La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS
On parle souvent de décentralisation, dans les bars et les médias, mais en général, les citoyens ont bien du mal à se faire une idée précise de ce que c’est. Pour beaucoup, c’est l’idée assez simpliste qu’il faut en finir avec le parisianisme. On doit mettre un terme à cette situation qui veut que Paris décide de tout. La plupart des français qui vivent en province sont « vent debout » contre ce que l’on ressent comme le mépris des Parisiens, auxquels on associe volontiers la classe politique dirigeante, l’exécutif, comme le législatif.
Il y a certes là un fond de vérité, mais les choses sont plus complexes et moins caricaturales qu’il n’y parait. Il convient déjà de faire la différence entre la décentralisation et la déconcentration. Si la déconcentration est un simple déplacement géographique du pouvoir, la décentralisation impose un véritable transfert du pouvoir.
Le principe de la déconcentration exige que davantage de pouvoir de décision soit octroyé aux représentants de l’État dans les Régions. Concrètement, la déconcentration est un déplacement du pouvoir entre agents de l’État exerçant à Paris et en province. Ce n’est qu’une façon de rapprocher l’État de sa population, sans lui ôter une parcelle quelconque de son pouvoir. Les agents de l’État exerçant en province sont les Préfets, les sous-Préfets, et les directeurs des administrations déconcentrées (agriculture, équipement, éducation, santé, etc. Le rôle des Préfets est de faire exécuter toutes les décisions prises par le pouvoir central.
Le principe de la décentralisation est tout autre dans la mesure où il vise à donner aux collectivités locales des compétences distinctes de celles de l’État. On parle, en l’espèce, de « collectivités territoriales » c’est-à-dire de structures administratives distinctes de l’administration de l’État et qui sont censées prendre en charge les besoins de la population d’un territoire, comme une commune, un département ou une région. De ce fait, la décentralisation menée à son terme impose que la collectivité dispose de la personnalité juridique, ait ses propres agents et un budget indépendant de celui de l’État, tant pour permettre son fonctionnement que pour financer ses investissements et ses interventions.
L’objectif de la décentralisation est donc, pour l’État, de transférer certaines de ses compétences afin de partager « démocratiquement » le pouvoir et la prise de décision, et surtout de proposer des solutions locales à des problèmes locaux. Puisque nous évoquons la démocratie, c’est bien le citoyen qui reste maître de l’élection et donc du choix de celui qui prendra, à l’avenir, la décision, à la place de « Paris ».
Ceux qui ont prôné la réforme de la décentralisation imaginaient, espéraient, souhaitaient que les présidents des Conseils Régionaux et Départementaux, ainsi que les maires, trouvent dans leurs nouveaux pouvoirs, matière à impliquer plus qu’avant des citoyens plus proches d’eux géographiquement et concernés par des décisions en harmonie avec le territoire.
Déconcentration et décentralisation sont deux modes de gestion des territoires fort différents et dont les objectifs sont opposés. La déconcentration permet à l’État d’envisager une baisse de ces frais de gestion, notamment en diminuant le nombre de ses fonctionnaires.
La décentralisation porte des ambitions toutes autres, comme de rapprocher les collectivités locales des réalités de leur territoire et de permettre des actions citoyennes efficaces et rapides, ceci permettant de développer une « démocratie de proximité ».
Quelques pages d’Histoire
La décentralisation, c’est donc le fait de restituer une partie du pouvoir national de l’État à des instances régionales. Ce n’était pas gagné d’avance que de se lancer dans un tel projet qui pouvait d’ailleurs, initialement, passer pour une pure « opération de communication politique » à une époque où de nombreuses contestations venaient bouleverser la sphère publique. Et la preuve en est, c’est qu’il aura fallu attendre l’arrivée de la gauche au pouvoir au début des années 1980, pour voir les premiers balbutiements de réforme.
Il faut dire que la France est un État jacobin centralisé. Son histoire est longue et riche, dans sa construction, sa plénitude et ses révoltes. De Clovis, qui fait naître l’idée du royaume des Francs, à Charlemagne, créateur de la dynastie des Carolingiens, que nous considérons comme un de nos suzerains mais qui fut tout autant l’organisateur d’un empire Germanique, la France va longtemps se trouvée limitée au domaine royal de l’Ile-de-France, que les rois successifs agrandiront, moyennant des luttes farouches contre les seigneurs ancestraux comme les ducs de Bourgogne, ou les seigneurs normands d’Angleterre, à l’instar de Louis XI.
Petit à petit, les rois de France, en dépit de quelques échecs, prendront le pouvoir sur un territoire proche de celui de la France d’aujourd’hui, en luttant également contre les différents Parlements de province qui remettaient en question le principe de la monarchie de droit divin. La Révolution de 1789, si elle aboutit à la chute des Capétiens par un régicide, reste toutefois toujours centralisatrice, et ce sont sur ses bases que Napoléon 1er fonde un empire qu’il dote d’une administration et d’un système juridique qui a toujours cours de nos jours.
De Louis XIV à Napoléon 1er, notre Histoire ne manque pas d’exemple de dirigeants visionnaires qui ont fait de la France un pays centralisé autour de sa capitale. Un pays divisé en régions, certes, mais un pays qui fonctionnait autour des volontés du pouvoir central. En résumé, un pays dont les dirigeants successifs ont façonné la mentalité française, toute décision émane de Paris, et la légitimité du pouvoir se trouve entre les mains d’un seul.
En 1848, la 2ème République débouche sur le Second Empire de Napoléon III, autre dirigeant centralisateur et réformateur, dont le pouvoir tombera dans les suites désastreuses de la guerre de 1870 contre les Prussiens. De ces ruines nait alors la 3ème République qui sera le régime de notre pays de 1870 à 1940. Après la période douloureuse de la seconde guerre mondiale, la 4ème République adoptera un régime parlementaire, fortement critiqué pour être le régime des « partis », la France devenant difficile à gouverner.
Comme chacun le sait, à son arrivée au pouvoir sur fond de guerre de décolonisation, notamment avec le conflit algérien, le général de Gaulle a souhaité mettre le pays en ordre et a opté, par la rédaction de la constitution du 4 octobre 1958, pour un régime semi-présidentiel et semi-parlementaire. En fait, le président de la République est le personnage central de l’État, disposant de la légitimité du suffrage universel, tandis que le 1er ministre nommé par le président et son gouvernement sont responsables devant le parlement.
Si la République, à compter de 1870, a tenté de mettre en place diverses solutions de partage des pouvoirs, cela s’est toujours fait à un échelon central, d’abord dans une lutte entre le parlement et le président du conseil des ministres, puis depuis 1958, dans une confrontation parfois difficile entre le président de la République, omniprésent, et son 1er ministre.
Les mentalités françaises se sont donc construites autour de l’idée que la conduite des affaires se fait à Paris et que le pouvoir est strictement parisien. L’esprit français n’est donc pas historiquement préparé à la fédération de « Lander » indépendantes comme peut l’être l’Allemagne ou une union de royaumes et de républiques comme le Royaume Uni.
Dans ces conditions, comment transformer un État jacobin fondamentalement centralisé en une fédération de Régions indépendantes. L’esprit centralisateur est ancré dans le logiciel politique français et dans les mentalités. Et dans cette confusion, s’opposent ceux qui veulent tout de l’État et ceux qui souhaitent pouvoir décentraliser les pouvoirs décisionnels.
Cela étant, les analystes politiques et les penseurs se sont très tôt partagés sur les avantages et inconvénients de ce système centralisé à l’excès. Garantie de stabilité, le régime gaullien pourrait être également sclérosant, en oubliant la vision de la France « d’en bas » et en favorisant les analyses parisiennes des hauts fonctionnaires issus des Grandes écoles comme l’ENA ou « Normale Sup ». C’est d’ailleurs l’un des axes stratégiques qui sont actuellement favorisés par le pouvoir, mais n’est-ce pas là une porte ouverte à la démagogie populiste ?
C’est également ce même débat qui a cours en matière de culture. Celle des élites n’est pas celle du peuple. En conséquence, quels sont les investissements qu’il convient de privilégier ? Les formations élitistes, ou la culture populaire ? Et en matière de politique de développement, faut-il se plier à la demande générale ou envisager des projets ambitieux qui ne sont pas forcément attendus par les couches les plus populaires ?
Les lois sur la décentralisation
L’acte I vient avec les « lois Defferre » portées par la nouvelle majorité de gauche et qui souhaitent réaliser une profonde décentralisation de l’administration française. La 1ère de ces lois date de mars 1982, elle cherche à établir un nouvel équilibre entre l’État et les autorités locales et est relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. La loi a, entre autres, supprimé la tutelle exercée par le préfet sur les collectivités locales et lui a retiré le pouvoir d’annuler les actes des autorités locales, laissant ainsi au juge le pouvoir d’exercer un contrôle de légalité a posteriori. Et elle a transféré la fonction exécutive qu’avaient les préfets aux présidents de conseil général et de conseil régional
L’acte II ne débutera qu’en 2002, en période de cohabitation politique, et prendra forme avec le vote de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, inscrivant la décentralisation dans la Constitution dans le titre de la Constitution consacré aux collectivités territoriales. Il s’agit donc d’un changement important de l’équilibre des pouvoir voulu par le 1er président de la 5ème République. Ce texte à valeur constitutionnelle devait permettre des évolutions juridiques et statutaires conséquentes.
Avant toute autre chose, le principe selon lequel l’organisation de la République française « est décentralisée » figure à l’article 1er de la Constitution. De facto, la loi consacre l’autonomie financière des collectivités territoriales, en recettes comme en dépenses. Au plan de la prise de décision, les collectivités territoriales sont autorisées à recourir à des référendums locaux, et surtout, elles peuvent, lorsque la loi ou le règlement le prévoit, déroger, à titre expérimental, sur un sujet précis, à certaines dispositions législatives ou réglementaires.
Dans les années 2007-2009, les bilans réalisés sur la politique de décentralisation dans ses actes I et II ont été plutôt critiques, notamment pour ce qui concerne la répartition des compétences après transferts, et les compensations financières promises, ce qui engendrera une nouvelle réforme territoriale.
Un des objectifs poursuivis par les réformes successives de la décentralisation consiste à doter les collectivités territoriales de compétences propres, distinctes de celles de l’État. Les compétences jusque-là exercées par le préfet sont transférées à des assemblées locales indépendantes les unes des autres.
Les lois de 1983 avaient prévu que « la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l’État s’effectue, dans la mesure du possible, en distinguant celles qui sont mises à la charge de l’État et celles qui sont dévolues aux communes, aux départements ou aux régions de telle sorte que chaque domaine de compétences ainsi que les ressources correspondantes soient affectés en totalité soit à l’État, soit aux communes, soit aux départements, soit aux régions ».
En 2009, la Cour des comptes avait dénoncé la persistance de responsabilités partagées et noté que la répartition des compétences était un échec notable, mettant ainsi en cause l’État qui demeurait juridiquement compétent dans tous les domaines et démontrait ainsi sa « réelle difficulté […] à tirer les conséquences de la décentralisation ».
S’agissant de la compensation financière liée aux transferts de compétences, qui était inscrite dans la loi constitutionnelle de mars 2003 et imposait que « Tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice », c’est une loi d’août 2004 qui viendra confirmer qu’elle doit s’opérer par le fractionnement d’impôts nationaux. Les transferts de compétences ont été financés à 81% par des transferts de fiscalité, dont on constatera par la suite qu’ils avaient été insuffisamment calculés tout en créant des conditions inflationnistes néfastes pour les dépenses publiques.
Les élus locaux ont très vite considéré que la compensation financière du transfert de charges était insuffisante, les ressources fiscales transférées ne permettant pas d’assurer correctement les charges nouvellement supportées par leurs collectivités territoriales. Il faut rajouter à ce constat pessimiste que l’État avait conservé le droit de créer de nouvelles charges sans obligation de modifier la compensation financière, dont l’exemple le plus connu est la mise en œuvre du revenu minimum d’insertion (RMI) plus coûteux que prévu dans les simulations.
Mais le principal grief que l’on peut faire à la mise en place des transferts de compétences est que les dépenses publiques globales ont considérablement augmenté, notamment au niveau local, sans que les dépenses de l’État ne diminuent.
L’acte III de la décentralisation sera l’illustration d’une réforme avançant pas à pas. La décentralisation qui fêtait ses 30 ans en 2013, a entamé une nouvelle étape durant ces années-là, par un projet de loi découpé en trois textes, dont le premier (le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles) a été présenté en Conseil des ministres le 10 avril.
La loi prévoyait notamment la fusion de six intercommunalités au sein de la métropole « d’Aix-Marseille-Provence », la dotation du statut de collectivité à la métropole lyonnaise, la création d’un établissement public de coopération intercommunale à statut particulier pour la métropole de Paris. On voit que les choix de l’exécutif portait essentiellement sur le chapitre urbain. Parallèlement, les régions semblent occuper une place centrale, tout du moins en apparence… puisqu’elles se voient confier un simple rôle de « chef de file » dans plusieurs domaines (le développement économique, les transports, la formation, etc.).
La loi NOTRe
La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) retient le principe de spécialisation des compétences des régions et des départements, corollaire à la suppression de la clause générale de compétence (CGC). Cette clause était, en France, comme au Royaume-Uni, en Irlande ou en Allemagne, un concept juridique traduisant la capacité d’initiative d’une collectivité territoriale dans un domaine de compétences se situant au-delà de celles qui lui sont attribuées de plein droit, et ce sur le fondement de son intérêt territorial en la matière. Cette clause signifiait qu’il était accordé à la collectivité concernée une capacité d’intervention générale, sans qu’il soit nécessaire de lister ses attributions et ne pouvait concerner que les « affaires de la collectivité » ou celles ayant un intérêt public local.
En 2015, la clause générale de compétence a donc été supprimée en France pour les régions et les départements. Désormais, ces collectivités territoriales ne peuvent agir que dans le cadre des compétences que la loi leur attribue, sous réserve de quelques dispositions transitoires et de rares exceptions.
La loi NOTRe maintient cependant pour les régions certaines compétences partagées dans les domaines ayant un caractère transversal, comme c’est le cas pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, pour les questions culturelles, le sport ou le tourisme, ou, dans le cadre de la compétence partagée entre « les communes, les départements, les régions et les collectivités à statut particulier », la promotion des langues régionales et de l’éducation populaire. Il en ressort donc que cette nouvelle définition des compétences s’accompagne d’un accroissement du rôle des régions, d’un renforcement de l’intercommunalité et d’une amélioration de la transparence dans la gestion des collectivités territoriales.
Quel bilan ?
Quand on évoque le sujet de la décentralisation, l’enthousiasme n’est pas de mise ! Elle suscite toujours une grande réticence citoyenne, car les Français, très en demande de pouvoir local et qui réclamaient depuis des décennies que « Paris » ne soit pas seule à décider, acceptent mal en revanche, que la gestion publique puisse être pluraliste et adaptée aux territoires.
Par ailleurs, les collectivités locales se plaignent que leurs nouvelles compétences n’aient pas été correctement accompagnées de moyens budgétaires proportionnés. Les difficultés qu’a entraîné cette insuffisance, aux yeux des responsables locaux, expliquent la méfiance remarquée des élus vis-à-vis de la décentralisation, par crainte, notamment, de voir l’État se débarrasser sur les collectivités locales de missions au financement difficultueux.
Nombreuses sont les analyses qui font le constat, partagé par un grand nombre d’électeurs mais aussi d’élus, que les administrations de l’État sont seules à être en mesure de concevoir, et de réaliser certaines politiques publiques, essentielles parce que régaliennes, et qui préservent l’égalité des Français devant la loi. À l’inverse, d’autres estiment que la centralisation et l’application de normes juridiques uniformes sont nécessaires pour assurer l’égale garantie des droits des citoyens est une vision passéiste erronée.
Il est donc difficile de se faire une opinion tranchée sur des stratégies novatrices dans l’univers à la fois confus et mouvant des institutions mises en place lors des différents actes de la décentralisation. « Chaque fois que l’on veut avancer vers plus de décentralisation, les réformes suscitent la crainte de voir notre citoyenneté et nos droits démembrés dans un système flou dont l’État n’assurerait plus le fonctionnement homogène ancestral ».
Par ailleurs, l’impact de la décentralisation sur les dépenses publiques apparaît comme une question centrale. Comme je l’ai indiqué dans un récent article, la part des dépenses publiques dans le PIB pose problème, et nous avons constaté à quel point, ne serait-ce que sur la question du nombre global de fonctionnaires, les collectivités territoriales étaient responsables d’un tiers de l’augmentation totale de la dépense publique. Cela ne s’explique pas par les seuls transferts de compétences, car la décentralisation suscite également la création stérile d’emplois en double, les financements croisés incitant généralement à plus de dépenses.
Finalement, l’impact de la décentralisation sur les dépenses publiques est particulièrement défavorable à l’équilibre financier global du pays ! Or, ce que les Français attendent d’abord en matière économique et sociale, en plus de la recherche « désespérée » du plein-emploi, c’est un allégement de la pression fiscale. À titre d’exemple de gâchis, il faut savoir que plus de soixante instances s’occupent de la gestion de l’eau en Bretagne !
Par voie de conséquence, les circuits de financement des projets locaux se sont complexifiés, ce qui contribue à l’augmentation des dépenses, par une pratique confuse de financements croisés. Ainsi, les investissements en région sont financés par le quadruple concours des budgets de l’État, des régions, des départements et des communes, et parfois même par l’ajout de subventions européennes. Les efforts pour définir clairement le rôle de chaque entité n’ont jamais abouti, et cet état de fait ne peut qu’avoir des effets inflationnistes.
Ce qui peut se traduire par la sentence suivante : la décentralisation, ce n’est pas un transfert mais une addition des charges. On aurait pu s’attendre à ce qu’avec une décentralisation bien pensée, la prise en charge d’une partie des dépenses de l’État irait en régressant, mais c’est le contraire qui a été constaté.
Les citoyens ressentent donc un immense besoin de clarification, ils veulent savoir qui dépense quoi « avec leur argent ». La décentralisation ne pourra finalement être acceptée qu’après une refonte complète du financement des collectivités locales. La plus grande partie de nos concitoyens continuent de penser, peut-être à tort, que l’État doit assumer seul la responsabilité des projets citoyens, de leur financement et de la fiscalité y afférente.
Conclusion
Si la décentralisation s’est, peu ou prou, mise en place, c’est que les esprits y étaient prêts. Bien avant 1982, le Général de Gaulle lui-même était conscient qu’une centralisation excessive du pays pouvait être contraignante. Il avait conscience, après les années de guerre, puis celle d’un rassemblement centralisateur autour de l’idée de Nation, qu’il fallait ouvrir le pays sur ses territoires, et de facto responsabiliser davantage les élus locaux. Dès 1981, la gauche, tout nouvellement arrivée au pouvoir, apportait avec elle l’idée qu’il fallait « changer la vie » et donc « changer le fonctionnement des pouvoirs publics ».
Ces changements impliquaient d’aider les cadres et agents territoriaux à monter en compétences pour rejoindre le niveau de qualité de la fonction publique d’État. Et l’intercommunalité, véritable acte II de la décentralisation, y a contribué, tandis que les exécutifs locaux prenaient en main leurs nouvelles responsabilités et trouvaient leur place en harmonie avec les préfets qui avaient dû accepter leur nouveau rôle.
Selon de nombreux élus, le niveau et la qualité des services publics de proximité se sont considérablement développés, les infrastructures de transport urbain et les équipements publics ont rendu les agglomérations plus attractives, et par conséquent, la décentralisation a globalement rempli ses promesses.
D’abord considérée comme une question d’organisation administrative du pays, l’idée de la décentralisation s’est rapidement transformée en un « jeu » de répartition des rôles avec l’État et en des enjeux de distribution des budgets. Les élus locaux se voient, assez péjorativement, comme des sous-traitants des administrations d’État gérant des budgets annexes de celui de l’État. Pour eux, le vrai pouvoir reste entre les mains de l’exécutif.
La nouvelle situation administrative française se situe à mi-chemin entre décentralisation et déconcentration. Il faut une réelle ambition pour éviter de voir se scléroser plus notre pays. Dans le prolongement de mon précédent article, j’estime qu’il faut manifester plus d’ambitions au niveau des territoires. Même si les lois sur la décentralisation dessinent un périmètre trop restreint pour que les projets des entrepreneurs qui se battent pour la France réussissent parfaitement et rapidement, il ne faut pas baisser les bras !
Il faut ouvrir la voie à une nouvelle forme « d’économie », qui sera portée par les territoires, c’est-à-dire par les citoyens électeurs et les membres des exécutifs locaux élus. Tout le monde constate que la reprise économique piétine. Trop de complexités, trop d’argent public gâché, trop de décisions politiciennes sans envergures, alors qu’il faudrait une vraie vision politique partagée par l’État et les collectivités territoriales.
Cela signifie qu’il faudra réunir toutes les conditions d’une vraie décentralisation. En dehors de certains domaines qui doivent rester entre les mains de l’État, une grande partie des missions dites « régaliennes » doit pouvoir être attribuée aux régions, comme c’est le cas aux USA ou dans les lands allemands.
Pourquoi ? Parce que les territoires de notre pays, avec leurs richesses entrepreneuriales, leurs savoir-faire ancestraux et leur connaissance du terrain, sont seuls à même de relancer le développement qu’attendent et veulent accompagner les citoyens français. L’autonomie, à tout le moins partielle, des régions est le seul moyen de remettre de la dynamique, à la fois dans le développement économique global de la France, et dans la volonté de relancer l’économie de proximité, compte tenu du contexte mondial délétère actuel (guerres, crises sanitaires, combats écologiques pour sauver la planète).
Les Régions, jusqu’à présent trop administratives, mais qui disposent de l’ensemble des outils utiles, doivent devenir « commerçantes » c’est-à-dire créatrices de valeur, comme elles l’ont toujours été dans l’histoire passée. C’est d’ailleurs l’exemple que donne la Région Sud, dans l’accompagnement de projets locaux innovants, par la mise en place de son fonds d’investissement ! Les Régions doivent retrouver ce qui faisait la richesse économique des territoires, la capacité de produire des biens de qualité ou de développer des services sans avoir à faire appel à des fournisseurs installés à l’autre bout du monde et qui n’ont fait que nous copier et que nous imiter.
Un pays qui ne crée plus meurt. Nous devons donc inciter les territoires et en premier lieu les exécutifs des collectivités locales à revenir créer de la valeur, et s’abstenir de créer de nouveaux impôts et de distribuer des subventions. Notre pays meurt à force de payer des allocations et de verser des subventions plutôt que de payer des salaires à des employés pleinement engagés dans leur mission et revalorisant ainsi la notion de « travail ».
Un exemple de décentralisation en mode dynamique: RégionSud
La REGION SUD offre de réels exemples de décentralisation… tout particulièrement au niveau culturel. L’idée de la culture « en proximité » se traduit par la création d’une série de festivals, moteurs de la décentralisation culturelle. C’est le cas, en Avignon, avec les rencontres professionnelles de la ville, manifestations coorganisées par « France Festivals » et le festival d’Avignon, en partenariat avec le Ministère de la Culture et le CNRS.
Symboles de la réussite de la décentralisation, exemple marquant d’appropriation culturelle par les collectivités, les festivals se présentent désormais comme un outil de coopération et de diffusion sectorielle, parfaitement adapté à la diversité des territoires. Un outil dont on se doit d’être fier, car ils permettent de façonner le paysage culturel français tel qu’il est devenu en REGION SUD depuis bientôt 70 ans, mais qui a su s’intégrer depuis trente ans dans la nouvelle organisation administrative décentralisée.
Il convient de rappeler que depuis 2019, M. Renaud Muselier, Président de REGION SUD, est également vice-président de « Régions de France » symbole s’il en est des richesses de l’administration locale décentralisée.
Voilà un élu qui dit clairement ce qu’il pense, notamment sur le rôle des régions comme animateurs des questions économiques locales. Sur ce plan-là, Renaud Muselier a des idées affirmées. Dans le Sud, le conseil régional s’est déjà placé comme pilote sur certains sujets comme l’export via Team Sud Export, dispositif déployé avec Business France afin d’accompagner les entreprises à l’international.
Sur la question des transports, « Régions de France » qui s’est prononcée entre autres sur la question de la TVA à taux réduit dans les transports publics collectifs et dans les transports ferroviaires, incite l’État à aller au bout de la régionalisation.
Parmi les sujets identifiés par « Régions de France » figure l’apprentissage, et on sait comment Renaud Muselier s’est battu contre l’ancienne ministre du Travail, pour contester la fermeture de trop nombreux CFA. En revanche, ses échanges autour du développement économique avec l’actuel Ministre de l’Économie et des Finances seront sans doute plus apaisés, du fait des expérimentations réussies et des dispositifs innovants déployés dans sa Région avec brio et succès.
Il peut d’ailleurs également évoquer l’un de ses sujets de prédilection, la question de la transition écologique, puisque dans le Sud, on a « une COP d’avance » ! 20 % du budget de la Région y est consacré, ce qui faisait déjà près de 500 M€ en 2021, avec cet objectif qu’il a lui-même fixé : la neutralité carbone d’ici 2050.
Pour conclure cet article sur la décentralisation, et résumer ce que l’on sait des avantages et des inconvénients de ce mille-feuilles administratif flou, Renaud Muselier s’engage, en tant que président des Régions, en redisant régulièrement que les régions n’ont pas à être « le tiroir-caisse de l’État », et encore moins les « sous-traitants » de ce dernier, Les Régions ont leur histoire et leur richesse patrimoniale, c’est un atout..Sachons dépasser les frontières, remettons la France au travail..et seul, un élu de proximité, comme Renaud MUSELIER, connaissant les forces et faiblesses de son territoire, est capable de réussir, ce que j’appellerais aujourd’hui, un vrai « challenge ».
Ne pas faire le travail de l’État, mais que ce même État s’appuie enfin sur la force des Régions pour ce qu’elles savent bien faire !
Bernard Chaussegros