Si l’acception a depuis longtemps franchi l’atlantique, il n’en reste pas moins essentiel de (re)faire la lumière sur le sens originel du mot entreprise, et de dresser le portrait d’un aventurier des temps modernes qui ne se confond pas toujours avec l’image d’Épinal dont il est affublé. Oui, Jeff Bezos et Elon Musk, pour ne citer qu’eux, sont d’incontestables entrepreneurs.
Non, la dynamique d’entreprendre ne se limite pas aux entreprises qui visent à « make the world a better place ». Elle se voit partout, si tant est qu’on sache en comprendre l’essence. Elle n’a pas de contexte, pas d’échelle, pas de grille pondérée. Elle est potentiellement universelle.
Le chemin plus que le résultat
Dire que le chemin est plus important que le résultat est à la fois un raccourci et un cliché. Revenons-en donc d’abord à ce qui motive cette mise en route. À la base de toute décision d’entreprendre, il y a un constat. Celui d’un besoin non satisfait. Celui, aussi, de la croyance dans ses propres capacités à trouver une réponse adéquate à une limite observée. Souvent utilisé dans un environnement mercantile, ce constat s’applique pourtant à bien d’autres contextes.
Exemple 1 : un salarié observe une situation qui pourrait être améliorée dans son environnement de travail. Il est alors face à un choix : se plaindre du fonctionnement déficient observé, rester à distance, ou agir. Indice : l’un de ces choix témoigne d’une dynamique d’entreprendre.
Exemple 2 : un sportif face à un défi inédit, un record à battre, une performance jamais réalisée. Autre contexte, autres enjeux, même choix : se conformer à la réalité ou aller au-devant de l’inconnu et essayer de franchir l’obstacle. ESSAYER. Pas réussir. La nuance est importante. Car si la réussite valide le processus de l’entreprise, elle n’en définit pas l’essence. C’est bien l’essai qui est en ce sens le critère fondateur de la dynamique d’entreprendre.
L’observation d’un besoin non assouvi, la croyance de pouvoir y répondre, la volonté de mettre en œuvre la solution envisagée : c’est la mécanique qui définit la dynamique. Ici pas d’échelle, pas de cadre tangible, pas de modalité précise. C’est de l’amalgame de ces trois dimensions que naît le mouvement.
Regarder autrement plutôt que regarder plus haut
De la même façon, on aurait pu prendre l’exemple de plusieurs entreprises (au sens de l’organisation de production de biens ou de services à caractère commercial cette fois) qui agissent dans des environnements très différents. Vous voyez des points communs dans le modèle économique d’une boulangerie de quartier et d’une plateforme de distribution de matériel industriel dans le monde entier ? Pas évident.
Pourtant, le point commun existe. Il est simplement ailleurs que dans l’analyse financière stricto sensu. Revenons-en à notre triptyque : observation, croyance, volonté. Vous commencez à voir le bout du raisonnement ? Créer une boulangerie de quartier n’est pas forcément la première image qui nous vient lorsque l’on mentionne la dynamique d’entreprendre telle que nous la décrivons, mais si elle propose une offre différente, s’installe pour répondre à un besoin observé (un manque en l’occurrence), elle peut très bien en être habitée.
À l’opposé de ce spectre d’acteurs économiques, une entreprise multinationale qui se repose sur ses filiales pour faire prospérer un marché sans apporter de valeur s’inscrit presque davantage dans une dynamique de spéculation que d’entreprise (au sens élargi cette fois). Mais la même entreprise, cette fois ambitieuse quant à son développement, grâce à, par exemple, de la Recherche et Développement, de l’innovation, ou simplement une offre différenciante, est tout aussi entreprenante que la boulangerie de quartier que nous citions en premier exemple. « Qui veut chevaucher loin ménage sa monture » disait l’autre. Nous ajoutons : « qui veut chevaucher mieux pense à créer l’automobile… ».
Dotée de moralité, ou dénuée d’elle, dans les plus petits cercles comme sur les plus hauts sommets du monde globalisé, visant l’enrichissement de quelques-uns ou le bonheur du plus grand nombre, la dynamique d’entreprendre peut-être partout, et c’est d’ailleurs certainement la raison pour laquelle elle n’est pas partout. Elle s’immisce, se faufile, est une composante de bien des environnements mais n’y est jamais chevillée. Son contexte n’en est pas une caractéristique, elle en est indépendante.
En revanche, les circonstances actuelles, instables, mouvantes, insaisissables, se prêtent totalement aux dynamiques d’entreprendre. Dans un contexte fluctuant, la dynamique d’entreprendre devient une modalité d’adaptation, un moyen de survie, un avantage concurrentiel, pour revenir à des considérations plus économiques. Mais là encore, si le contexte actuel y est favorable, il n’en est pas une cause inéluctable. Les entrepreneurs fleurissent encore les livres d’Histoire, et d’histoires, pour le meilleur et pour le pire. Si la dynamique d’entreprendre n’a pas de contexte, elle n’est pas le contexte non plus. Elle le fait sien, l’embrasse, l’englobe, mais ne se confond jamais avec lui.
La légende dit qu’Hannibal lui-même avait proclamé : « Nous trouverons un chemin… ou nous en créerons un » lorsqu’il traversa les Alpes au 3ème siècle avant notre ère. Quand on dit que la dynamique d’entreprendre n’a pas de contexte… N’oublions pas : la dynamique est une entreprise et l’entreprise, une dynamique.
Serge Masliah
Serge Masliah, CVP Prodware France MEA