Malgré une succession de Présidents et de gouvernements de droite, de gauche, à nouveau de droite et de gauche, et maintenant « ni de gauche ni de droite », aucun Président n’a réussi à ce jour à engager avec succès les réformes indispensables pour préparer la France à l’ouverture des marchés et à la mondialisation, et à situer une partie importante de ses indicateurs économiques (balance commerciale, équilibres budgétaires, taux d’endettement, etc.) au moins à la moyenne honorable des pays européens. Et encore moins à assainir les finances publiques, à apaiser les relations entre Français et à en améliorer la cohésion sociale.
Pourtant, entre 1997 et 2002, la cohabitation politique, accidentelle et non voulue, entre un Président de droite, Jacques Chirac, et un Premier Ministre de gauche, Lionel Jospin, suite à la dissolution ratée de l’Assemblée Nationale par le Président en exercice et l’arrivée d’une majorité de gauche aux élections législatives, aurait dû permettre, au moins pour un Allemand habitué aux coalitions entre partis et aux compromis négociés et inscrits dans leurs programmes de gouvernement correspondants, de faire voter un grand nombre de réformes. Hélas, il n’en fut rien ! Et ceci malgré des convictions d’hommes politiques lucides, tels que Hubert Védrine, préconisant, pour passer les réformes les plus urgentes, un gouvernement de transition rassemblant des députés de gauche et de droite… Mais, il est vrai que la France n’a jamais eu la capacité de se réformer en continu, et qu’il lui faut en général une « révolution », un choc pour la faire avancer.
Pire, entre des budgets déficitaires depuis 1975 (!), entraînant un endettement atteignant en 2019, avant la pandémie, 100% du PIB et se situant désormais proche de 115%, l’échec, malgré le rebond actuel, de la lutte contre le chômage de masse, surtout celui des jeunes, une balance commerciale de plus en plus déficitaire et, surtout, des promesses électorales de réformes structurelles jamais tenues, la crédibilité et l’image de la classe politique dans son ensemble se sont effondrés et se trouvent désormais au plus bas.
Et même les débuts de réformes promises et entamées par Emmanuel Macron dès la première année de son mandat (loi sur le travail, formation professionnelle, réforme de la SNCF, etc.) ont été vite occultés par des mesures plutôt impopulaires (suppression de l’ISF, imposition accrue des retraités, etc.), peu attendues (réforme de la taxe d’habitation ) ou carrément ressenties comme révoltantes (baisse minimale de l’allocation logement, hausse des taxes sur l’essence), la dernière ayant conduit à l’émergence des « gilets jaunes » en novembre 2018.
La France est-elle donc non-réformable ? Toute proposition de réforme, se heurte-t-elle immédiatement et inévitablement à des blocages, au moins des personnes concernées, voire de l’ensemble du pays ?
La position des Français par rapport aux réformes révèle un paradoxe majeur : d’un côté, comme souligné par tous les sondages depuis 2004, la majorité des Français, de plus en plus nombreux, déclarent dans les sondages que les réformes en France sont indispensables, et ne vont pas assez loin et assez vite. La faute aux politiques qui sont plutôt un frein qu’un accélérateur de ces réformes. De l’autre côté, les Français assimilent souvent les réformes à des mesures touchant les autres concitoyens plutôt qu’eux-mêmes et les conduisent, dès qu’ils sont concernés personnellement, à défendre bec et ongles le maintien de l’existant et de leurs propres privilèges.
Pourtant je continue à croire que la France est réformable… mais à condition d’appliquer et de respecter certaines « règles ». Dans mon livre « l’Allemand qui parie sur la France », très conscient qu’un pays sans rapports hiérarchiques ne se gère pas comme une entreprise, j’avance de nombreuses propositions pour augmenter les chances de réussir des réformes : se concentrer sur peu de projets en privilégiant ceux offrant un « optimum » entre le potentiel d’amélioration (de préférence significatif) et les difficultés de mise en œuvre (de préférence faibles)4 – avec, en plus, la capacité de pouvoir créer une dynamique et d’afficher très rapidement des résultats tangibles, condition indispensable pour retrouver de la crédibilité ; réunir, dans un gouvernement resserré pour une période de transition de 2 à 3 ans, une équipe restreinte de Ministres expérimentés et crédibles auprès des Français ; convaincre les Français, affichant une acceptation bien plus importante que généralement admise, du côté à la fois indispensable et juste des efforts à produire et de leur répartition équitable ; échanger, expliquer et communiquer en permanence positivement et massivement en évitant toute forme de mépris et tout dérapage verbal ; afficher soi-même et exiger de tous les membres du gouvernement un comportement exemplaire, etc. Même si ces « règles », peu respectées jusqu’ici par l’ensemble de nos gouvernements récents, ne garantissent pas le succès des réformes…, elles en augmentent, à mon avis, considérablement la probabilité de réussite !
L’élection d’Emmanuel Macron et ses déclarations avaient fait naître un immense espoir – la discontinuité avec le système actuel et, pour partie, avec les acteurs établis ; un positionnement affiché « ni de gauche, ni de droite » ; la volonté de réaliser « en même temps » « l’un et l’autre » parmi des objectifs jusque-là considérés comme irréconciliables – et avaient séduit une grande partie de l’électorat français. Mais sa distance par rapport au terrain et à la France profonde, l’échec de sa communication, ni entendu, ni vraiment comprise, son monopole des décisions et plusieurs maladresses verbales et comportementales regrettables ont rapidement rattrapé le Président, de même que l’inexpérience et l’origine trop similaire du cercle rapproché des collaborateurs ainsi que l’absence d’écoute de voix discordantes de personnalités expérimentés ne craignant pas les critiques. Comme, même pour sa campagne de réélection, il s’est entouré d’une équipe ultra-restreinte, agissant presque en solitaire et pratiquement sans ses ministres, qui pourraient apporter un signe de continuité.
L’émergence du mouvement des gilets jaunes, de « cette France qui se lève tôt et travaille sans pouvoir vivre dignement » regroupant en son sein beaucoup de Français ne se sentant pas compris par le Président et le gouvernement, ont obligé ces derniers à changer radicalement de cap : consulter directement les Français de tous bords et apporter des mesures « sociales », ponctuelles et coûteuses, avec l’objectif affiché de calmer les esprits et de trouver ainsi un second souffle pour la deuxième partie de son premier mandat. Mais la réponse du Président et du gouvernement aux contestations et revendications, avant le COVID, est faite de subventions et d’allègements de toutes sortes, payées par l’Etat central à hauteur d’environ 20 milliards d’euros : 10 milliards d’euros pour tenter de calmer les gilets jaunes et 10 milliards en tant que premières réponses aux revendications du « grand débat » – sans aucune annonce claire sur les sources du financement. Cette approche, qui n’a plus rien de novateur, continue à conforter le rôle et l’image d’un Etat Providence et à conforter la « mentalité d ‘assistés » de certains Français. Pour ne fâcher personne, les sources d’économies correspondantes prévues au budget, surtout en matière de frais de personnel de la fonction publique, ne sont jamais mentionnées.
Ensuite tout a été englouti par les mesures du COVID du « quoiqu’il en coûte », et les nombreux subsides en faveur du pouvoir d’achat dans la période préélectorale. Toutes ces dépenses supplémentaires, vont-elles satisfaire les plaignants, débloquer la situation et permettre de repartir du bon pied ? Vont-elles faire cesser les violences en signe des désaccords ? Rien n’est moins sûr.
Le COVID a certainement mis de nombreux projets de réformes temporairement « sous bâche », notamment la réforme des retraites et de l’assurance chômage. Et la gestion financière de la France s’est, à juste titre, affranchie temporairement de la règle européenne du déficit budgétaire maximum de 3% du PIB, encore jamais atteint, mais également temporairement abandonnée par Bruxelles. Mais l’état d’esprit des Français, leurs craintes pour leur situation économique et financière personnelle et leurs libertés individuelles, enfin leur méfiance vis à vis des dirigeants politiques et la tendance de ces derniers de les « calmer » avec des subsides divers et variés, ont aggravé leur sentiment d’impuissance et risquent de provoquer de nouveaux mouvements sociaux lors de toute tentative de retour à plus de rigueur, voire des réformes promises et en retard.
A commencer par celle des retraites, annoncée par le Président sortant en cas de réélection, et passant, au moins à l’annonce du projet, par un rallongement de l’âge légal à 65 ans, quitte à le réduire finalement à 64 ans, ou le projet, pour les bénéficiaires du RSA, d’une contrepartie d’activité obligatoire.
Si les Français partagent déjà très majoritairement les revendications des gilets jaunes tout en reprouvant le vandalisme, leur demande la plus pressante est désormais d’être pris en considération. Faute de quoi, le décrochage lent risque de renforcer la fatigue des Français de la démocratie et de dépasser le stade de la révolte silencieuse sans prévenir.
Soyons clair : pour faire réussir la France, sur un plan national, européen et mondial ( car la mondialisation perdurera…), à court, moyen et long terme, pour la faire profiter davantage de ses très nombreux atouts, pour retrouver une meilleure cohésion sociale au sein d’un pays apaisé, et pour rendre les Français moins déprimés, moins montés les uns contre les autres et susceptibles de retrouver la capacité d’être heureux, des changements importants, parfois très radicaux et novateurs, seront souhaitables, voire indispensables. La suite de cet ouvrage en propose un grand nombre, et leur mise en œuvre, idéalement dès les 100 premiers jours de la prochaine législature, est indispensable.
Axel Ruckert
A lire : « Faire réussir la France que j’aime, propositions du plus Français des Allemands«