink et de faire valoir des intérêts européens qui sont aussi économiques.

Eutelsat pourrait donc tirer son épingle du jeu et faire un retour remarqué sur les marchés financiers alors que l’action évoluait jusque-là sous les radars.

L’entreprise dispose de plusieurs atouts avec des contrats renouvelés avec le Nigéria ou le saoudien ATSS et un nouveau partenariat avec Orange pour l’Afrique et le Moyen-Orient qui vient crédibiliser l’ambition de concurrencer Starlink.

Ambition démesurée, colossale face au mastodonte, mais qui ne semble pourtant pas hors de portée dans un contexte géopolitique fortement polarisé et en sachant que « En Europe, Eutelsat offre les mêmes capacités que Starlink en termes de couverture et de latence », comme a tenu à le rappeler le groupe. Des échanges ont d’ailleurs lieu entre institutions européennes et Eutelsat pour un déploiement rapide et facilité.

A suivre donc, en espérant que les investisseurs et l’Europe se mobilisent.

Ces évènements interrogent néanmoins sur l’absence de vista de nos dirigeants et autres administrations qui n’avaient jusque-là aucun à priori sur Elon Musk, puisque l’ARCEP avait donné des fréquences à Starlink. Même si le Conseil d’Etat avait suspendu cette autorisation, il avait ensuite fait machine arrière.

Elu municipal d’opposition pour le PRG-Le centre gauche, j’avais en 2021 pointé les incohérences de l’installation d’une station Starlink à Villenave d’Ornon en Gironde, tant du point de vue de l’observation spatiale qu’au niveau géopolitique. En mars 2021, le groupe PRG de Nouvelle-Aquitaine retirait un vœu portant sur ces questions en raison des pressions subies.

Ainsi que je l’exprimais alors dans La Tribune : « Je n’ai pas forcément de doutes sur les ondes, sachant qu’en plus l’Arcep et l’Etat sont censés encadrer les choses. Pour moi, le problème est plutôt démocratique dans le sens où ce sont des installations qui se confondent avec certaines données scientifiques sans débat local, de communication particulière de la mairie, de la métropole ».

En 2022, un journaliste scientifique, Olivier Lascar, se faisait l’écho de tout cela dans un livre documenté publié chez Alisio, Enquête sur Elon Musk, l’homme qui défie la science, et auquel il m’avait proposé de collaborer.

Mais où diable étaient donc nos lanceurs d’alertes et autres révolutionnaires de salons ? Où étaient celles et ceux qui quittent X, le réseau social d’Elon Musk, le cœur sur la main ?

En 2023, j’écrivais dans les colonnes d’Entreprendre : « L’aventure Starlink est emblématique de la naïveté française et européenne, et le signe que notre législation reste inadaptée à ces questions. Cet exemple est aussi le signe de la privatisation de l’espace et de l’irruption d’acteurs privés plus souples que les institutions et ayant une vision plus claire et affûtée de ce qu’ils veulent faire dans ce domaine.

La guerre en Ukraine a permis à Elon Musk et aux Américains d’apporter une aide non négligeable à Volodymyr Zelensky en encourageant l’utilisation de Starlink. Mais au-delà de la beauté du geste, c’est aussi un bon moyen de se rendre indispensable maintenant et demain via diverses pressions amicales.

Les liens entre Elon Musk et le Pentagone sont par ailleurs anciens, puisque de nombreux lancements de satellites classés « secret défense » ont été effectués par SpaceX. Musk et SpaceX ont par ailleurs dévoilé Starshield, une version militaire de Starlink dont les services pourraient intéresser le Pentagone, la CIA ou la NSA.

L’espace redevient donc un enjeu géostratégique majeur, qu’il s’agisse d’observation, d’espionnage, de communication, ou de retombées scientifiques et technologiques. »

Evoquons brièvement la question de la protection des données qui passe totalement inaperçu pour notre personnel politique, même si le petit PRG a évoqué le sujet des GAFAM et de la protection des données en proposant « la nationalisation des données personnelles des Français ainsi que la création d’une agence d’Etat chargée de facturer aux GAFAM leur utilisation et de veiller par la même occasion au droit effectif à l’oubli ».

La France et l’Europe sont à la croisée des chemins car on se rend compte que pour peser sur la scène internationale, il faut parler d’une voix forte et claire.

Le monde de la Guerre Froide était plus simple, plus lisible et manichéen, mais les empires se sont écroulés et l’individualisme étatique reprend sa course à travers l’affrontement de la Chine, des Etats-Unis et de la Russie.

Trump et Musk ne cherchent probablement pas un chaos qui serait néfaste au business, mais à accroitre la domination américaine, la rentabilité du pays et son influence par des deals et une façon de les conclure qui va à l’encontre de la diplomatie classique.

Face à cette nouvelle réalité, France et Europe ont donc du travail pour se donner les moyens de leurs ambitions, car en la matière et dans le contexte actuel, il ne suffira pas de hausser le ton mais bien d’être en capacité d’agir.

Yannick Boutot
Secrétaire National du PRG-Le centre gauche

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