La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS
La politique et la démocratie sont souvent une affaire de communication. Il est vrai que les images, par les comparaisons qu’elles proposent, permettent souvent de mieux illustrer un propos et, tout particulièrement, de le caricaturer. C’est ainsi que, depuis quelques mois, les commentateurs de la vie politique, tout particulièrement en France, se complaisent à accuser les dirigeants politiques d’être globalement « hors-sol », c’est-à-dire, en langage plus familier, suffisamment éloignés des préoccupations du peuple qu’ils donnent l’impression de ne pas bien comprendre ce qu’est la vie réelle des citoyens, et de ne même pas intégrer leurs contraintes et leurs difficultés.
La représentation que suggère donc cette expression « hors-sol », nous ramène fatalement à notre rapport à notre terre mère, cette planète qui nous soutient alors qu’elle tourne à travers l’immensité de l’espace sur elle-même et autour de cette grosse étoile qu’est le soleil. Et c’est cette terre que nous nous faisons un malin plaisir d’abîmer, de transformer, de polluer et que nous parviendrons, sans doute à terme, à détruire.
Rappelons-nous les vers de La Fontaine :
« Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
[…]
D’argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor ».
Depuis l’apparition de l’humanité, c’est de notre sol et de tout ce qu’il contient que nous avons extrait ce qui nous permet de survivre, et en conséquence de nous rattacher étroitement à notre univers, par l’eau, le feu, l’air et la terre. C’est par un usage modéré de ces quatre éléments que la vie a été rendue possible et qu’elle s’est déroulée presque sereinement sur plusieurs millénaires. Certains temps ont été durs, les hommes malhabiles et leurs technologies rudimentaires. Les premiers chasseurs-cueilleurs se sont contentés de manger le gibier qu’ils tuaient et la flore qui poussait naturellement dans les champs ou dans les arbres, avant de songer, on ne sait par quel miracle, à ensemencer eux-mêmes le sol. Ces « anciens » ont commencé par gratter la terre avec des bâtons, puis ils ont inventé cette charrue ancestrale en bois appelée « araire », pour tracer avec peine quelques sillons dans des sols durs et infertiles et d’y faire pousser quelques céréales sauvages pour cuire des bouillies nourrissant leurs tribus.
Puis les instruments aratoires se sont modernisés, notamment en Mésopotamie ou en Égypte 4 à 5.000 ans avant l’ère chrétienne pour, petit à petit, devenir les charrues tractées par des animaux domestiques, qui non seulement fendaient la terre mais bientôt la retourneraient pour l’entretenir et la fertiliser. Je n’entends pas ici d’écrire toute l’évolution technologique des six derniers millénaires, pour finir par décrire la mécanisation forcenée du XXe siècle et tous les excès qui en ont été la conséquence.
Ce qu’il faut retenir, c’est le rapport intime qui s’est établi entre l’être humain, son alimentation, son habitat et sa capacité d’entreprendre avec le milieu naturel dans lequel il s’est développé, parfois dans la douleur, souvent dans la mort solitaire, et quelquefois, heureusement, dans un épanouissement personnel et collectif. Ces quelques phrases ne signifient rien d’autre que de rappeler le lien indispensable entre l’homme et son milieu, ce lien qui a suffi, durant des siècles, malgré les crises, malgré les guerres, malgré les famines, malgré les aléas climatiques, à nourrir l’humanité et à la faire « grandir », parfois en sagesse.
Mais ce lien avec le sol va sans doute beaucoup plus loin que le simple rapport à la faim et la nourriture, il symbolise le sentiment d’universalité de l’humanité. L’exploitation exagérée des ressources, la surproduction insensée de nourritures finalement jamais consommées, la pollution et la gabegie généralisée des ressources en eau, et surtout, j’insiste sur ce point, cette « révolution » morale qui a consisté à abandonner toute raison pour se consacrer au seul profit financier et à l’enrichissement des nantis, ont rendu nécessaire dès la fin du XXe siècle la recherche de nouveaux moyens de production, et c’est notamment ce qu’on a appelé le « hors-sol », phénomène qui consiste à se passer de la terre nourricière pour produire de quoi se nourrir.
Se passer de notre sol, au propre comme au figuré
En effet, pourquoi se fatiguer à faire pâturer des animaux qui peuvent très bien vivre dans des stalles de béton, nourris par des antibiotiques et des compléments alimentaires ? Pourquoi labourer les champs et semer des graines alors qu’on peut faire pousser tout ce que l’on veut, fruits et légumes, sous des serres en plastique, en dehors de la terre nourricière, dans un vague substrat aqueux, sur des mousses de polystyrène ou des feutres synthétiques. Voilà ce qu’est le « hors-sol », en tout cas en agriculture. Les esprits chagrins nous feront croire que c’est le prix du progrès et de l’inventivité humaine. En réalité, c’est le prix payé par ceux qui dans la légende, vendent leur âme au diable c’est-à-dire à l’argent et au profit, quel que soit le coût global payé par l’humanité toute entière. Ce décalage entre la réalité et l’illusion, on le retrouve dans les mentalités d’aujourd’hui !
Ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui, la lutte contre le réchauffement climatique, la lutte pour l’abandon des énergies carbonées, la lutte pour une alimentation équilibrée, moins carnée, etc. ont autant de succès et d’adeptes. C’est la manifestation d’une prise de conscience globale ! Une grande majorité de citoyens comprennent que les dirigeants politiques et les acteurs de l’économie mondiale tentent de les transformer en simples consommateurs, sans pensée, sans réflexion, sans recul, dans le seul objectif de maximiser des profits et d’éliminer la « valeur travail ». Car au-delà de l’importance que le travail peut représenter dans la recherche d’une légitimité et d’une identité personnelle, cette notion inestimable est indispensable pour un avenir équilibré de l’humanité. À la notion écœurante du partage des superprofits s’opposent donc consciemment de nouvelles volontés humanistes et responsables.
Nombreux sont ceux qui pensent que le système éducatif français, on devrait même dire européen, est désormais perverti de façon insidieuse par les grands décideurs politiques. Que cela soit dit sans être une mise en cause de l’honnêteté de nos enseignants, les stratégies actuellement développées en matière d’éducation contribuent, avec l’aide démesurée des réseaux sociaux, à « fabriquer » non pas des gens qui réfléchissent mais des gens qui consomment. Heureusement, toutes les générations ne sont pas forcément totalement dupes de cette évolution, et on en trouve la preuve dans cette succession récurrente de réactions, de manifestations, et souvent de violences qui réunissent les foules de notre pays depuis quelques semaines, foules qui sont, il faut le noter, manipulées par certains et réprimés par d’autres.
Ne nous leurrons pas, les violences auxquelles nous assistons autour de la réforme des retraites, réforme obligatoire quand on sait qu’il n’y a qu’un cotisant pour 2.5 qui ne cotisent pas, ne sont qu’un prétexte de forme pour ne pas avoir à aborder un vrai problème de fond ! Et la réalité, c’est que nos dirigeants politiques, en concertation parfois complice avec les entreprises multinationales, ont pour stratégie centrale, j’allais dire « pour mission », de transformer notre société humaniste en une société mercantile. Certains décident et d’autres payent, certains fabriquent et d’autres consomment, certains dépensent sans compter et d’autres payent des impôts qui finissent par dépasser l’entendement. La réforme des retraites n’est qu’un prétexte de plus destiné à contribuer à l’enrichissement des classes les plus riches de la planète en augmentant les prélèvements fiscaux de toute nature, payés par les classes moyennes et les TPE/PME. De ce fait, l’exécutif s’oppose frontalement au peuple et tente de passer en force, d’abord pour faire adopter une réforme dont personne ne veut, même si raisonnablement, elle est nécessaire, puis pour un objectif moins lisible mais beaucoup plus sournois qui est de transformer notre démocratie en un monde tel que George Orwell l’avait décrit dans 1984.
Mais les dirigeants ont souvent tort de sous-estimer l’intelligence et la compréhension des peuples. La contestation qui monte ne s’arrêtera pas, et si ce n’est pas forcément sur la question de la réforme des retraites, il est un sujet qui fait son chemin dans l’esprit des citoyens, la démocratie « hors-sol ».
La verticalité du pouvoir
La France vient de crever le plafond des 3.000 milliards de dettes publiques, dettes qui se sont accumulées depuis des décennies. L’inflation n’a jamais été aussi élevée, elle dépasse les 20, voire les 25 %, pour l’alimentation de base, les céréales ou les carburants. De nombreuses familles ne peuvent plus manger à leur faim, et on voit des publicités chez les gros distributeurs pour vanter les petits prix réservés aux étudiants qui ont de plus en plus de mal à se nourrir correctement, ou pour acheter en fin de journée, au tiers de leur prix, les invendus qui risquent d’être jetés. Il faut désormais lutter contre le gaspillage éhonté des produits fabriqués en trop grandes quantités.
On marche tous les jours « sur la tête » ! En effet, on lutte officiellement contre les produits à base d’hydrocarbures mais l’État subventionne l’utilisation de ces mêmes produits pour relancer l’isolation des habitats. De leur côté, les agriculteurs qui avaient fait le pari du Bio se retrouvent dans l’obligation d’en arrêter la production qui coûte de plus en plus cher.
De nombreuses entreprises se retrouvent en difficulté, notamment parce qu’elles n’arrivent plus à recruter dans un pays où un million d’emplois sont disponibles. Au niveau bancaire, les placements des épargnants sont tellement peu rentables que leurs capitaux s’effondrent, tandis que les fraudes fiscales et sociales représentent une énorme cause de déficit et que les banques, comme on vient de le constater en Suisse, sont très fragiles et craignent de subir un effet domino similaire à la crise des « subprimes » !
Et en dépit de tout cela, les dirigeants politiques et économiques persistent à trouver la situation satisfaisante. On ne peut que s’interroger sur l’abîme qui s’est creusé entre la vie des français, leurs contraintes, la réalité de leurs difficultés ou leur désespoir profond, et la vision idyllique du devoir accompli qui habite ceux qui nous « dirigent ». Cela nous amènerait à croire que nous ne vivons pas dans le même pays, et surtout, à constater que nous n’avons pas les mêmes objectifs de vie.
Autant le répéter, les élus, dans une démocratie parlementaire (qui hésite d’ailleurs entre le parlementarisme et le présidentialisme, avec une petite préférence pour cette dernière forme), sont là pour porter la voix du peuple et contribuer au bien-être de celui-ci.
Autrefois, et « je parle d’un temps que les moins de 20 ans » auraient peine à croire qu’il ait existé, les élus étaient implantés dans leurs territoires, ils étaient maires, conseillers généraux, responsables locaux, ils connaissaient leurs circonscriptions, ils en étaient le plus souvent issus et portait dans leurs gènes une vieille tradition familiale régionale. Ils savaient de quoi ils parlaient et surtout qui ils représentaient.
Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer à l’un des discours de Michel Debré, haut fonctionnaire, résistant et sénateur d’Indre-et-Loire de 1948 à 1958, qui deviendra Garde des Sceaux et dirigera le groupe de travail chargé de la rédaction de la Constitution de la Ve République, avant d’être nommé Premier ministre après l’élection du général de Gaulle à la présidence de la République.
« La seule souveraineté, c’est le peuple et le président de la République fait appel à lui en cas de conflit. L’essence de la démocratie c’est le conflit. Il n’y a pas de conflit en régime de dictature. […] En démocratie, la discussion politique aboutit, par la force des choses, à des conflits. Le rôle du président de la République est de régler les conflits entre le gouvernement et le Parlement. Il les règle, non pas tant par ses pouvoirs propres de décision, mais par le fait qu’il sollicite la décision du conseil constitutionnel, ou qu’il sollicite la décision par référendum ou par dissolution.
Que veut-on dire, le président de la République créerait un conflit par exemple, c’est le seul cas, où il voudrait imposer à l’Assemblée Nationale un premier ministre dont celle-ci ne voudrait pas et à qui elle refuserait la confiance. Il n’y a qu’une manière de régler le conflit et, pour le président de la République, de marquer son autorité, c’est de donner la parole au peuple par voie de dissolution.
Et la peur du suffrage populaire est, en vérité, l’arrière-pensée de tous ceux qui critiquent. Car ils demeurent dans cette idée qui n’est absolument pas républicaine que la souveraineté nationale est donnée à une assemblée. En réalité, il n’y a pas d’assemblée souveraine, la seule souveraineté, c’est le peuple, et le président de la République fait appel à lui en cas de conflit. Il n’y a pas de méthode plus démocratique et plus libérale si l’on veut rester dans un régime de liberté ».
La loi contre les cumuls ou la mort de la démocratie locale
En réalité, le seul véritable lien qui se construit entre le peuple qui détient la souveraineté nationale, et le Parlement ou le gouvernement, devrait venir des élus de terrain. Malheureusement, l’évolution de l’organisation démocratique que l’on constate dans ces dernières décennies, se caractérise par un éloignement progressif du pouvoir central, exécutif et parlementaire, avec ce que l’on a l’habitude d’appeler la France profonde, la France de territoire, les élus locaux, ceux qui ont pris racine dans un monde dont ils sont issus. Je ne parle pas, bien évidemment, de ses « hauts » fonctionnaires parachutés au hasard des circonscriptions, en fonction de découpages électoraux qui sont la honte de la démocratie.
La rupture de ce lien entre les territoires et la capitale a été officialisée et exacerbée par la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, et qui s’applique notamment aux députés élus lors des scrutins de juin 2017.
Cette loi a modifié les dispositions de l’article L.O. 141-1 du code électoral interdisent à tout parlementaire d’exercer une fonction exécutive locale comme celles de maire, maire d’arrondissement, adjoint au maire, président et vice-président d’un conseil départemental, président et vice-président d’un syndicat mixte, etc.
Cette volonté politique était fondée sur une double vision saine, celle d’éviter les conflits d’intérêts, d’une part, et d’autre part, celle de laisser aux élus, locaux ou nationaux, du temps pour assumer leurs engagements. Les responsabilités d’un élu local ne devaient pas empiéter sur l’exercice de potentielles fonctions nationales, et vice versa. Cette conception est bien évidemment fondée sur le bon sens, mais elle n’évite pas les illusions. Le bon sens, c’est de libérer le décideur concerné des multiples contraintes de temps qui pourraient l’empêcher d’exercer correctement ses missions, l’illusion, c’est que les élus ne travaillent pas seuls, qu’ils ont des cabinets, des conseillers ou des collaborateurs en nombre suffisant pour que les missions soient correctement et totalement exécutées. L’illusion, c’est aussi qu’il y a encore environ 30 000 communes en France et que les élus locaux ne gèrent pas tous des métropoles de la taille de Paris, de Lyon, de Bordeaux, de Lille ou de Marseille. En conséquence, le fait d’être maire d’une commune de 10 000 habitants ne devrait pas être un obstacle à la prise en main d’un département ministériel.
Il n’y a pas donc pas de solution unique et toute faite, et la loi, aussi parfaite qu’elle soit n’a pas pu trancher tous les débats sur ce sujet. Elle en a même suscité des difficultés et des incompréhensions. La première difficulté est que, à quelques exceptions près, les membres du gouvernement qui ne connaissent pas la pratique de la gestion locale sont souvent insuffisamment conscients des réalités de terrain, des difficultés des entreprises, et de la misère humaine et sociale. Dans le temps passé, c’était par l’action locale, puis régionale, que les personnalités politiques se construisaient et parvenaient, avec l’expérience, l’action et la réflexion, à se faire connaître en tant que responsables politiques.
Ce n’est plus systématiquement le cas aujourd’hui. Bien au contraire, on se rend compte que le chemin entre l’intérêt collectif et la prise de responsabilité a été considérablement raccourci. Le nouveau parcours des responsables politiques suit souvent les méandres des milieux privilégiés parisiens, depuis les lycées les plus côtés et les cursus de formation supérieure, en passant par les enseignements de l’institut d’études politiques de Paris et en finissant par la préparation au concours d’entrée à l’École nationale d’administration, il ne reste plus à ce étudiants que de suivre quelques stages dans les entreprises nationales, multinationales ou internationales, généralement du CAC 40. La boucle est alors bouclée et s’ouvrent alors les portes des nombreux cabinets ministériels. Certains critiquent cette voie royale, élitiste et étroite qui crée une sorte de caste de hauts fonctionnaires dont on s’interroge sur la plus-value qu’ils apportent réellement à nos institutions et aux missions de l’État.
À quoi cela rime-t-il ? Les exemples de cette politique « hors sols » en politique sont nombreux. On peut, à tout le moins rappeler la campagne de recrutement menée en 2017 par l’équipe de la REM, lorsque l’élection du futur candidat-Président était donnée pour acquise. On cherchait partout, par relation, par copinage, par réseautage, des « amis » qui accepteraient de se lancer dans la bataille des Législatives. Parmi les heureux élus qui se sont vu proposer des postes et qui ont été surpris de se voir élire sans coup férir, on a vu arriver au Palais Bourbon, des jeunes gens sans métier et sans formation. On peut se féliciter de ce renouvellement des acteurs politiques, mais, et quelques soient leurs compétences et leur honnêteté intellectuelle, on peut s’interroger sur la plus-value apportée par ces nouveaux élus qui découvraient pour la plupart le territoire ou la circonscription dans laquelle ils se présentaient, et surtout qui étaient sans lien réel avec le pays profond, les attentes des citoyens et les espoirs que ces derniers avaient d’être enfin entendus.
Dans ces conditions, d’ailleurs, on se demande pourquoi un maire ne pourrait-t-il pas être député ! Pour un Français qui a fait un minimum d’études secondaires, les députés, membres du Parlement, représentent le pouvoir législatif, celui qui fait les lois.
Et on va nous expliquer qu’ils discutent sur les projets de loi, qu’ils rédigent des amendements ou qu’ils participent à des commissions, mais en réalité toute cette activité qui semble déborder de l’hémicycle n’est qu’un habillage théâtral de la réalité. Et quand on assiste, médusés, aux audiences publiques ou aux questions au gouvernement, on trouve que l’argent public est curieusement employé !
Car c’est un fait parfaitement connu de ceux qui s’intéressent au fonctionnement des institutions, dans leur grande majorité, les représentants du peuple ne rédigent rien et ne lisent parfois que quelques lignes des milliers de pages qui leur sont fournies par les services juridiques des ministères ou par les services administratifs de l’assemblée. Les amendements dont on nous rebat les oreilles sur les médias, par exemple en affirmant qu’il sera impossible d’étudier les 20 000 ou les 40 000 amendements déposés par tel ou tel parti, sont des textes pratiquement tous identiques, obtenus informatiquement par une succession de copier-coller, et ne présentant que des variantes minimes de mots ou de virgules, ce qui contribue finalement à n’entretenir qu’une immense confusion et un profond malentendu.
Chacun sait que si l’Assemblée nationale est l’organe législatif, son apport dans la fabrication des lois de ce pays est limité à la portion congrue, puisque les textes qui demandent malgré tout une certaine compétence juridique, sont, quasiment tous, rédigés par les directions juridiques du ministère de la justice, comme par exemple pour tout ce qui touche au droit pénal ou au droit de la famille.
Conclusion sur le coût de la démocratie
On se plaint souvent du coût de fonctionnement de notre État. La démocratie n’a pas de prix, dit-on ! Eh bien, si ! Les ministres sont trop nombreux. En France, comme ailleurs dans la plupart des démocraties avancées, ce sont les juristes fonctionnaires des ministères qui font le travail. A-t-on donc besoin d’autant de ministres ? Lors de sa réélection, le chef de l’État avait annoncé un gouvernement resserré autour d’une quinzaine de membres. « Il n’y aura pas d’armées mexicaine », jurait-on ! Finalement, on en est à 41, voire 42 ministres et secrétaires d’État ! Et que dire des cabinets ministériels pléthoriques qui entourent ces personnages, alors que tous les ministères disposent de fonctionnaires compétents en nombre suffisant ?
En Grande Bretagne dont la population est de 67 millions d’habitants, il y a 24 départements ministériels. Aux USA, pour une population globale de 332 millions d’habitants, les effectifs sont plus réduits, le cabinet du président est composé du vice-président, de quinze secrétaires d’État qui dirigent les départements exécutifs fédéraux, et de huit autres personnalités officielles, tous nommés par le président et confirmés à leur poste par le Sénat.
On peut, bien évidemment, regretter que les lois anti-cumuls prive la démocratie de notre pays de cette richesse partagée, entre la France provinciale et la France parisienne, entre ceux qui connaissent les contraintes locales et ceux qui gèrent les contraintes et les stratégies internationales. Mais il ne faut pas trop se leurrer sur les qualités supposées des uns et sur les défauts visibles des autres. Finalement, tout cela n’est finalement qu’une question de morale politique, une question d’époque et de mentalité, et une question de distanciation entre la recherche des intérêts collectifs et celle des profits individuels.
La démocratie locale n’est plus ce qu’elle a été et on trouve en province tout autant de critiques à faire sur la politique « hors-sol » que celle que l’on dénonce dans les sphères parisiennes. À titre d’exemple, et je l’ai déjà dénoncé, il y a ce que l’on appelle la mille-feuille de l’administration décentralisée. Les communes, les cantons et les départements d’autrefois se concevait assez aisément à l’époque napoléonienne.
Mais depuis lors, au lieu de simplifier les structures pour tenir compte de la rapidité de déplacement entre les différents centres de décision, on n’a fait que complexifier l’administration locale, en rajoutant les associations de communes, les communautés de communes, les coopérations intercommunales, etc. et en donnant aux différentes strates de l’administration, départements et régions compris, des pouvoirs et des compétences parallèles qui se recoupent, mais surtout, qui démultiplient les coûts et, fatalement les impôts qui sont à la charge des contribuables.
La création de ces entités administratives coûteuses et nombreuses a impliqué la constitution d’une fonction publique territoriale démesurée. Outre les dépenses qu’elles suscitent, il y a lieu de se demander quelles sont réellement les plus-values apportées à la démocratie d’une part, et au bien-être des populations d’autre part. N’oublions pas que le mode de scrutin des élections municipales qui retire à l’opposition toute possibilité de se faire entendre, donne aux maires un pouvoir sans contrôle. Le conseil municipal devient donc une chambre d’enregistrement des décisions prises par le seul maire.
Il va de soi qu’il existe des élus honnêtes et scrupuleux, mais malheureusement on peut craindre que ce type de scrutin ne transforme certains maires en « potentats locaux », qui ont les mains libres sur de nombreux sujets sensibles, l’urbanisme, les routes et les zones industrielles ou artisanales, la gestion de l’eau, de l’assainissement et des déchets, l’entretien des forêts communales et ce, jusqu’à la lutte contre le réchauffement climatique et les incendies.
Que faire ? On dit qu’il faut que l’on cesse de prôner la verticalité du pouvoir et que la décentralisation vive enfin après toutes les réformes, mais pour quoi faire, avec quels objectifs, et avec quels contrôles ?
La démocratie est celle des partis. Quand on connait le nombre d’adhérents des plus grandes formations politiques, nous pouvons nous interroger sur la représentativité électorale de celles-ci, le désintérêt de « l’isoloir » est là pour le démontrer. Pour une démocratie participative, il faut peut-être, donner au Peuple, sans tomber dans l’excès, les moyens de s’exprimer, particulièrement sur des sujets cruciaux, en ayant au préalable, fait preuve de pédagogie. Les référendums sont peut-être, une solution à expérimenter plus souvent.
Il ne reste qu’une seule question centrale à poser : N’y aurait-il pas un malentendu fondamental sur le rôle final que l’on doit attribuer aux élus ?
Servir le peuple ou penser à son propre destin ?
Bernard Chaussegros