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La folie du running : décryptage d’une tendance française


La France compte aujourd’hui près de 10 millions de pratiquants de la course à pied. Pour mémoire, ils étaient 6 millions au début des années 2000. Le running n'a jamais été aussi populaire, peut-être en raison du bien-être que nous ressentons en courant. 

Entreprendre - La folie du running : décryptage d’une tendance française

La France compte aujourd’hui près de 10 millions de pratiquants de la course à pied. Pour mémoire, ils étaient 6 millions au début des années 2000. Le running n’a jamais été aussi populaire, peut-être en raison du bien-être que nous ressentons en courant. 

Les trois principales motivations invoquées par les coureurs sont, dans l’ordre : améliorer sa condition physique (58%), être en bonne santé (58%), perdre du poids (35%). La course à pied s’impose donc plus que jamais comme une activité très étroitement liée au bien-être. Mais n’est-ce pas également un besoin très humain de sans cesse dépasser ses limites, voire de se surpasser ? 

Quand on parle de « dépassement de soi », il y a ceux qui ressentent dans le désir, voire l’injonction de se dépasser, un relent d’idéologie, de moralisme et de culpabilité d’une part, et ceux qui y voient l’essence même de l’homme qui consiste à vouloir progresser, croître, se dépasser, d’autre part. Force est de constater que l’Homme sait repousser sans cesse ses limites. Les coureurs le prouvent chaque jour.

Comme le disait Pierre de Coubertin « Le succès n’est pas un but, mais un moyen de viser plus haut ». Le dépassement de soi est donc inscrit dans les gènes de la pratique sportive telle qu’on souhaiterait qu’elle s’exerce. Mauriac, le Nobel de littérature, confirmait en disant « Battre les records, c’est l’idée fixe d’un véritable sportif, et il y a là comme une usurpation par le corps de cette vocation spirituelle du chrétien : se dépasser soi-même. »

L’euphorie du coureur

L’état euphorique que connaissent les coureurs est généralement associé aux endorphines ou endomorphines. Ce sont des composés opioïdes endogènes, c’est-à-dire sécrétés par le corps, lors d’activité physique intense. Elles ressemblent aux opiacés par leur capacité analgésique et procurant une sensation de bien-être.

Une étude du Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM) publiée dans la revue Cell Metabolism, indique que ce serait surtout la dopamine qui causerait cette euphorie. La dopamine est un important neurotransmetteur libéré par notre cerveau, qui intervient dans de nombreux systèmes de l’organisme. Elle est associée au plaisir et à la récompense.

La dopamine est aussi associée à la dépendance aux drogues et on soupçonne qu’elle joue un rôle dans le cerveau de certains coureurs qui ne peuvent plus se passer de cette activité. Ils doivent courir toujours plus pour ressentir cette euphorie au détriment parfois de leur santé et de leur vie familiale et ils deviennent anxieux ou dépressifs s’ils doivent arrêter à cause d’une blessure.

Au-delà du physique

Plus près de nous, le philosophe Raphaël Enthoven a mis en avant les bienfaits du sport, au-delà du physique bien entendu. Mettant en avant le pouvoir de l’effort, qui chemin faisant, entraîne un état spirituel et mental de l’ordre du quasi hypnotisme où le corps continue son travail de façon automatique, l’esprit se détachant, comme en transe à condition que rien ne vienne le distraire de cet état.

Lorsque Bergson insistait que la qualité principale de l’homme, c’est la capacité de se dépasser lui-même, ce sont bien ces innombrables capacités de notre être à chacune et à chacun de nous qu’il visait. Elles n’ont pas de limites et le corps humain se transcende constamment grâce à elles, chaque fois que nous assumons notre responsabilité, c’est-à-dire notre authentique liberté.

Ce qui nous fait courir et nous dépasser 

« Le goût de ne pas fuir, mais, au contraire, de coïncider avec soi, dans l’effort. Ou bien l’envie d’oublier ce qui, dans la vie, ne marche pas. L’envie de se dépasser vient souvent d’une représentation flatteuse de l’obstacle à vaincre. Mais la capacité de se dépasser repose davantage, me semble-t-il, sur l’art d’être en harmonie. Ce qui nous pousse est plus puissant que ce qui nous tire.

« Toujours plus haut » est un avatar contemporain de la découverte que l’univers est infini et que la Terre, par conséquent, ne se trouve pas en son centre. Tant que le monde n’était qu’une cosmologie ordonnée, l’enjeu était d’y trouver sa place. Depuis que le monde est un chaos que son infinité prive de sens, Prométhée s’est substitué à Orphée, la performance a détrôné l’harmonie, le souci de se dépasser a remplacé le goût de s’accomplir. »

Le dépassement de soi

Au travers de la performance visée, le bonheur réside-t-il dans le fait de s’accomplir ou de se dépasser ? L’idée d’un dépassement de soi-même, aujourd’hui si courante, est liée historiquement à l’avènement de la modernité. Le sport de haut niveau apparaît aujourd’hui comme le laboratoire expérimental d’une réussite sociale spectaculaire et spectacularisée au travers d’un dépassement de soi comme emblème de notre idéologie contemporaine.

Une histoire de limites

Avant tout chose, il convient de définir le terme « limite ». Commune à tous les individus, la limite ultime de l’homme est celle où les tâches physiques ne peuvent plus se réaliser. Par exemple : une vitesse ou une hauteur que l’on ne peut atteindre, une masse que l’on ne peut soulever. Mais l’homme entretient un rapport personnel avec la limite, ses propres limites : « Chaque individu est doué pour une ou plusieurs tâches : rapide ou lent, agile, endurant », explique Guillaume Millet, professeur de physiologie du sport à l’Université de Saint-Étienne.

France Brunet, physiothérapeute en chef à la Clinique de médecine du sport des Carabins de l’Université de Montréal, est du même avis : « La limite est un ensemble de données quantifiables qui varient en fonction des personnes : le sexe, l’âge, le type de muscles et la souplesse de ses fibres, le patrimoine génétique, l’environnement. »

La question des limites humaines nourrit les réflexions de scientifiques et des chercheurs. Un débat s’est installé entre ceux qui estiment que l’homme va bientôt atteindre ses limites physiologiques et ceux qui s’opposent à cette idée. Dans un récent article publié par le Huffington Post, Geoffroy Berthelot, un chercheur français de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP) estimait que « les performances sportives sont en train d’atteindre un plateau physiologique » en s’appuyant sur l’historique des records olympiques depuis les premiers Jeux de l’ère moderne, en 1896.

La conclusion des études menées par l’INSEP se veut claire et définitive : « Les 3 300 records du monde homologués de façon exhaustive, définissent tous une asymptote qui représente non pas des barrières individuelles, mais les limites de l’espèce », assure Jean-François Toussaint, directeur de l’Institut de Recherche bio-Médicale et d’Epidémiologie du Sport (IRMES) affiliée à l’INSEP.

Repousser ses limites

 Les hommes et les femmes sont capables de repousser leurs limites actuelles jour après jour malgré l’inconfort, le sacrifice de la satisfaction immédiate et l’incertitude que cela génère. Dans le monde du sport notamment,  il est reconnu que les sportifs repoussent sans cesse les limites de leur corps et de leur mental et ceci au prix de la douleur de l’effort et de la douleur physique.

«La ténacité mentale, et la capacité à gérer et même à tirer profit et à traverser la douleur, est un facteur de différenciation clé entre les mortels et les immortels à la course», affirme Mary Wittenberg, présidente des New York Road Runners.

Repousser ses propres limites c’est en fait sortir de sa zone de confort. C’est douloureux, cela nécessite un effort et cela peut faire peur, c’est pourquoi nombreux sont ceux qui renoncent. Mais la bonne nouvelle, c’est que quand on sort de sa zone de confort et que l’on teste de nouveaux comportements, à force de répétitions ces nouveaux comportements deviennent des habitudes et contribuent à l’élargissement de celles-ci.

Que ce soit sur un plan mental ou physique, nous avons donc tous la faculté de nous dépasser, de nous surpasser et de repousser nos limites. Le tout, c’est de le vouloir très fort ! C’est exactement comme dans le sport, plus vous faites des abdos intensément, moins douloureux cela devient au fil des jours et plus vous êtes satisfait de vos tablettes de chocolat.

L’intensité et la fréquence sont les deux paramètres importants pour repousser ses limites. La fréquence, c’est-à-dire la répétition régulière de la nouvelle pratique qui va permettre la création d’une nouvelle connexion cérébrale, une nouvelle habitude. L’intensité, c’est-à-dire aller au-delà du moment où l’esprit dit « Stop, je ne peux pas » ou « Je ne peux plus ! ». Car votre esprit vous trompe et vous alerte bien avant que vos véritables limites ne soient atteintes. En effet, le cerveau répond alors à deux instincts primitifs puissants : éviter la douleur et avoir du plaisir ; lesquels instincts ne sont absolument pas satisfaits lorsque vous explorez l’extérieur de votre zone de confort et ne vous aident donc pas dans l’atteinte de vos objectifs de développement à plus long terme.

Des conseils pour se surpasser

Alors, comment faire pour déjouer ces modes de fonctionnements instinctifs et réduire la peur que génère cette situation de changement ? Comment arriver à sortir de sa zone de confort pour se surpasser ?

Premièrement, pour fonctionner de façon contre intuitive et pouvoir atteindre ses objectifs de changement, il est nécessaire de solliciter la partie réfléchissante, pensante et d’auto-régulation, de votre cerveau (le cortex préfrontal) pour bloquer consciemment les manifestations instinctives. Deuxièmement, il faut rester concentré et résister à la procrastination.

Troisièmement, il ne faut pas hésiter à s’auto-féliciter. Notez chacun de vos progrès vers votre objectif et célébrez-les. En effet, l’individu a naturellement tendance à favoriser la réalisation des activités pour lesquelles il sait qu’il obtiendra une récompense. Par opposition plus la récompense vous semble lointaine, moins vous produisez de dopamine donc moins de motivation donc report de la tâche.

Et c’est vrai dans tout et pour tout, dans la vie professionnelle comme dans le running. C’est en vous mettant en danger que vous pourrez vous distinguer des autres et attirer l’attention. Surtout, en repoussant vos limites, vous gagnerez en assurance.

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