Par Jean-Philippe DELSOL, Avocat, Président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, IREF
Depuis le 1er janvier 2019, les droits à la formation au titre du CPF (ex DIF pour droit individuel à la formation) se comptent en euros et non plus en heures pour les salariés du secteur privé.
Chaque salarié du secteur privé est crédité de 500 à 800€ (pour les salariés « peu qualifiés », c’est-à-dire disposant d’un niveau inférieur ou également CAP/BEP), avec un plafond maximum de 5000 à 8000€.
Le compte peut être utilisé tout au long de la vie active et il se recharge chaque année, même pendant les périodes d’absence pour maternité, paternité, adoption, accident de travail, maladie…
Les salariés peuvent tirer sur leur compte pour financer la formation de leur choix, le cas échéant en en faisant abonder le prix, si leur compte n’y suffit pas, par l’employeur ou divers organismes. En principe les formations choisies doivent être agréées, mais il est apparu que de très nombreuses formations étaient frauduleuses, trompeuses ou pour le moins pas sérieuses, notamment en cours de langue ou d’aide à la création d’entreprise. Tracfin, le service de renseignement du ministère de l’Economie, estime la fraude au CPF à plus de 43 millions d’euros . Et ce ne serait que la pointe immergée de l’iceberg.
Le problème est qu’on a donné un blanc-seing à chaque salarié pour dépenser en formations payées et susceptibles d’être suivies pendant leurs heures de travail qui continuent d’être néanmoins rémunérées. Ils ne s’en sont pas privés.
Le salaire brut moyen en France en 2022 est proche de 3 000€ par mois. La cotisation payée par les employeurs est de 0, 55% du salaire brut dans les entreprises de moins de 11 salariés qui représentent 76,8% des entreprises et de 1% dans les autres, soit 23,2% (sources statistiques Flores). La cotisation moyenne est donc de [( 0,55 x 23,2) + ( 1 x 76,8)] = 0,8956% appliquée à un salaire moyen de 36 000€ par an = 322,41 €. Alors que 500€ sont versés sur le compte formation de chacun. Ce qui représente une insuffisance de crédits de plus de 3Md€ prévisible depuis l’institution de ce système structurellement déficitaire. D’autant plus que les travailleurs indépendants ou les micro-entrepreneurs bénéficient du système pour des cotisations généralement encore très inférieures. Pourtant, le gouvernement semble le découvrir ! Et il doit prévoir au PLF 2023 un soutien exceptionnel de 2 Md€ à France compétences désigné comme l’opérateur national de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l’apprentissage.
Pour diminuer les dépenses à l’avenir, il envisage d’appliquer un reste à charge sur chaque achat de formation, qui pourrait représenter environ 30% des coûts de formation. C’est en effet ce qui permettrait de couvrir les pertes. Devant prendre en charge une partie du prix des formations, les salariés réfléchiraient sans doute à deux fois sur l’utilité et la qualité de la prestation.
Dans le principe, l’idée de permettre à chaque salarié d’être maître de sa formation était une bonne idée. Mais elle a été pervertie par la décision de centraliser la gestion et de la confier, sous l’égide de la CDC, à une agence gouvernementale, France Compétences, qui a été incapable de contrôler correctement les agréments. Le système est également illisible, cette agence redistribuant l’argent reçus aux divers opérateurs de la chaine de formation selon des pourcentages toujours discutables. Quand l’Etat veut tout faire, il le fait mal.
Il vaudrait mieux redonner aux entreprise la liberté de financer directement les formations de leurs employés ou les écoles professionnelles, le cas échéant dans le cadre des branches professionnelles mieux capables que l’administration de connaître les besoins et de valider la qualité des formations. Ce que fait par exemple, comme d’autres, la Fédération du recyclage, FEDEREC, qui va ouvrir en février 2023 son Ecole nationale du recyclage et de la ressource dans le nord pour trouver les 8 000 emplois à pouvoir dans les prochaines années. C’est probablement le meilleur moyen de favoriser le retour à l’emploi des trop nombreux chômeurs avant que d’avoir à faire venir des immigrés pour les métiers en tension selon le projet de M Darmanin.
Jean-Philippe DELSOL